La persistance de l’éphémère
Photo: Valérian Mazataud, Le Devoir
La place William Dow, au cœur du Corridor culturel de Griffintown, accueillait dimanche dernier le festival coréen POCHA MTL.
Stéphane Baillargeon
24 août 2022
Culture
Le week-end dernier, la place William-Dow du nouveau Corridor culturel de Griffintown, à Montréal, recevait l’événement POCHA MTL autour de la cuisine et de la culture coréennes, de plus en plus en vogue dans le monde. Sudbest en rajoute cette fin de semaine avec trois jours de programmation dans trois autres lieux du Sud-Ouest, soit le parc Sir-George-Étienne-Cartier, le Lien nord (derrière le centre Arsenal Art contemporain) et le marché Atwater.
Après ce beau grand coup, le Festival des arts de ruelle déploiera sa sixième édition de courtes performances artistiques professionnelles. Les spectacles de cirque, de danse ou de musique seront présentés en plein air du lundi 29 août au dimanche 11 septembre dans les ruelles de plusieurs arrondissements de la métropole, d’Ahuntsic à Rosemont ou Anjou.
L’éphémère s’installe ainsi en permanence à Montréal, comme dans bien d’autres villes. Des places publiques temporaires aux rues piétonnisées estivales en passant par la gastronomie à ciel ouvert, les aménagements urbains provisoires ont la cote. Le site Quoi faire à Montréal liste une quinzaine de rendez-vous du genre, allant du Village au Pied-du-Courant au Jardin de la Pépinière, ou encore du marché fermier du Plateau au réseau d’îlots d’été de cotravail.
MR-63 se trouve au centre du mouvement en mixant le temporaire et le pérenne. L’organisme culturel s’est fait connaître en récupérant et en réutilisant quelques vieilles voitures bleues MR-63 du métro de Montréal. Quatre d’entre elles ont servi de pièces centrales à l’aménagement de la Station F-MR à l’été 2018, à la place des Bassins du lieu historique national du Canal-de-Lachine. Le site a présenté une programmation culturelle multidisciplinaire et des marchés de produits locaux, environ 350 activités au total qui ont attiré 80 000 personnes pendant quatre mois.
« Ça a été notre plus grand déploiement jusqu’à présent », dit Frédéric Morin-Bordeleau, cofondateur et directeur général de MR-63. L’organisme a installé un premier parc éphémère place William-Dow en 2019 et maintenu une programmation pendant la pandémie, notamment avec Dimanches éphémères.
Corridor culturel
MR-63 poursuit sur sa lancée cette année avec le nouveau projet audacieux du Corridor culturel. Cette route des arts et de la culture, expérimentée brièvement il y a une décennie déjà par Caroline Andrieux, fondatrice de la Fonderie Darling, reprend vie après une longue dormance. Le Corridor s’étend sur 3,6 kilomètres à proximité du canal de Lachine, liant 18 lieux de création et de diffusion, de la Fonderie Darling à la galerie Division et du Centre Phi au 1700 La Poste, en passant par la place William-Dow, évidemment.
« L’axe urbain relie des lieux de culture et une collection d’oeuvres d’art publique, dit Paul Hugo Baptiste, directeur du Corridor culturel, en nous guidant à vélo le long du parcours. À plus long terme, on souhaite installer une signalétique forte. MR-63 vient ajouter des événements sur ce parcours. La réponse est très positive. On propose une vision rassembleuse qui respecte les identités propres. »
Le projet a d’autant plus de sens qu’il s’arrime à la restructuration des espaces dans cette portion de Montréal, transformation entreprise il y a plus de trois décennies avec la mise en valeur du patrimoine industriel autour du canal, la création de la Cité du multimédia et les innombrables constructions dans le quartier Griffintown.
La professeure Alice Covatta, de l’École d’architecture de l’UdeM, spécialiste des espaces urbains compacts et densifiés, distingue deux types d’aménagement temporaire : les espaces vite montés et démontés après quelques semaines et les lieux transitoires occupés en attendant une installation permanente. C’est le cas de la place William-Dow, qui appartient à la Ville et qui sera réaménagée en parc urbain dans les prochaines années, là encore en utilisant les anciennes voitures MR-63.
« Les deux façons de faire sont intéressantes, note la professeure Covatta. La première donne par exemple les rues piétonnisées l’été, pendant la pandémie, pour aider le commerce. La COVID-19 a accéléré des processus. Les espaces éphémères peuvent aussi stimuler la créativité des architectes, des urbanistes et des autres intervenants. »
La fête et les loisirs convergent sur ces lieux. Le résultat festif s’oppose au temps du travail tout en s’inscrivant souvent dans l’activité économique générale. Le résultat met en spectacle une société se divertissant et consommant en harmonie.
Le mode festivalier qui domine au Québec s’inscrit dans le temps et le territoire. Il devient un rendez-vous cyclique et ritualisé qui habite et transforme les espaces urbains. Les plus grands festivals (comme le Festival international de jazz, à Montréal) façonnent et s’approprient l’espace public de manière permanente. D’autres, plus modestes, comme les activités des prochains jours dans le Sud-Ouest, s’accommodent d’occupations flexibles et temporaires.
« Les événements culturels permettent de s’attacher rapidement à un quartier. C’est très important pour une communauté très mobile et multiculturelle comme celle de Montréal », estime la professeure.