Un site archéologique autochtone visé pour du développement résidentiel à Rimouski

Un de ces terrains offre une vue imprenable sur la ville de Rimouski.
PHOTO : RADIO-CANADA / SÉBASTIEN ROSS
Michel-Félix Tremblay
Publié à 5 h 00 HNE
La Ville de Rimouski cible l’un des plus anciens sites attestant de la présence des Premières Nations au Québec pour du développement résidentiel. C’est ce que propose son plan quinquennal de développement et redéveloppement.
Le plan, accessible en ligne, identifie une trentaine de zones présentant un potentiel pour accueillir des projets immobiliers. Rimouski connaît une crise du logement sans précédent.
Parmi ces secteurs, on compte le terrain où des fouilles réalisées en 1991 ont permis de retrouver des milliers d’artéfacts appartenant à des nomades de culture Plano. Ces ancêtres des Autochtones d’aujourd’hui ont habité Rimouski, du moins temporairement, il y a plus de 9000 ans, pour chasser le caribou et pêcher.
Et il reste encore des milliers et des milliers d’artéfacts sur place, confirme l’archéologue Claude Chapdelaine, celui-là même qui a été responsable des travaux il y a 32 ans.
Ce serait une gaffe monumentale de construire ici, ajoute le professeur émérite du Département d’anthropologie de l’Université de Montréal.

En jaune, le secteur identifié pour du développement. Des rues projetées apparaissent même sur la carte de l’arpenteur général du Québec. La Ville de Rimouski dit ne pas savoir pourquoi et a demandé le retrait de ces rues.
PHOTO : RADIO-CANADA
C’est carrément un manque de respect envers la communauté, rétorque vivement le chef des Mi’gmaq de Gespeg, Terry Shaw. Leur territoire ancestral se confond avec celui des Wolastoqiyik Wahsipekuk dans le secteur de Rimouski.
Ça n’a pas de bon sens de viser un développement en sachant qu’il y a de quoi dans le souterrain. On n’a peut-être pas de titres sur ce territoire, mais on a des droits qui sont reconnus et qui nous donnent certains pouvoirs.
Une citation de Terry Shaw, chef, Mi’gmaq de Gespeg
L’article 11 de la déclaration des Nations unies sur le droit des peuples autochtones, qui a été ratifiée par le Canada et qui a force de loi depuis 2021, mentionne qu’ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques.
Il n’y a pas de projet concret pour l’instant à cet endroit, mais un homme d’affaires rimouskois a acheté, il y a quelques mois, deux des quatre terrains qui composent le site archéologique oublié.
Marc Pigeon, propriétaire de Technipro, une entreprise de construction, ignorait la riche histoire de sa nouvelle propriété avant l’appel de Radio-Canada. Rien n’en fait mention dans l’acte notarié de la transaction.

Quelques artéfacts retrouvés à Rimouski en 1991 qui datent de 9000 ans. Jamais ils n’ont été exposés dans la région depuis leur découverte. Ils sont toujours sous la garde de l’Université de Montréal, mais ils seront bientôt transférés à la réserve du gouvernement du Québec, à Québec.
PHOTO : RADIO-CANADA
M. Pigeon qualifie de très embryonnaire le projet qu’il anticipe pour ces terrains, et dit vouloir se renseigner davantage.
Depuis au moins 30 ans, des promoteurs ont montré de l’intérêt à faire du développement immobilier sur ces terrains, nous a confirmé la Ville. D’ailleurs, des rues projetées apparaissent sur la carte de l’Arpenteur du Québec.
S’il n’y a pas de pressions, ils vont le faire (construire), personne ne sera au courant et quand ça va arriver, on va brailler et on va dire “mon Dieu, comment ça se fait qu’on ne les a pas avertis”
Une citation de Claude Chapdelaine, archéologue à la retraite et professeur émérite
Bien qu’en principe quiconque trouve des artéfacts archéologiques doit aviser le ministère, par exemple lors de la construction d’une rue, cela ne constitue pas une garantie de préservation du site, s’inquiète l’archéologue Claude Chapdelaine.

Il n’y a pas de projet concret pour l’instant à cet endroit, mais un homme d’affaires rimouskois a acheté, il y a quelques mois, deux des quatre terrains qui composent le site archéologique oublié.
PHOTO : AFP / SÉBASTIEN ROSS
À la Ville, on se défend en disant que la zone n’est pas jugée prioritaire. Ça démontre une volonté, oui, mais pas une permission automatique, nuance le maire Guy Caron.
Toutes les décisions sont prises au cas par cas, toutes les contraintes seront prises en considération lorsque la décision de développer sera prise.
Une citation de Guy Caron, maire de Rimouski
Un site oublié de tous
Étonnamment, le Plan de développement et de redéveloppement mentionne que le potentiel de conservation de l’endroit est inexistant. Pourtant, lors de sa découverte en 1991, il s’agissait du plus ancien site archéologique du Québec.
Personne à la Ville de Rimouski ne semblait connaître le riche passé de ce terrain, avant aujourd’hui. Le plan d’urbanisme de la Ville, dont la dernière version remonte à 2014, est complètement muet à ce chapitre.
On n’avait pas l’information, avoue tout simplement le directeur du Service de l’urbanisme, Jean-Phillip Murray.
Le plan d’urbanisme de 2014 identifiait aussi ce secteur pour du développement futur. Lorsque les fonctionnaires de la Ville ont refait l’analyse en 2022 et 2023, il ne s’est trouvé personne pour lever la main et mentionner qu’il pourrait être délicat de construire des maisons sur un site archéologique autochtone.

