Vieux-Montréal Un train qui fait grincer des dents
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Le passage des trains dans le Vieux-Montréal entraîne un bruit dérangeant pour les commerçants et les résidants – de plus en plus nombreux – près des rails.
Le bruit n’est pas qu’un enjeu pour le Réseau express métropolitain (REM). Les voies ferrées traversant le Vieux-Montréal sont aussi de plus en plus contestées, la population vivant à proximité ayant triplé depuis 15 ans. Un mois après le déraillement d’un train de marchandises, des résidants et des commerçants demandent un meilleur entretien de la voie ou encore une révision des horaires de passage pour limiter les nuisances.
Publié à 1h17 Mis à jour à 5h00
Henri Ouellette-Vézina La Presse
« Au quotidien, ça fait beaucoup de bruit, surtout que même la nuit, ça circule », lance Lula Manz, qui habite le Vieux-Montréal depuis deux ans. À ses yeux, l’industrie « devrait regarder s’il y a une façon de faire passer les trains avec moins d’impacts sur la communauté ». « C’est toujours bon de se remettre en question », dit-elle sans détour.
Cette remise en question s’impose d’autant plus que cet ancien secteur industriel est de plus en plus habité. Un peu moins de 5000 personnes vivaient à proximité des rails en 2006, selon les données de Statistique Canada : elles sont désormais environ 15 000.
À l’Association des résidants du Vieux-Montréal (ARVM), la présidente Christine Caron confirme avoir reçu plusieurs plaintes sur le passage des trains. Son groupe a même tenu une rencontre avec le Canadien National (CN) et le Port de Montréal à ce sujet récemment. Les résidants demandent notamment s’il est possible de prendre des mesures supplémentaires pour lubrifier davantage les roues ou les rails, voire de réduire le nombre de trains ou de revoir les horaires, de façon à réduire le bruit.
« Il y a deux problèmes : le premier, c’est dans la courbe en face du silo no 5 où c’est très bruyant. Et le deuxième, c’est vers le secteur du Faubourg Québec, où les mouvements de train s’apparentent vraiment à une gare de triage. Et ça, c’est de jour comme de nuit, donc les impacts sont importants », illustre Mme Caron. Elle déplore que peu d’actions soient prises. « Pour les horaires, par exemple, on nous dit simplement qu’il n’est pas possible de les changer comme le réseau est relié à Chicago. »
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Le propriétaire de la brasserie artisanale BreWskey, dans le Vieux-Montréal, Guillaume Couraud
Le propriétaire de la brasserie artisanale BreWskey, Guillaume Couraud, en sait aussi quelque chose. « On entend le train et il y a beaucoup de grincement, donc ce n’est pas très agréable à l’oreille. S’ils arrivaient à le mettre ailleurs, je pense que ça ferait l’affaire de tout le monde ici », soutient l’homme d’affaires, dont l’établissement est situé dans le marché Bonsecours.
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Guillaume Fournier, de l’atelier de location de vélos Ça Roule Montreal
Non loin de là, à l’atelier de location de vélos Ça Roule Montreal, le gérant Guillaume Fournier seconde. « On a des groupes scolaires, et quand on va vers les îles et qu’il faut passer sous l’autoroute Bonaventure, parfois on peut être bloqués jusqu’à 30 minutes parce qu’un train passe. Sinon, c’est le bruit. On ferme les portes parce qu’on n’arrive même plus à se parler », évoque-t-il.
On se réveille à 2 h, on s’endort à 3 h et on se réveille à 5 h. Personne ne s’occupe du bruit ici.
Jacques Rivard, un résidant du Vieux-Montréal
« Les locomotives, si elles étaient sur une voie droite, ça serait sûrement mieux. Là, ça grince parce que ça force dans la courbe », insiste Jacques Rivard, qui demeure en face de la voie ferrée.
« Moi, je l’appelle le train de l’enfer », lance Valérie, résidante de longue date du Vieux-Montréal. « Chaque fois, ça nous réveille presque automatiquement, mes voisins et moi. Le grincement des roues est vraiment important. Ça nous prend vraiment des solutions concrètes », soutient-elle aussi.
