Discussion sur le réseau d’eau potable de Montréal.
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Dans l'actualité: Le jour où Montréal a failli manquer d’eau
Ville de Montréal - L’eau de Montréal - Conduites (montreal.qc.ca)
PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE
À l’été 2019, les autorités de Montréal ont découvert qu’une énorme conduite d’eau située le long de l’autoroute Ville-Marie risquait d’exploser, menaçant de couper l’alimentation en eau potable des Montréalais.
Une énorme conduite reliant la principale usine d’épuration de Montréal à son principal réservoir était en si mauvais état, en 2019, qu’elle aurait pu exploser. Plus d’un million de Montréalais auraient été privés d’eau potable quelques heures plus tard, dans la chaleur de l’été, alors que le tunnel Ville-Marie aurait pu être complètement inondé.
Publié le 6 mars 2021 à 5h00
Philippe Teisceira-Lessard
La Presse
Été 2019. Le cellulaire de Sylvain Ouellet, le vice-président du comité exécutif de Valérie Plante, se met à vibrer. C’est la directrice du Service de l’eau de la métropole.
« Quand elle m’appelle sur mon cellulaire sans avertissement, règle générale, ce ne sont pas des bonnes nouvelles », a expliqué M. Ouellet, il y a quelques jours, en se remémorant cette période.
L’élu a vu juste. Alors que les Montréalais profitent du beau temps, une lumière rouge vient de s’allumer sur le tableau de bord des services municipaux : une conduite névralgique qui alimente le plus important réservoir d’eau potable de la métropole est en si mauvais état qu’elle menace de rompre, le long de la rue Saint-Antoine, entre Atwater et Guy.
INFOGRAPHIE LA PRESSE
Source : Ville de Montréal
Et une conduite de ce type, en acier et en béton, ne fend pas sous la pression. Elle explose.
Si le pire survenait, le centre de l’île de Montréal – avec 1,2 million d’habitants et tous ses grands hôpitaux – manquerait d’eau potable après 16 heures. L’eau potable se serait plutôt déversée dans le tunnel Ville-Marie, situé tout près, qui aurait pu être complètement inondé, tout comme la ligne orange du métro et le quartier Petite-Bourgogne.
Un bris sur cette conduite-là de façon non planifiée, en plein milieu de l’été, c’est le scénario catastrophique ultime qui était évalué : il n’y avait plus d’eau dans les arrondissements centraux, plus d’eau au centre-ville, plus d’eau dans les hôpitaux.
Jean-François Dubuc, chef de division au Service de l’eau
Il y a bien des réservoirs, mais « en plein milieu de l’été, c’est une question d’heures [avant la panne sèche]. On a une réserve d’à peu près 16 heures », ajoute M. Dubuc.
Une crise d’une ampleur jamais vue depuis le verglas de 1998, admet la Ville de Montréal.
PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE
Sylvain Ouellet, vice-président du comité exécutif de Montréal
Cette conduite était « vraiment vitale », a résumé M. Ouellet. Rien ne sert de mobiliser une armada de camions-citernes, a fait valoir l’élu a posteriori : « C’est impossible d’alimenter Montréal avec des camions d’eau. Il n’y a juste pas assez de camions. » Loin de l’œil du public, les autorités de la sécurité civile se réunissent tout de même pour se préparer au pire et évaluer les scénarios possibles.
En cas de problème, Valérie Plante aurait pris la parole publiquement pour exiger que les Montréalais diminuent de façon importante leur consommation d’eau. Certains grands consommateurs industriels auraient été mis à l’arrêt.
État « très alarmant »
Retour quelques jours en arrière. C’est un rapport d’expertise d’une firme externe qui expose l’état déplorable de cette artère d’aqueduc : sur 900 mètres, la conduite est cinq fois plus dégradée que ce à quoi s’attendait le Service de l’eau. Le sel de déglaçage épandu en abondance sur l’autoroute Ville-Marie, en surplomb, serait en cause.
« Mon équipe est venue me voir avec les résultats. On les a analysés et on s’est rendu compte très rapidement qu’on faisait face à une situation critique », s’est rappelé M. Dubuc, en entrevue téléphonique avec La Presse.
PHOTO ARCHIVES LA PRESSE
Le tunnel Ville-Marie, près duquel se trouve la conduite névralgique. Si elle avait cédé, le tunnel aurait été inondé, tout comme la ligne orange du métro et le quartier Petite-Bourgogne.
« Ce n’est pas une conduite centenaire, c’est une conduite qui a peut-être une cinquantaine d’années. Elle n’était pas très vieille. C’est une des raisons pour lesquelles on a été surpris par son état de dégradation », a continué le fonctionnaire, qui évoque un état « très alarmant ». « Le corps de cette conduite-là est constitué d’un cylindre d’acier entouré d’un câble d’acier précontraint. La corrosion attaque ces câbles. » Le tout est recouvert de béton de part en part, censé assurer une couche de protection étanche. C’est en faisant passer un courant électrique dans la structure d’acier – et en analysant la qualité de transmission de ce courant – que les techniciens peuvent mesurer l’état de dégradation du tuyau.
