Résumé
Tournages américains au Québec Un départ en trombe… qui cache une suite incertaine
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
Les Studios MELS à Montréal
L’ère post-grèves des acteurs et scénaristes américains est officiellement enclenchée au Québec. Les grosses séries comme Abbott Elementary et Grey’s Anatomy reviennent en ondes, et surtout, les tournages hollywoodiens reviennent à Montréal. Les acteurs du secteur parlent d’une reprise « exceptionnelle », mais attention : la suite de 2024 pourrait l’être beaucoup moins.
Publié à 1h34 Mis à jour à 7h00
Marc-André Lemieux La Presse
L’année 2023 n’a pas été facile pour bon nombre de techniciens québécois. Les conflits de travail aux États-Unis ont paralysé la production cinématographique et télévisuelle pendant des mois. D’après le rapport annuel du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ), les grèves ont touché « de manière substantielle une très grande partie de l’industrie audiovisuelle au Québec » (production internationale, effets visuels, postproduction).
Depuis janvier, par contre, ça grouille. Selon nos sources, outre Ghosts, une comédie du réseau CBS en tournage à Montréal depuis décembre, la Belle Province accueille le nouveau Karate Kid avec Jackie Chan et Ralph Macchio, la série télé The Last Frontier, destinée au service de vidéo sur demande Apple TV+, et Blackbird, un long métrage des studios Skydance (Mission: Impossible, Transformers).
CAPTURE D’ÉCRAN D’UNE VIDÉO DE SONY PICTURES ENTERTAINMENT
Ralph Macchio et Jackie Chan tiendront la vedette du nouveau film Karate Kid, tourné à Montréal.
Ce départ en trombe est salué.
« Présentement, tous métiers confondus, nous avons approximativement 2000 personnes à l’emploi juste en productions américaines, souligne Christian Lemay, président de l’AQTIS 514 IATSE, le syndicat des techniciens québécois. C’est exceptionnel, parce qu’en production américaine, en début d’année, c’est mort, habituellement. »
« Ça roule vraiment à fond, confirme Patrick Jutras, président des studios MELS. On est à pleine capacité. On n’a pas un pied carré à louer. »
Devant Toronto et Vancouver
Montréal connaîtrait également un meilleur début d’année que Toronto, Vancouver et Calgary, trois autres territoires canadiens contre lesquels il rivalise pour attirer des productions étrangères.
« Ça tombe bien parce qu’on sent un ralentissement en production québécoise, indique Christian Lemay. C’est symptomatique du sous-financement. Les diffuseurs doivent relever des défis importants. On l’a constaté en voyant les licenciements chez Bell Média et Groupe TVA. Notre industrie est mise à l’épreuve, et c’est la raison pour laquelle la production américaine revêt une grande importance : ça crée des emplois. »
PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE
Christian Lemay, président de l’Association québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son (AQTIS 514 IATSE)
Un « immense point d’interrogation »
Ce démarrage fulgurant n’est toutefois pas garant du reste de l’année 2024.
Aux studios MELS, on parle d’un hiver « exceptionnel, mais circonstanciel ». Même son de cloche au BCTQ. Selon la présidente-directrice générale de l’organisme, Christine Maestracci, les tournages américains qui battent actuellement leur plein à Montréal devaient avoir lieu en 2023. Il s’agirait donc d’un rattrapage.
Quant au reste de 2024, il représente un « immense point d’interrogation ».
On fait des démarches à l’international pour attirer davantage de productions étrangères, mais pour l’instant, on n’a aucune confirmation. Il pourrait y avoir 3000 personnes au chômage cet été.