Pas de solution magique
Or, la chaîne logistique est telle que réduire le nombre de trains ou revoir leur horaire est impossible, affirme le Port de Montréal. Sa directrice des communications, Renée Larouche, explique que le chemin de fer du Vieux-Montréal « est d’une importance primordiale pour la population et doit être maintenu, puisqu’il constitue une porte d’entrée aux produits de consommation et une porte de sortie pour les exportations ».
Présent depuis au moins 150 ans, ce réseau ferroviaire fait plus de 100 kilomètres et permet aux chemins de fer transcontinentaux « d’avoir accès à presque tous les postes à quai », affirme Mme Larouche.
Chaque semaine, le port de Montréal reçoit de 60 à 80 trains. Du nombre, environ 14 trains et 12 convois locaux passent par le Vieux-Montréal, ce qui représente grosso modo 2 trains et 2 convois par jour. Leur nombre n’a pas augmenté ni diminué dans les dernières années, certifie Mme Larouche.
À l’heure actuelle, environ 45 % des marchandises qui passent par le port sont transportées par train. D’ailleurs, « des travaux d’un projet d’optimisation de la capacité ferroviaire sont sur le point de se terminer en novembre », affirme la porte-parole, en précisant que ce projet « a permis l’ajout de deux voies ferrées totalisant et augmentant le réseau actuel de près de 5 km ».
« Nous sommes soucieux de la cohabitation des usagers dans le Vieux-Montréal », assure toutefois Renée Larouche. Elle soutient que « différentes mesures et initiatives sont mises en place » depuis quelques années, dont un système de gestion de plaintes. Un représentant du Port de Montréal est aussi présent aux différentes tables de concertation citoyennes.
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Passage à niveau devant la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, dans le Vieux-Montréal
Au Canadien National (CN), qui emprunte les voies ferrées du Vieux-Montréal, le porte-parole Mathieu Gaudreault montre quant à lui une certaine ouverture. « Même si la relocalisation des tronçons ferroviaires est un processus complexe et coûteux, le CN est toujours ouvert et disponible pour discuter de ses activités avec les différents partenaires impliqués afin d’évaluer les options présentes », explique-t-il.
Le CN n’est pas le seul à utiliser la voie du Vieux-Port, mais sur une base quotidienne, « un train entrant au port et un train sortant du port circulent sur ce tronçon, et ce, cinq jours par semaine », note M. Gaudreault. « Le nombre de passages est sujet à changement selon les besoins de notre partenaire », ajoute-t-il.
Le bruit, mais aussi la sécurité
Outre le bruit, la question de la sécurité continue de préoccuper de nombreux acteurs dans le Vieux-Montréal, surtout qu’en août dernier, une enquête a été ouverte après le déraillement d’un wagon et de deux locomotives d’un train de marchandises, dans le Vieux-Port. Dans le quartier, l’affaire a fait grand bruit. C’est une « obstruction » sur les rails qui a forcé l’immobilisation du train pendant plusieurs heures.
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En août, deux locomotives et un wagon du CN ont déraillé dans le Vieux-Montréal.
À l’ARVM, Christine Caron dit aujourd’hui « avoir hâte de voir le résultat de cette enquête ». « On a certaines inquiétudes sur les produits qui sont véhiculés dans les trains. On se fiait beaucoup jusqu’ici à la vitesse réduite, en se disant que les risques étaient minimes. Mais tout ça [soulève] des questions », conclut-elle, en réitérant que le risque zéro n’existe pas.
En 2016, des passagers qui se trouvaient dans l’« Amphibus », un autocar touristique, avaient eu la peur de leur vie quand le véhicule avait été happé par un train, tout près de la voie ferroviaire près du silo no 5. L’évènement avait forcé un débat sur la nécessité de renforcer les mesures de signalisation et d’ajouter des équipements de sécurité.
Des vidéos publiées en ligne avaient montré l’effroi des passagers, plusieurs hurlant en raison de la force de l’impact.
Il y a dix ans, en juin 2013, une jeune femme de 30 ans, Pritie Patel, avait eu les jambes coupées par un train dans le Vieux-Port en tentant de traverser entre des wagons immobilisés qui bloquaient l’accès à son véhicule. Le train était reparti sans avertissement, traînant la victime sur plusieurs mètres.