Le pari du Stade olympique
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Les concerts de Metallica marqueront-ils le retour en grâce du Stade olympique?
Benoit Valois-Nadeau
7 août 2023
Culture
Pour les quelque 60 000 fans de Metallica qui franchiront les portes du Stade olympique les 11 et 13 août prochains, les deux concerts seront une occasion de revoir leur groupe favori à Montréal pour la première fois depuis 2017. Mais pour la direction du Parc olympique, ce sera une rare chance de réaffirmer la place de l’immense stade de béton, et de Montréal, comme arrêt valable pour les plus grandes (et lucratives) tournées en Amérique du Nord.
Si le Stade a accueilli son lot de gros noms dans les années 1970, 1980 et 1990, il faut remonter à la fin de l’été 2015 et aux passages d’AC / DC et de One Direction pour assister à des concerts d’envergure internationale dans l’enceinte olympique. Seulement quatre grandes tournées se sont arrêtées à l’édifice dessiné par Roger Taillibert depuis le début des années 2000.
« La réputation du Stade, à une certaine époque, c’était que c’est très difficile d’y produire des spectacles et que les gens ne viendraient pas à cause du son. Les artistes ne voulaient pas jouer là », souligne Nick Farkas, vice-président de la programmation, des concerts et événements chez Evenko, le promoteur qui encadre la venue de Metallica au Stade olympique.
Evenko et la direction du Parc olympique se croisent donc les doigts pour que ce double concert soit un succès.
« C’est important pour nous que ce soit une réussite. Et encore plus important pour le Stade. Si ce n’est pas un succès, ce sera très difficile de convaincre des artistes d’y revenir », convient Nick Farkas.
La Société de développement et de mise en valeur du Parc olympique, organisme qui a remplacé la Régie des installations olympiques en 2020, veut d’ailleurs attirer une vingtaine de concerts au Stade lors des 10 prochaines années, un rythme qui s’apparente à celui des années 1980 et 1990.
Pour y arriver, le Parc olympique a lancé une grande opération séduction, notamment en envoyant ses représentants à Los Angeles retisser des liens avec les bonzes de l’industrie musicale.
« Pendant un certain temps, on a été un peu passifs en matière de développement, admet Alain Larochelle, vice-président de l’exploitation et du développement commercial du Parc olympique. On devait donc se réinscrire sur l’itinéraire de tournée des artistes, leur expliquer notre projet, et nos intentions d’améliorer l’acoustique et l’expérience client. »
Selon M. Larochelle, la réaction a été très positive. Le succès des festivals Fuego Fuego, Fierté Montréal et Metro Metro sur l’esplanade du Parc olympique a également contribué à jeter un éclairage positif sur le Stade.
« On va être scrutés à la loupe, mais tout le monde veut que ça fonctionne. L’industrie est ravie de revoir Montréal et le Stade comme une option pour les grands concerts. Maintenant, il faut remplir nos engagements », affirme Alain Larochelle.
Le son du Stade
L’enjeu numéro un sera évidemment l’acoustique. Malgré quelques succès, la qualité sonore du lieu n’a jamais fait l’unanimité. En 1993, lors l’arrêt au Stade de son Girlie Show, une Madonna agacée par les nombreux retours de son avait résumé l’évidence : « Cet endroit a été créé pour le sport et non pour un spectacle de musique ! ».
« Pour un mélomane, le Stade sonne tellement “cacanne”. Le son se réverbère un peu partout et revient vers les spectateurs, explique le musicologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal, Danick Trottier. En 2015, au concert d’AC / DC, j’avais l’impression d’entendre un groupe rock répéter dans un garage à deux maisons de chez nous ! »
La forme ovale du Stade, l’omniprésence du béton et, surtout, le matériel de sonorisation de l’artiste en tournée ont une influence sur la qualité sonore de l’endroit.
« C’est la responsabilité de la salle de s’assurer que les conditions soient les meilleures possible pour que le band donne le meilleur show possible. Mais c’est surtout l’artiste [et son matériel] qui est responsable du son », juge Nick Farkas.
Emerson, Lake&Palmer et Pink Floyd, qui s’est produit à trois reprises dans l’ancien domicile des Expos (1977, 1988 et 1994), font partie de ceux qui ont réussi à dompter l’immense machine qu’est le Stade en y mettant temps, efforts et équipements adéquats.
« Lorsqu’une équipe technique de qualité décide de transformer le Stade en un lieu où le son va bien passer, c’est possible d’avoir un bon résultat », estime Danick Trottier.
C’est du moins ce qu’espère le Parc olympique, qui a envoyé des membres de son équipe technique au spectacle de Metallica au Stade de France en mai dernier pour observer le déroulement de la soirée.
« La technologie sonore s’est tellement améliorée [depuis les derniers concerts au Stade], on est maintenant capables d’envoyer du son de manière directionnelle, plutôt que de tout cracher de la scène vers la foule. Pour Metallica et son équipe, ce n’était même pas un enjeu [de jouer au Stade olympique] : ils ont fait des stades à travers le monde et leur équipe de son est de très haut niveau », soutient Nick Farkas.
La forme circulaire de la scène déployée par Metallica, qui est entourée de huit tours de son, devrait également permettre une meilleure répartition sonore.
Sans promettre une acoustique symphonique, le dirigeant d’Evenko dit avoir « confiance que ce sera le meilleur son qu’on ait jamais eu au Stade ».
Pour une amélioration permanente, il faudra cependant attendre un nouveau toit, projet complexe plusieurs fois remis aux calendes grecques.
