Résumé
Nouveau régime forestier: retour des blocus en Haute-Mauricie?
Par Éric Faucher, Le Nouvelliste
7 mai 2025 à 04h00
Des membres de la communauté, dont le militant Dave Petiquay, n’ont pas attendu le signal du conseil de bande pour s’installer en bordure de la route forestière 25 de La Tuque. (Facebook / Danakona Dave Pitikwi)
En voulant «moderniser» le régime forestier, se pourrait-il que Québec soit en train d’ouvrir la porte au retour des blocus forestiers en Haute-Mauricie? C’est en tout cas ce qui a poussé certains membres de la communauté Atikamekw à se réinstaller aux abords de la route forestière 25 à La Tuque, sans y bloquer la circulation… pour le moment.
À lire aussi
Le projet de nouveau régime forestier contesté

Nouveau régime forestier: Foresterie intensive et régionalisation au menu

Haute-Mauricie: après les blocus forestiers, le casse-croûte

La ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette Vézina, a déposé le projet de loi 97 le 23 avril dernier à l’Assemblée nationale. Celui-ci vise principalement une modernisation du régime forestier, mais plusieurs voix discordantes ont depuis émané de la société civile.
«La modernisation du régime forestier est essentielle pour assurer la pérennité de la filière forestière partout au Québec et protéger les communautés qui en dépendent. Il nous faut un régime forestier plus agile, plus souple et plus prévisible qui prend mieux en compte les réalités régionales», mentionnait la ministre caquiste au moment du dépôt.
«Il faut également adapter nos forêts aux changements climatiques afin de les rendre plus productives et résilientes», continuait-elle.
Des organismes comme Nature Québec, la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), la Fédération québécoise des gestionnaires de zecs ou encore la Fédération des pourvoiries du Québec ont tous dénoncé le projet de loi, depuis.
À ceux-ci s’ajoutent les voix des syndicalistes d’Unifor Québec, de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), du Syndicat des Métallos et de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN).
Constant Awashish, le Grand Chef de la Nation Atikamekw. (Stéphane Lessard/Archives Le Nouvelliste)
De son côté, le Conseil de la Nation Atikamekw (CNA) avait aussi réagi fortement, déplorant d’avoir été exclu de la conception du projet de loi. À l’instar d’autres communautés autochtones de la province, le CNA évoquait son «impression de faire un pas en arrière en redonnant plus de contrôle à l’industrie forestière».
«La ministre connaissait très bien notre position par rapport au nouveau régime forestier. Nous lui avons offert notre participation à la rédaction du projet de loi qui affectera nos droits sur notre territoire ancestral. Nous lui avons indiqué que cela aiderait à conforter tout le monde. Elle a refusé.»
— Constant Awashish, le Grand Chef de la Nation Atikamekw
Le communiqué alors émis par le conseil tribal mettait d’ailleurs en garde face aux possibilités «que cela entraîne des manifestations sur le territoire qui pourraient accentuer les préjugés, entraîner une escalade de conflits et, ainsi, ébranler la paix sociale».
Les gardiens du territoire fourbissent leurs armes
Des militants ralentissent la circulation sur la route forestière 25 à La Tuque. (Facebook / Danakona Dave Pitikwi)
Des membres de la communauté, dont le militant Dave Petiquay (ou Pitikwi selon la graphie traditionnelle), n’ont pas attendu le signal du conseil de bande pour s’installer en bordure de la route forestière 25 de La Tuque. Celui qui a l’habitude de l’organisation de blocus sur cette route pour faire valoir des revendications de sa nation ne souhaite que ralentir la circulation pour l’instant.
Avec ses camarades de l’Association des Gardiens du territoire Nehirowisiw Aski, il veut montrer son désaccord avec le projet de loi 97.
«On n’est pas là pour détruire l’industrie forestière, on est là pour sauver nos territoires», mentionne-t-il dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux.
«Nous autres, l’argent passe deuxième. C’est sûr qu’on aimerait ça en avoir, mais la priorité, c’est de pouvoir contrôler notre territoire, le dessiner. C’est ça le plus important», soulignait l’activiste pour la cause des Premières Nations lors d’une entrevue avec Le Nouvelliste, l’été dernier.
Pour Dave Petiquay, comme pour ceux qui s’affichent comme gardiens du territoire, ce nouveau régime forestier constitue ainsi un pas de recul dans l’affirmation de la souveraineté des nations autochtones. Ils dénoncent également l’extraction intensive des ressources naturelles et son impact sur l’environnement et les générations futures.
L’action de ralentissement de celui qui préfère le terme Nehirowisiw à celui d’Atikamekw, puisqu’il s’agit du nom traditionnel de la nation autochtone, a débuté lundi et devrait s’étendre jusqu’à mercredi.
Pour la suite des choses, l’Association des Gardiens du territoire Nehirowisiw Aski organise ce samedi le Rassemblement des nations au Club latuquois. (Facebook / Association des Gardiens du territoire Nehirowisiw Aski)
Pour la suite des choses, l’Association des Gardiens du territoire Nehirowisiw Aski organise ce samedi le Rassemblement des nations au Club latuquois. Le régime forestier sera à l’ordre du jour de l’assemblée où est conviée «toute personne intéressée par les actions des gardiennes et gardiens du territoire», aux côtés de thèmes comme la souveraineté territoriale ou le déclin de la biodiversité.
Le maire de La Tuque irrité
Le maire de La Tuque, Luc Martel, paraît irrité par la situation. Dans un commentaire sous une publication de Dave Petiquay sur les réseaux sociaux, supprimé depuis, le premier magistrat se montrait cinglant, laissant sous-entendre que le militant mène ces actions pour ses intérêts personnels.
Par le passé, l’élu ne s’est pas gêné pour dénoncer les blocus forestiers organisés par celui qui se considère comme un gardien du territoire.
«On parle d’un Atikamekw, mais si ça avait été un blanc, on l’aurait appelé un criminel, on s’entend», affirmait-il au Nouvelliste l’an dernier. «N’importe qui, faire ce qu’il a fait, se serait fait embarquer et serait en dedans aujourd’hui», poursuivait-il.
Le militant Dave Petiquay. (Sylvain Mayer/Archives Le Nouvelliste)
Concernant le nouveau régime forestier, la Ville de La Tuque se montre pour sa part plutôt enthousiaste, mais garde une certaine prudence. «Nous sommes heureux de constater que certains éléments que nous avons portés à l’attention du gouvernement semblent avoir été entendus. Cela démontre une écoute de la part des autorités provinciales», avait indiqué l’appareil municipal par voie de communiqué.
«Malgré cette ouverture, plusieurs aspects du projet de loi nécessitent des précisions importantes», ajoutait-on toutefois.