Les fouilles de 1991. La bretelle de l’autoroute se trouverait aujourd’hui en arrière-plan.
PHOTO : RADIO-CANADA
Tout le monde dort sur ses deux oreilles tant que le site n’est pas en danger. Là, le site, il est en danger, se désole l’archéologue Claude Chapdelaine. Mais, en homme positif qu’il est, il espère que cette fois, la Ville entendra le message.
Ce qui arrive souvent, c’est qu’on place l’archéologie devant un fait accompli. Là, présentement, il n’y a pas encore de fait accompli.
Une citation de Claude Chapdelaine, archéologue et professeur émérite de l’Université de Montréal
À qui la responsabilité?
Il n’y a pas que la Ville qui n’a pas protégé le site archéologique : le gouvernement du Québec non plus. Le ministère de la Culture nous a confirmé qu’il ne pourrait pas empêcher un promoteur de construire sur ces terrains.
Les sites dont il est question ne possèdent pas de statut en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, ce qui signifie qu’aucune autorisation du ministre n’est nécessaire pour la réalisation de travaux sur ces terrains.
Une situation qui attriste le chef Terry Shaw. Je trouve ça un peu malheureux, surtout quand on parle aujourd’hui de réconciliation. C’est très important de faire ressortir l’histoire.
Le ministère, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue, a précisé par courriel qu’il accompagne la Ville dans le plan de développement annoncé afin que l’ensemble des composantes patrimoniales, notamment l’archéologie, soient prises en compte.
Curieusement, celui qui était responsable de ce plan, le directeur du Service de l’urbanisme, Jean-Phillip Murray, ne semble pas avoir reçu de directives de la part du ministère à propos du site archéologique. Si on a une information claire du ministère, comme de quoi il y a un potentiel archéologique, c’est sûr que ce sera un élément à considérer.
Rien pour clarifier la situation, dans un autre courriel, le ministère mentionne qu’il s’est assuré que la municipalité ait inscrit ces sites à ses outils d’urbanisme et qu’ils puissent être considérés lors de projets de développement futurs.
Qui dit vrai? Chose certaine, le site n’est pas inscrit dans les outils d’urbanisme de la Ville, comme le prétend le ministère. Dans une suite de courriels interminables, Radio-Canada a demandé au ministère de préciser ses affirmations. Au moment de publier, nous n’avions pas reçu de réponse.
Zone de glissement de terrain
La raison principale qui explique pourquoi il n’y a pas eu encore de construction sur ces terrains n’a aucun lien avec sa riche histoire, mais plutôt avec des contraintes naturelles. Il y a des zones de glissement de terrain, ça limite donc le potentiel de développement, précise le directeur du Service de l’urbanisme. Une portion du site archéologique n’est cependant pas touchée par cette contrainte.
La section sud-est se situe aussi dans une zone agricole. Par contre, lors du renouvellement du plan de zonage prévu d’ici deux à trois ans, la Ville n’exclut pas d’y permettre l’usage résidentiel, question de cohérence avec son plan de développement et de redéveloppement présenté en octobre.
Le maire Guy Caron n’a pas voulu trop s’avancer sur la décision qui sera prise, mais il a convenu que la présence d’un site archéologique fait partie des données à prendre en considération dans le nouveau plan d’urbanisme.
Pour sa part, le chef Terry Shaw espère que, cette fois, la Ville consultera les Premières Nations. L’histoire nous appartient à nous, et ce n’est pas à eux [la Ville] de faire certains choix, mais c’est leur responsabilité de nous consulter et de nous aviser.
Un petit trésor
Longtemps entreposés dans un local de l’Université de Montréal et même, pour certains, dans le sous-sol de Claude Chapdelaine à Carignan, en Montérégie, les quelque 25 000 objets retrouvés à Rimouski — rappelons qu’il en reste au moins autant sous la terre — dorment désormais dans un entrepôt du gouvernement du Québec.

Quelques artéfacts retrouvés à Rimouski, datant de 9000 ans.
PHOTO : RADIO-CANADA
Personne à Rimouski, que ce soit la Ville, le Musée régional ou l’UQAR, ne l’a contacté pour rapatrier, et éventuellement exposer, les objets les plus précieux de la collection.
En 2021, à l’occasion du 325e de l’établissement des Européens à Rimouski, l’archéologue à la retraite avait pourtant lancé un appel aux Rimouskois pour qu’ils se réapproprient leur histoire.
Deux ans plus tard, rien. Il s’est donc résigné, le 16 octobre dernier, à remettre les plus anciens objets de l’histoire rimouskoise au gouvernement, qui les a entreposés avec des milliers, peut-être des millions d’autres, dans un entrepôt de Québec.
Il y a un manque d’intérêt pour la culture liée au patrimoine, ça, c’est clair, déplore Claude Chapdelaine.
Il y a quelques années, les plus beaux objets de la collection ont intégré une exposition intitulée Clovis, chasseur de caribou. L’expo s’est promenée au Québec et même en Ontario, mais jamais à Rimouski.
Claude Chapdelaine est à la retraite depuis quelques années, mais la passion ne l’a jamais quitté. J’ai encore de l’énergie, se plaît-il à rappeler. À tel point qu’il rêve un jour de revenir fouiller le site de Rimouski.
Un des seuls endroits où je reviendrais fouiller demain matin, c’est Rimouski, parce que c’est un petit trésor, ce site-là. Il est petit, mais il est riche!
Une citation de Claude Chapdelaine, archéologue et professeur émérite de l’Université de Montréal
Selon lui, avec un budget de 50 000 $ et même moins, il pourrait diriger bénévolement de nouvelles fouilles pendant deux mois. L’argent servirait à payer des étudiants, l’hébergement et les autres dépenses.
Mais je ne ferai aucune démarche, il faut qu’on vienne me l’offrir.