« Tant qu’on n’a pas un nouveau projet de toit confirmé, on se garde d’apporter des correctifs sur la structure du Stade pour améliorer l’acoustique, parce qu’on dépenserait probablement de l’argent pour rien », indique Alain Larochelle.
Gros spectacle, grosses retombées
Les tournées de grande ampleur, avec décors et artifices à l’appui, ont connu leur heure de gloire dans les décennies 1980 et 1990, période qui coïncide avec les grosses années du Stade en matière d’achalandage.
Cette tendance au gigantisme s’est essoufflée au début des années 2000, décennie pendant laquelle Montréal a vu l’émergence de grands festivals et l’arrivée en force du Centre Bell.
« Il y a maintenant plusieurs possibilités autres que le Stade pour les artistes qui ont la capacité d’attirer de grandes foules : Osheaga et le parc Jean-Drapeau, le Festival d’été de Québec, le Centre Bell », énumère Danick Trottier.
Mais les tournées de stade reprennent de l’ampleur depuis quelques années, surtout depuis la fin des restrictions pandémiques.
Taylor Swift, qui jouera six fois au Centre Rogers de Toronto en novembre 2024, s’arrête uniquement dans des stades de grande taille pour sa tournée The Eras, tout comme Coldplay ou Beyoncé.
« Il n’y a pas une énorme quantité de tournées de stade en ce moment, peut-être 5 ou 6 par année. Mais Montréal pourrait être un arrêt. Si on peut prouver [à l’industrie] que l’expérience a été améliorée, je pense qu’il y a un avenir pour le Stade », expose Nick Farkas.
Et peut-être une occasion à saisir pour Montréal. Une étude économique estime que les deux arrêts de Taylor Swift à Denver en juillet dernier auraient contribué pour 140 millions de dollars américains au PIB du Colorado. Ses fans auraient dépensé en moyenne 1327 $US pour assister au spectacle (billets, transport, chambre d’hôtel et repas) pour des dépenses totales avoisinant les 200 millions de dollars.
De même, Beyoncé est soupçonnée d’avoir contribué à elle seule à la hausse du taux d’inflation en Suède en mai dernier, lorsqu’elle a lancé sa tournée mondiale à Stockholm. L’afflux de milliers de fans de la chanteuse dans la capitale suédoise a fait exploser le prix des chambres d’hôtel et des restaurants.
« Le tourisme musical, c’est énorme, et je crois qu’on ne l’a pas encore bien compris, estime Nick Farkas. Ça fait rayonner la ville et ça génère beaucoup de retombées économiques. »
Pour les deux concerts de Metallica à Montréal, 50 % des billets ont été achetés hors Québec, révèle Alain Larochelle.
« Ça veut dire qu’une personne sur deux va probablement prendre une nuitée à Montréal. Faites le calcul ! souligne le vice-président du Parc olympique. Les concerts et festivals sont des produits de développement touristique à fortes retombées pour Montréal et le Québec. C’est pour ça qu’on doit avoir les grands concerts. »
L’HISTOIRE DU STADE EN QUELQUES CONCERTS MARQUANTS
23-24 juin 1977
C’est à une dizaine d’artistes québécois, dont Félix Leclerc et Robert Charlebois, que revient l’honneur de présenter le premier concert au Stade, lors des célébrations de la Saint-Jean de 1977.
6 juillet 1977
Si on annonce 78 322 billets vendus pour le concert de Pink Floyd, un record, ce sont vraisemblablement plus de 80 000 spectateurs qui envahissent l’enceinte, certains atteignant même l’anneau technique ! Sur scène, le groupe paraît coupé de son public et Rogers Waters, à bout de patience, crache au visage d’un spectateur indiscipliné. L’incident inspirera l’album The Wall.
16 août 1984
Diane Dufresne reste à ce jour la seule artiste québécoise à avoir « fait le Stade » à elle seule. Devant les 50 000 spectateurs présents, la diva fait une entrée triomphale vêtue d’une robe rose dotée d’une traîne de 60 mètres (environ 200 pieds) de long.
16 et 17 septembre 1984
Au sommet de sa popularité, Michael Jackson débarque au Stade en compagnie de ses cinq frères et de 367 tonnes d’équipement. Presque 115 000 personnes au total assistent aux deux représentations.
16 et 18 juin 1988
Les réserves sur l’acoustique du Stade n’ont pas empêché le Festival international d’opéra d’y présenter une version monumentale d’Aïda, de Verdi. La production comprend des reproductions des pyramides de Gizeh et du Sphinx, plus de 700 figurants, ainsi que cinq éléphants et un chameau.
17 septembre 1988
Bruce Springsteen, Sting, Peter Gabriel et… Michel Rivard ! Amnistie internationale a réuni une brochette impressionnante d’artistes pour la tournée Human Rights Now !, qui souligne les 40 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Rivard et Daniel Lavoie ont rejoint la troupe le temps de l’arrêt montréalais.
8 août 1992
Le dernier passage de Metallica au Stade s’est plutôt mal terminé : le chanteur James Hetfield est transporté à l’hôpital, brûlé par une pièce pyrotechnique. Après avoir fait attendre le public pendant deux heures, Guns N’Roses, le groupe suivant sur l’affiche, ne joue que 30 minutes avant de partir. Résultat : 55 000 métalleux en colère, une nuit d’émeute et un demi-million de dollars de dommage.
2 novembre 1997
On connaît la popularité de U2 à Montréal, mais le groupe s’est surpassé en 1997 en provoquant le déménagement des Alouettes. U2 ayant réquisitionné le Stade olympique pour un concert, les Moineaux sont forcés de disputer un match au stade Percival-Molson. Découvrant les joies d’un amphithéâtre intime en plein coeur du centre-ville, l’équipe y établit son nid la saison suivante.