Chronique de Léa Stréliski dans le magazine l’Actualité
L’avenue Saint-Denis
Je pédalais et devinez ce que je faisais ? Je remarquais les vitrines. Je voyais tous les magasins que je ne voyais pas d’habitude. Et j’avais envie d’y rentrer. Le vélo va sauver la rue Saint-Denis.
Société
Léa Stréliski
16 novembre 2020
J’avais très peur de faire du vélo. En ville. Le vélo, pour moi, c’était l’île de Ré. Mon autre île, après celle de Montréal. Ma tante y vit. La sœur de mon père, qui est français. L’île de Ré est une petite île au large de La Rochelle, en France. Ça fait très bourgeois de dire qu’on va en vacances à l’île de Ré. Elle est envahie par les Parisiens chics chaque année, mais ma tante y vit depuis presque toujours. J’ai connu l’île pour ses ânes et ses marais salants, avant qu’elle soit synonyme de mocassins et de pulls noués dans le cou.
J’adorais y aller. Début vingtaine. La beauté des paysages y est époustouflante, et puis, elle a encore ce côté sauvage. Surtout en basse saison. On s’y sent libre et on y roule à vélo. Partout. Dans les villages, le long des routes, vers la plage. C’était ça, pour moi, le vélo. Je n’imaginais pas en enfourcher un, un jour, dans les rues bruyantes d’une grande ville.
Ça faisait 15 ans que je n’avais pas tenu de guidon. Mais, pandémie oblige, en plus du fait d’avoir abandonné le véhicule familial il y a un an et demi, le temps était venu de faire comme tout le monde, de se risquer à deux roues entre les piétons, les voitures et les camions.
Montréal, au grand dam de plusieurs, devient une ville qui se parcourt à vélo. Je répète que je n’étais pas vendue à l’idée. Lorsque je conduisais un gros VUS de sept places, j’avais horreur des vélos. Tout simplement parce qu’ils me faisaient peur. Au-delà d’une polarisation évidente de la société, de chacun qui peut rester dans son camp, je pense que le débat auto contre vélo est motivé par la peur. Les vélos dérangent les voitures parce qu’ils prennent de plus en plus de place, ils sont perçus (souvent à tort) comme les voyous de la route et, surtout, on a peur d’en frapper un. Alors, le gros peste contre le petit, comme une queue de bœuf s’agite pour chasser les mouches.
Si vous êtes automobiliste et que vous avez peur des vélos, votre seule solution, c’est de vous en acheter un. C’est la meilleure manière d’arrêter de les redouter. Les comprendre. Commencez à pédaler, je vous jure que vous ne le regretterez pas. Je sais que je sonne comme quelqu’un qui veut que vous vous mettiez au jogging, mais je vous promets que si vous vous mettez à pédaler, qui que vous soyez, vous allez vous demander pourquoi vous ne l’avez pas fait avant. Allez-y mollo. Des petites courses. Pas besoin de faire le Tour de l’île. Juste s’affranchir de la voiture et aller vers ce qui nous fait peur, ça change une vie.
Je circulais sur la fameuse piste cyclable qui fait hurler tout le monde depuis des mois, celle sur Saint-Denis. Mon Dieu qu’on aime ça, chialer. Je comprends que plein de gens souffrent en ce moment. Mais pour vrai, cette rue, madame la mairesse, vous êtes en train d’en faire une avenue. On devrait la rebaptiser. Parce qu’elle va renaître. Je m’y promenais en ayant le sentiment qu’enfin, le plus petit avait de l’importance, et l’humain plus que la machine. On m’avait fait, à moi, un couloir prioritaire. En béton ! Imaginez. On avait dérangé tout le monde pour prioriser le vulnérable. Qui ose faire ça ? Quand est-ce que ça arrive ? Merci, Mme Plante, d’avoir le courage de tenir votre bout. Tout le monde chiale pendant qu’on change les choses, qu’on fait les travaux, mais un jour, le progrès s’installe. S’il fallait s’arrêter à chaque accouchement parce que c’est sale, que ça fait mal et que c’est bruyant, y aurait pas grand monde sur la terre.
Je pédalais et devinez ce que je faisais ? Ben oui, je regardais les vitrines. Je remarquais tous les magasins que je ne voyais pas d’habitude et, pire que ça, j’avais naturellement envie d’y rentrer. D’enregistrer dans ma petite tête que Saint-Denis est à nouveau une artère commerciale où j’ai envie d’aller. À vélo. Simplement. Pour m’y promener, m’acheter un livre, flâner et découvrir cette rue qui renaîtra en avenue.