Christine Maestracci, présidente-directrice générale du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec
Malgré ce foisonnement momentané, un constat s’impose : le déclin entamé en 2021 se poursuit. « Avant, on accueillait toujours entre 20 et 30 tournages étrangers par année, note Christine Maestracci. En 2022, c’est tombé à 15, et l’an dernier, c’était 8… »
« L’industrie a changé, indique Patrick Jutras des studios MELS. Il y a 10-15 ans, le Québec faisait partie des destinations prisées. Mais au cours des dernières années, on est passé du 3e rang au 10e rang. »
Meilleurs incitatifs financiers demandés
Pour stopper cette décroissance, renverser la tendance et attirer davantage de productions américaines au Québec, le secteur de l’audiovisuel réclame de meilleurs incitatifs financiers du gouvernement.
« Le déplacement des tournages américains vers d’autres juridictions, comme l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta, c’est réel, insiste Christine Maestracci. On doit améliorer nos crédits d’impôt. C’est l’outil utilisé partout dans le monde pour rester compétitif. Ça vaut la peine. Chaque fois qu’on attire un tournage étranger, ce sont des capitaux neufs qu’on attire au Québec. »
« Il faut être capable de s’adapter, ajoute le vice-président et cofondateur de Grandé Studios, Andrew Lapierre. D’autres juridictions, comme Las Vegas, viennent d’améliorer leurs crédits d’impôt. Parce qu’ils savent l’importance des retombées. »
D’après Patrick Jutras, des studios MELS, chaque grosse production américaine qui s’installe au Québec entraîne « entre 80 et 100 millions de dollars » en retombées économiques.
Nouvelle grève en vue ?
Autre facteur qui rend 2024 difficile à prévoir : après la Writers Guild of America (WGA) et après la Screen Actors Guild (SAG-AFTRA), un autre syndicat, celui des techniciens américains, entreprendra des négociations avec l’Alliance des producteurs cinéma et télé américains (AMPTP). Le contrat de travail de plusieurs d’entre eux vient à échéance en juillet, et bien qu’aucun n’ait encore évoqué de possible « grève », les pourparlers entre les Teamsters, IATSE et l’AMPTP s’annoncent costauds, rapportait Deadline, en janvier.
« Leurs revendications ressemblent à celles des acteurs et des scénaristes, souligne Christian Lemay de l’AQTIS 514 IATSE. Ils craignent aussi l’impact de l’intelligence artificielle sur leurs métiers. »
Ce possible débrayage des techniciens américains pourrait sourire au Québec, observe Andrew Lapierre. Pour éviter qu’une autre grève vienne torpiller leurs productions, des studios américains pourraient décider de « rediriger » leurs productions vers Montréal, pour tourner ailleurs qu’aux États-Unis.
Retour des séries
PHOTO FOURNIE PAR ABC
Abbott Elementary
Depuis quelques semaines, on sent les effets du retour au travail des acteurs et scénaristes américains lorsqu’on allume son téléviseur. Les nouvelles saisons des séries qui devaient commencer l’automne dernier entrent – lentement, mais sûrement – en ondes. On dirait une rentrée télé avec cinq mois de retard, en plein mois de février. Ces derniers temps, des séries comme Abbott Elementary (ABC) ont repris l’antenne, tout comme The Conners (ABC), CSI : Vegas (CBS), Blue Bloods (CBS), The Good Doctor (ABC), The Rookie (ABC) et Young Sheldon (CBS). Mars marquera notamment le retour de 9-1-1 et Grey’s Anatomy (pour la 20e saison !) sur ABC. Ailleurs, on peut mentionner la reprise des tournages de Stranger Things, dont la cinquième et dernière saison est particulièrement attendue sur Netflix. Aucune date de sortie n’a toutefois été annoncée.
L’histoire jusqu’ici
2 mai 2023
La Writers Guild of America (WGA) déclenche une grève, entre autres pour améliorer les conditions de travail des scénaristes.
14 juillet 2023
Les acteurs américains (SAG-AFTRA) entament également un débrayage. Tous les tournages de films et séries télé américaines sont suspendus, au Québec comme aux États-Unis.
24 septembre 2023
La WGA et l’Alliance des producteurs cinéma et télé (AMPTP) concluent une entente de principe.
9 novembre 2023
Fin du conflit de travail des acteurs