Le Service de l’eau de la Ville de Montréal, qui doit gérer 4300 kilomètres de conduites dans un état très variable, est habitué à calculer les risques associés aux bris de ses tuyaux.
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Dans ce cas-ci, l’immense conduite de deux mètres de diamètre est trop importante et son état est trop dégradé pour simplement prévoir son remplacement à moyen terme : c’est le principal lien entre l’usine d’eau potable Atwater, à Verdun, et le réservoir McTavish, situé dans le flanc du mont Royal. Avec leur rythme estival de consommation, les Montréalais auraient mis moins d’une journée à vider les millions de litres d’eau du réservoir. « Ce genre de scénario-là n’est pas possible pour Montréal. Il n’est pas possible pour n’importe quelle autre ville de toute façon. »
La conduite problématique, « on a décidé de la mettre hors service » le 16 juillet 2019, a expliqué M. Dubuc. Un retrait ordonné permettait de se replier vers des conduites secondaires, toutefois sollicitées au-delà de leur capacité, le temps de construire un tuyau de contournement, puis de remplacer la conduite problématique.
À la vitesse grand V
Mais un tel remplacement ne pouvait pas se faire au rythme habituel d’attribution des contrats de la Ville de Montréal, déjà lent, mais encore ralenti dans les dernières années par de multiples niveaux de contrôles éthiques.
Le Service de l’eau a pris la voie rapide pour résoudre le problème : la mairesse Plante a déclaré une situation de force majeure dans ce dossier, libérant les fonctionnaires de certaines formalités, les tuyaux ont été précommandés et le contrat de remplacement a rapidement été accordé par le conseil municipal. Résultat des courses : un projet de 10 mois à une trentaine de millions de dollars, terminé trois semaines avant l’échéance, au printemps dernier. La conduite a été remplacée sur environ 600 mètres et remise à neuf sur environ 300 mètres.
PHOTO FOURNIE PAR LA VILLE DE MONTRÉAL
La conduite de deux mètres de diamètre a été remplacée sur environ 600 mètres et remise à neuf sur environ 300 mètres.
« Il n’y a pas eu d’hésitation à traiter ce dossier-là de façon prioritaire, a expliqué Sylvain Ouellet. Il fallait rapidement trouver une solution et régler le problème d’ici l’été suivant. »
C’était vraiment un contre-la-montre. Si on suivait les procédures habituelles de la Ville, on n’aurait eu aucune chance de terminer les travaux pour le début de l’été. De mémoire, ça faisait des décennies que des conduites d’aqueduc aussi grosses n’avaient pas été installées au Québec. Donc, il n’y en a pas en stock.
Sylvain Ouellet, vice-président du comité exécutif
Les fonctionnaires avaient d’ailleurs une oreille compréhensive : l’élu du district de François-Perrault avait lui-même été témoin de l’explosion d’une conduite d’aqueduc près du boulevard Pie-IX, quatre ans plus tôt. Le tuyau était plus petit et beaucoup moins névralgique, mais les dégâts avaient tout de même été importants : « Ça avait inondé plusieurs rues de mon district. […] C’était vraiment impressionnant. »
Un déficit d’investissement massif
Cette histoire se termine relativement bien, mais elle ne doit pas obscurcir la réalité, font valoir élus et fonctionnaires : le réseau d’aqueduc de Montréal est en très mauvais état après des années d’investissements minimaux. Le mois dernier, le comité exécutif de Valérie Plante s’est fait rappeler par la directrice du Service de l’eau, Chantal Morissette, que la majorité des infrastructures du réseau nécessitaient des réfections majeures, à coup de graphiques démoralisants.
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE
Chantal Morissette, directrice du Service de l’eau à la Ville de Montréal
« Les actifs de l’eau vieillissent », a-t-elle dit, affirmant que malgré une augmentation importante dans les dernières années, le réseau d’eau potable était sous-financé. En additionnant le rattrapage du retard accumulé et l’entretien normal du réseau, il manquerait environ 415 millions par année dans le budget du service, une somme colossale. « Nous devons augmenter encore les investissements. »
Le déficit d’entretien du réseau d’eau potable est évalué à 3 milliards. Près du tiers de l’eau potable que Montréal produit ne se rend jamais dans les robinets des Montréalais, en raison du grand nombre de fuites qui gangrènent le réseau.
La résolution de la crise en cinq dates
16 juillet 2019 : Après l’analyse technique, la conduite est fermée, son débit est envoyé vers des conduites secondaires qui dépassent alors leur capacité d’accueil normale.
20 août 2019 : Le ministère des Affaires municipales donne son accord pour accélérer le processus d’appel d’offres en annulant certaines formalités.
30 octobre 2019 : Avant même d’avoir trouvé son entrepreneur, la Ville de Montréal achète le tuyau qui sera nécessaire afin de l’obtenir rapidement.
4 décembre 2019 : En urgence, le comité exécutif de la Ville de Montréal confie à l’entreprise Michaudville le contrat de réfection.
26 mai 2020 : Mise en service de la conduite principale, remplacée aux deux tiers et réparée sur son dernier tiers.
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