Résumé
Drones et cellulaires en prison La GRC pourrait agir, mais ne le fait pas
PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
À l’Établissement de détention de Montréal, les gardiens rapportent en moyenne deux intrusions de drone par jour.
La Gendarmerie royale du Canada (GRC) dispose depuis cinq ans des moyens de perturber les intrusions de drones et de cellulaires de contrebande dans les prisons. Mais elle ne s’en sert pas.
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Tristan Péloquin Équipe d’enquête, La Presse
Ce qu’il faut savoir
- Le nombre d’intrusions de drones et de téléphones de contrebande dans les prisons et pénitenciers est en croissance constante. Les syndicats d’agents correctionnels parlent d’un fléau impossible à maîtriser.
- La GRC est la seule entité au pays autorisée à utiliser des brouilleurs d’ondes dans les prisons.
- Québec demande à Ottawa de lui accorder une exception à la Loi sur la radiodiffusion pour déployer ses propres appareils. La GRC confirme qu’elle ne participe à « aucune opération de ce genre » au pays.
Alors que le ministre de la Sécurité publique du Québec, François Bonnardel, affirme qu’il est « urgent » qu’Ottawa l’autorise à utiliser des brouilleurs d’ondes pour maîtriser le fléau des téléphones, le corps policier fédéral demeure la seule entité au pays disposant d’une exemption dans la Loi sur la radiodiffusion qui l’autorise à déployer cette technologie à des fins de « sécurité publique, notamment les pénitenciers et les prisons ».
La GRC « pourrait fournir un soutien au Service correctionnel du Canada […] si elle recevait une demande d’aide en ce sens », reconnaît l’organisation, mais elle « n’est pas au courant des projets ou des opérations qui se mènent dans les établissements correctionnels au Canada ».
La GRC n’intervient pas non plus dans les prisons provinciales avec cette technologie, confirme Québec.
Les syndicats d’agents correctionnels réclament depuis plusieurs années que les brouilleurs d’ondes soient ajoutés à l’arsenal d’outils dont ils disposent pour s’attaquer à la contrebande.
Le cas Bordeaux
À l’Établissement de détention de Montréal (prison de Bordeaux), les gardiens rapportent en moyenne deux intrusions de drone par jour. Ces derniers livrent notamment des téléphones de contrebande, affirme le président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (SAPSCQ-CSN), Mathieu Lavoie.
C’est rendu un aéroport ! Les cellulaires, l’an dernier, on en a saisi au-dessus de 1500.
Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec
L’utilisation de brouilleurs d’ondes est considérée par plusieurs experts comme l’un des moyens les plus efficaces pour perturber les vols de drones. En émettant un rayonnement électromagnétique puissant, ils bloquent le signal de la télécommande du contrebandier. Ces dispositifs, qui peuvent aussi brouiller les signaux GPS, sont largement utilisés en Ukraine, tant par les Russes que par les Ukrainiens, pour nuire au contrôle des drones kamikazes ennemis.
De la même façon, en émettant du bruit électromagnétique, les brouilleurs d’ondes peuvent empêcher les téléphones de se connecter aux antennes des réseaux cellulaires. Ils sont utilisés en France dans environ 60 % des prisons, selon un document du Sénat.
L’exemption, accordée à la GRC pour la première fois en 2019 après une longue consultation avec l’industrie de la radiodiffusion, a été renouvelée en décembre dernier. Seul le personnel de la Défense nationale et des Forces armées est aussi autorisé à utiliser des brouilleurs d’ondes, mais pas dans les pénitenciers.
Plutôt que de demander l’aide ponctuelle de la GRC pour mener des opérations de brouillage, le ministère de la Sécurité publique du Québec multiplie les demandes auprès d’Ottawa pour obtenir le droit d’installer cette technologie de manière permanente dans les 17 prisons provinciales pour perturber les téléphones de contrebande.
« Pour moi, il est inadmissible que des détenus continuent d’utiliser des téléphones cellulaires à l’intérieur des murs », a déclaré le ministre François Bonnardel sur X, en marge d’une rencontre à Yellowknife avec ses homologues canadiens.
François Bonnardel, ministre de la Sécurité publique du Québec
« Nous avons reçu des signaux très positifs de la part du gouvernement fédéral et allons laisser nos équipes au ministère de la Sécurité publique échanger avec Innovation, Sciences et Développement économique Canada pour régler ce problème le plus rapidement possible », indique le cabinet du ministre de la Sécurité publique du Québec dans un échange écrit avec La Presse.
Forte résistance de l’industrie
Selon Kyle Davidson, spécialiste des moyens de guerre électroniques chez Agile EM (une firme d’Ottawa ayant récemment gagné une bourse de 500 000 $ pour développer une technologie antidrone), l’utilisation des brouilleurs d’ondes fait depuis plusieurs années l’objet d’une « forte résistance » de l’industrie des télécommunications.
Les compagnies de téléphonie paient le gros prix pour avoir accès aux ondes radio. Elles ne veulent surtout pas qu’une prison fasse planter le réseau de téléphonie d’une ville entière.
Kyle Davidson, spécialiste des moyens de guerre électroniques chez Agile EM
Service correctionnel Canada affirme mettre à l’essai des détecteurs de téléphones cellulaires et des détecteurs de drones dans certains de ses établissements.
Selon le Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO SACC-CSN), ces détecteurs sont « relativement efficaces », sans être une panacée. « C’est bien beau, mais même si on arrive à 100 % de détection, encore faut-il avoir les ressources pour intercepter les appareils qui sont détectés », nuance le vice-président syndical, Frédéric Lebeau.
« Les brouilleurs d’ondes seraient une corde supplémentaire à notre arc. Mais malheureusement, il y a un manque de volonté politique pour régler ce dossier », croit M. Lebeau.
Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse