Alcool au volant Le gouvernement Legault dit non au 0,05
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
(Québec) Après discussions en caucus, le gouvernement Legault maintient son refus d’imposer des sanctions administratives aux conducteurs dès que leur alcoolémie atteint 0,05.
Publié à 10h37 Mis à jour à 12h14
Tommy Chouinard La Presse
Le Québec est la seule province canadienne à ne pas disposer d’une telle mesure dans son arsenal contre l’alcool au volant.
La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, écarte ainsi le dépôt d’un amendement pour ajouter cet outil dans sa réforme du Code de la sécurité routière à l’étude à l’Assemblée nationale. Le gouvernement reste inflexible malgré la relance du débat sur le 0,05 la semaine dernière. Des groupes comme CAA-Québec et l’Association de la santé publique du Québec ont recommandé d’adopter cette mesure, études scientifiques à l’appui. Mais c’est surtout une controverse sur les méthodes de financement de la Coalition avenir Québec qui a placé l’enjeu à l’avant-scène.
En pleine commission parlementaire sur le projet de loi concernant la sécurité routière, un couple a révélé qu’il a été invité par une employée d’une députée caquiste à payer 200 $ pour rencontrer Geneviève Guilbault lors d’un cocktail de financement de la Coalition avenir Québec. Elizabeth Rivera et Antoine Bittar, dont la fille a été tuée dans un accident de la route causé par l’alcool au volant, milite pour que le Québec rejoigne les autres provinces canadiennes et adopte le 0,05.
Le parti lui a présenté des excuses au couple et lui a remboursé son don de 200 $. Mais sur le fond, il refuse de lui donner raison.
C’est une autre occasion où le 0,05 frappe un mur à l’Assemblée nationale.
Le gouvernement Charest avait tenté à deux reprises, en 2007 et en 2010, d’imposer une suspension pendant 24 heures du permis de conduire d’un automobiliste dont l’alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,08. Il avait reculé chaque fois devant la grogne des restaurateurs et les hauts cris des partis de l’opposition.
La Table québécoise de la sécurité routière, présidée par Jean-Marie de Koninck, avait recommandé l’abaissement de la limite d’alcool en 2009 puisque « son impact sur le bilan routier est indéniable et puisque la mise en place de cette mesure contribue à réduire le nombre de victimes causées par l’alcool au volant ».
En 2010, L’Institut de la santé publique avait lui aussi recommandé le 0,05. « La littérature scientifique est unanime quant à l’effet de l’abaissement du taux d’alcoolémie légal sur les collisions routières ». « La performance lors de la conduite d’un véhicule automobile est négativement affectée à partir d’un taux d’alcoolémie de 50 mg/100 ml ». À ce taux, le risque de collision avec blessures graves, voire mortelles, est « multiplié de manière significative », ajoutait-il.
En 2017, le gouvernement Couillard avait écarté cette option quand il avait revu le Code de la sécurité routière. Le ministre des Transports André Fortin – toujours député libéral de Pontiac – plaidait qu’il est préférable d’être plus sévère contre les récidivistes de l’alcool au volant. Or à l’époque, le ministère de la Justice suggérait que le Québec suive l’exemple des autres provinces et adopte le 0,05, selon un document que La Presse avait obtenu.
Aujourd’hui, le député libéral Monsef Derraji entend déposer un projet de loi pour que le Québec adopte le 0,05. Il présente une motion ce mercredi pour que l’Assemblée nationale se prononce en faveur de cette mesure. Cette motion sera soumise au vote jeudi. Mais la majorité caquiste va la rejeter, selon ce qui a été décidé au terme d’une réunion de son caucus.
Comme le PLQ, Québec solidaire est favorable au 0,05. Le Parti québécois répond de son côté qu’« il n’y a rien là-dessus dans (son) programme » à l’heure actuelle. « On en discute, on est ouverts », s’est contenté de dire le chef Paul St-Pierre Plamondon.
CAA-Québec a demandé à Geneviève Guilbault d’adopter le 0,05 lors de son passage en commission parlementaire la semaine dernière. Les sanctions administratives, des « amendes ou suspensions temporaires de l’usage d’un véhicule » aurait un effet éducatif « important ». « Ça peut toucher des catégories de gens qui seront sensibilisés à jamais », a dit sa vice-présidente Sophie Gagnon. « On trouve que c’est important cette mesure qui viendrait permettre de lever un drapeau rouge pour la personne qui prendrait ce petit verre de vin de trop lors d’un repas, a ajouté l’ex-policier André Durocher. On va vraiment frapper la masse. Les cas de grande intoxication, oui, il y en a, mais ce n’est rien comparé au nombre de personnes dont les capacités sont légèrement diminuées. »
L’Association Restauration Québec s’oppose au 0,05 notamment parce qu’elle craint une perte de profits sur la vente d’alcool. Or le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a répondu à la presse parlementaire mercredi qu’adopter le 0,05 ne serait pas nuisible aux commerçants selon lui. Il a refusé de dire s’il est lui-même pour ou contre la mesure.
« Conduire un peu chaud » : la chronique de Patrick Lagacé
Encore une fois la CAQ priorise l’argent avant la sécurité publique. Pas besoin de démontrer que ce gouvernement est pro-automobile puisqu’en dépit d’études scientifiques et de l’appui d’importants organismes dont le CAA Québec et même l’unanimité des autres provinces canadiennes, notre gouvernement persiste dans son entêtement à sévir afin de protéger les plus vulnérables dans notre société.