Du pas-dans-ma-cour… en raison de la perte de stationnement et l’élimination d’une voie de circulation…
Texte complet : À Québec, des chantiers de verdissement et de piétonnisation suscitent la résistance
À Québec, des chantiers de verdissement et de piétonnisation suscitent la résistance
Photo: Francis Vachon, Le Devoir
La rue Saint-Vallier Ouest, dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec
Sébastien Tanguay
à Québec
25 mars 2024
Transports / Urbanisme
Dans la Ville de Québec, deux réaménagements proposés pour augmenter la canopée et la convivialité dans des quartiers centraux lourdement minéralisés suscitent le mécontentement d’une partie de la collectivité. En cause : la perte de stationnement et les perturbations provoquées par l’élimination d’une voie de circulation.
Le quartier Saint-Sauveur, en basse-ville de Québec, devient une terre de contrastes depuis quelques années. Une cohorte de jeunes professionnels s’enracinent dans ce quartier autrefois ouvrier : les restaurants gastronomiques et les cafés branchés côtoient maintenant les salons de coiffure où une clientèle d’aînés possède ses habitudes et la taverne Jos. Dion, plus vieil établissement du genre encore en activité au Canada.
Dans ce décor hétérogène, un sentiment rallie tout le monde : la rue principale a besoin d’amour. La Ville l’admet aussi et s’apprête à offrir à la rue Saint-Vallier Ouest une beauté d’au moins 32 millions de dollars, dont la moitié provient des coffres de l’État.
La cure de jouvence prévoit l’élargissement des trottoirs, la plantation d’environ 240 arbres en plus de 45 000 arbustes et autres herbacés, la réduction des surfaces bétonnées et l’apaisement de la circulation locale. Un nouveau mobilier urbain doit apparaître, des placettes publiques aussi : lors du dévoilement du chantier, le conseiller local, Pierre-Luc Lachance, promettait que cet embellissement constituerait son legs au quartier.
Tous, cependant, ne veulent pas de cet héritage.
Le réaménagement proposé se fait au sacrifice d’une voie de circulation — une aberration pour une partie de la population, qui voit, dans la création de ce sens unique, une menace à l’accessibilité et à la qualité de vie du quartier.
Plusieurs circuits d’autobus devront dévier de Saint-Vallier Ouest pour circuler en direction est. « Ça va obliger les gens à mobilité réduite à parcourir 150 ou 200 mètres de plus pour prendre l’autobus », déplore Serge Bernard, du comité citoyen local. Accès transports viables, Vivre en ville et le Collectif pour un transport en commun abordable et accessible à Québec, trois organismes de défense du transport en commun, dénoncent aussi en choeur le choix de la Ville.
La déviation de lignes d’autobus à haute fréquence vers de petites artères résidentielles suscite aussi l’inquiétude, voire l’indignation. « Notre rue Saint-Luc, c’est très tranquille, il n’y a pas de bruit, souligne Réal Couture. Personne ne veut se ramasser avec tout le trafic du quartier. »
Le sens unique amènera, selon son calcul, entre 150 et 200 autobus par jour dans sa rue déjà à l’étroit entre les pistes cyclables, la voie automobile et les bandes de stationnement. M. Couture appréhende les changements à venir : le vrombissement des moteurs, les émanations des tuyaux d’échappement, le va-et-vient constant du trafic lourd devant ses fenêtres, très peu pour lui. « Si la Ville va de l’avant, je déménage, c’est officiel », tranche le propriétaire qui bichonne sa maison depuis 2008.
Photo: Francis Vachon, Le Devoir
Réal Couture et Michelle Jomphe posent devant leur maison, rue Saint-Luc.
Plusieurs citoyens et commerçants, dans la rue Saint-Vallier Ouest et dans le quartier, applaudissent toutefois la volonté de la Ville et attendent des bénéfices majeurs une fois la poussière des travaux retombée en 2027. « C’est sûr qu’il va falloir traverser trois ans de chantier, concède Mickaël Gauvin-Latulippe derrière le comptoir du café Ma station. Au bout de ça, par contre, ça va vraiment être extraordinaire. »
D’autres, à l’inverse, songent déjà à partir. C’est le cas de Marc Gagnon, d’une famille d’horlogers de père en fils depuis 1927 dans Saint-Sauveur.
« Par le passé, la Ville a déjà carrément abandonné le quartier, se souvient-il. C’était une époque de prostitution, de criminalité, de malpropreté aussi… Mais je n’ai jamais autant réfléchi à partir que maintenant », lance l’héritier du commerce fondé par son grand-père.
Un « signal clair » de la population
Le conseiller des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch, Pierre-Luc Lachance, défend sa position. « Le statu quo est plus confortable pour tout le monde, souligne-t-il. Mais la situation actuelle ne découle pas du statu quo, sinon nous serions encore à la marche et aux chevaux. »
La société a évolué, l’urgence climatique aussi, maintient l’élu. « Nous devons composer, aujourd’hui, avec une façon de voir la ville qui n’est plus celle des années 1960 ou 1970 », croit Pierre-Luc Lachance. L’automobile doit maintenant céder un peu de son emprise sur les voies publiques, à son avis, pour faire de la place au verdissement et aux autres modes de déplacement.
« Nous pensons toujours en fonction de la pyramide des transports, où les plus vulnérables, au sommet, doivent être priorisés en matière d’aménagement. Le plus vulnérable, c’est le piéton, souligne l’élu. Il faut envoyer un message conséquent aux automobilistes et aux cyclistes. »
Notre rue Saint-Luc, c’est très tranquille, il n’y a pas de bruit. Personne ne veut se ramasser avec tout le trafic du quartier.
— Réal Couture
La Ville répond aussi aux désirs exprimés par la communauté, explique Pierre-Luc Lachance. En 2017, une consultation en ligne avait attiré plus de 1000 répondants et répondantes, dont 78 % demandaient de prioriser la verdure, la sécurité et la mobilité active lors des prochains travaux de réfection de l’artère.
Quant à la déviation des autobus par la rue Saint-Luc, assure le conseiller, elle demeure « à l’étude » et sujette à révision.
« Il n’y a pas 20 000 solutions pour augmenter la canopée dans des cadres déjà très bâtis », ajoute sa collègue Mélissa Coulombe-Leduc, conseillère du district Cap-aux-Diamants. Elle-même doit composer avec certaines protestations dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, où une proposition de verdissement des rues Saint-Olivier, Philippe-Dorval et Sutherland sacrifierait une quarantaine d’espaces de stationnement.
« C’est normal, et la réaction des gens qui ont une voiture est tout à fait légitime », admet la conseillère. Par contre, ajoute-t-elle, une consultation écrite a permis de sonder la majorité de la population riveraine des deux rues concernées et « 82 % des gens préféraient prioriser le verdissement au stationnement sur rue. Les chiffres ne mentent pas », souligne la conseillère, par rapport aux aspirations des citoyens dans Saint-Jean-Baptiste.
Dans le quartier Saint-Sauveur, les opposants tentent de mobiliser la communauté dans l’espoir que la Ville retourne à la planche à dessin. Deux manifestations ont attiré une centaine de personnes jusqu’à maintenant — au grand désarroi de Réal Couture, déterminé à mener bataille, mais convaincu de la perdre.
« Quand je jase avec les gens dans le quartier, 90 % disent que ça n’a pas d’allure, mais ils disent aussi que ça ne changera rien de manifester et que la Ville peut faire ce qu’elle veut. Moi, je ne suis pas d’accord : je pense qu’il faut toujours essayer de défendre notre point de vue. »