La scène a duré 20 secondes, tout au plus.
Résumé
Hausse du crime à Montréal Des petits airs de Far West
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
Intervention policière au centre-ville de Montréal, le 23 juillet 2022
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Maxime Bergeron La Presse
La scène a duré 20 secondes, tout au plus.
Publié à 1h12 Mis à jour à 5h00
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C’était jeudi dernier, au cœur d’un après-midi ensoleillé, dans une succursale de la SAQ à cheval entre le centre-ville et le Plateau Mont-Royal.
Un homme hirsute entre d’un pas décidé. Il attrape une grosse bouteille de vodka sur un rayon, sous le regard désabusé des commis. Ils ont à peine le temps de pousser un petit « heille » que le voleur est déjà sorti.
Fin de la scène.
« Vous ne faites rien pour l’arrêter ? ai-je demandé à une employée.
— Ça arrive tous les jours. On ne mettra pas notre sécurité en jeu pour une bouteille de fort. Des collègues se sont déjà fait taper à coups de bouteille, justement.
— Et la police ?
On l’a appelée quelques fois. Elle nous demande si le voleur est encore là, ce qui n’est jamais le cas. On ne l’appelle plus. Ça ne sert à rien. »
Je suis sorti de ce magasin avec un sentiment de tristesse et de stupéfaction.
En sommes-nous rendus au point, à Montréal, où la criminalité rampante est devenue un fait acquis qu’on accepte en haussant les épaules ?
Montréal est-elle en train de se transformer en zone de non-droit ?
J’écris souvent sur les questions de désordre public et autres réalités montréalaises, et vous êtes nombreux à me faire part de vos mésaventures plus ou moins graves.
Ça ratisse large et ça fait peur, parfois. De plus en plus souvent, en fait.
PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE
Intervention policière dans le quartier chaud de Milton-Parc, en 2022
Harcèlement de rue, consommation de drogues dures en public, violence verbale, vols, attaques gratuites, gens en psychose : les situations que vous me relatez tournent beaucoup autour des problèmes de santé mentale, de dépendance et d’itinérance. Souvent en combo.
Toutes ces histoires ont un point en commun. Elles révèlent un sentiment d’insécurité de plus en plus grand, tant dans les rues que dans les transports publics.
La métropole reste plus sûre que bien d’autres villes nord-américaines, d’accord, mais les chiffres ne mentent pas : la criminalité est en forte hausse depuis maintenant plusieurs années. L’effet cumulatif est visible et indéniable.
Les crimes contre la personne, comme les voies de fait, les agressions sexuelles et les vols avec violence, ont bondi de 13 % l’an dernier, selon le dernier bilan annuel du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
De 2018 à 2023, la hausse s’élève à 51 %. Plus de 31 000 crimes contre la personne ont été rapportés au SPVM l’an dernier, quelque 10 000 de plus qu’en 2018 !
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La tendance est inquiétante, et on parle seulement ici des infractions qui sont signalées au SPVM. Beaucoup ont renoncé à contacter les autorités lorsqu’ils observent ou subissent un crime.
D’autres continuent à appeler le 911, mais perdent espoir que leurs plaintes donnent des résultats.
L’homme d’affaires Peter Sergakis, propriétaire de plusieurs restaurants et bars dans les secteurs chauds du Quartier chinois et du Village, est du lot. Il est excédé des larcins commis en toute impunité dans ses commerces et ses immeubles résidentiels.
PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE
Peter Sergakis est propriétaire de plusieurs restaurants et bars dans le Quartier chinois et le Village.
Au fil de nos conversations, il m’a relaté plusieurs situations stupéfiantes, photos et vidéos à l’appui. Comme cette fois récente où un sans-abri a fracassé la vitrine de l’un de ses restos pour y voler de l’alcool… qu’il a revendu le lendemain dans le parc situé juste en face !
« La police ne fait rien, m’a lancé Sergakis. Ce n’est pas juste moi qui suis rendu à boutte, c’est tous les citoyens qui sont rendus à boutte. »
Les agents du SPVM sont loin de se tourner les pouces. Mais manifestement, ils sont débordés.
Ils sont eux aussi à boutte, dans bien des cas, si je me fie à Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, qui représente 4500 membres. « Ça craque de partout. »
Les policiers sont appelés en première ligne quand une personne sans-abri, intoxiquée ou en crise de santé mentale fait du grabuge. Ce type d’interventions, de plus en plus fréquent, requiert beaucoup de temps, mais produit peu de résultats, dit M. Francœur.
« Notre seul recours, c’est de les amener à l’hôpital, et les hôpitaux n’ont pas les ressources pour les prendre en charge, explique-t-il. Nos policiers arrivent aux urgences, commencent leur rapport, et souvent, ils n’ont même pas fini que les gens sont déjà en train de sortir. C’est le phénomène des portes tournantes. »
Yves Francœur comprend les Montréalais de ne plus toujours se sentir en sécurité dans la rue ou dans le métro.
Les gens ont raison d’avoir peur.
Yves Francœur, président de la Fraternité des policiers
Je vous parlais plus haut du bilan 2023 du SPVM. Le corps policier a publié récemment des données encore plus fraîches, celles du premier trimestre de 2024.
C’est comme une photo instantanée, qui permet de prendre le pouls à un moment précis. Et la photo n’est pas très jolie.
En bref, la hausse de la criminalité observée depuis quelques années se poursuit en 2024. Le nombre de crimes contre la personne a augmenté de « seulement » 5 % pendant les trois premiers mois de l’année, par rapport à la même période en 2023. Il y a eu davantage de voies de fait, de vols qualifiés et un homicide de plus, mais moins de décharges d’armes à feu et de tentatives de meurtre.
La hausse globale n’est pas catastrophique, mais on part d’une base déjà élevée. Et certains quartiers dans le lot font très mauvaise figure.
Dans l’est du Village, par exemple, les crimes contre la personne ont explosé de 33 % sur un an. Ce sont principalement les voies de fait et les vols qualifiés qui sont en forte hausse.
Dans certains secteurs de Saint-Léonard et de Saint-Michel aussi, les crimes contre la personne ont bondi du tiers. Ça joue dur.
Encore quelques trimestres à ce rythme, et l’incident de la SAQ que je vous relatais d’entrée de jeu pourrait presque avoir l’air anodin.