Le gouvernement Legault invité à accélérer la protection du territoire
Alexandre Shields, Le Devoir
Un des projets les plus ambitieux de protection du territoire est développé par Québec et Ottawa. Il pourrait mener à quadrupler la superficie du parc marin du Saguenay — Saint-Laurent.
Alexandre Shields
Pôle Environnement
19 décembre 2023
Environnement
Un an après la conclusion d’un accord mondial censé conduire vers une meilleure protection de la biodiversité, le Québec a toujours fort à faire pour espérer atteindre les objectifs de conservation des milieux naturels et des espèces menacées. Mais des groupes environnementaux estiment que la province a les moyens de montrer l’exemple et le gouvernement se veut rassurant pour les prochaines années.
« L’année 2024 sera déterminante pour l’atteinte des objectifs du cadre mondial sur la biodiversité. Nous sommes encore à une bonne distance des cibles, mais nous avons des ressources significatives pour atteindre certains des objectifs. Il faudra donc un leadership fort du gouvernement pour que tous les ministères adhèrent aux objectifs, comme celui de la protection du territoire », résume le directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec (SNAP Québec), Alain Branchaud.
Selon les données officielles, environ 17 % du territoire naturel terrestre du Québec est actuellement protégé, soit environ 257 000 km2. En ce qui a trait aux milieux marins, on parle d’environ 10 %, avec un peu plus de 16 000 km2. Or, l’objectif auquel a adhéré le Québec et qui est inscrit dans l’accord Kunming-Montréal adopté le 19 décembre 2022 à la conférence internationale sur la biodiversité (COP15) prévoit de faire passer, dans les deux cas, le taux de protection à 30 % d’ici 2030.
Cela signifie que le Québec devra ajouter plus de 200 000 km2 de territoires terrestres protégés d’ici la fin de la décennie, mais aussi au moins 30 000 km2 de territoires marins protégés.
Certains progrès ont d’ailleurs été réalisés en 2023 avec l’ajout d’environ 3000 km2 « mis en réserve » dans la portion sud de la province, notamment dans le Bas-Saint-Laurent et en Outaouais. « Mais il faudra accélérer le rythme pour se rendre à 30 % en 2030. Au rythme actuel, nous n’atteindrons pas cette cible », prévient Alain Branchaud.
Le « test » caribou
Le biologiste estime que Québec devra « innover » pour y parvenir. « On pourrait par exemple protéger des écosystèmes riches en carbone, notamment dans la région de la Baie-James, pour éviter que ce carbone soit libéré dans l’atmosphère. Et on devrait aussi travailler davantage avec les Premières Nations. »
Changer de paradigme permettrait aussi, selon lui, d’assurer un climat plus serein pour le développement économique. « Si on protège en priorité ce qui doit être protégé, on se donne les moyens d’assurer une certaine prévisibilité pour la réalisation des projets industriels. Actuellement, nous avons plutôt des conditions propices aux affrontements », constate-t-il.
Le cas du caribou forestier illustre bien cet affrontement entre le statu quo forestier industriel et la nécessité de protéger la biodiversité, mais aussi les forêts qui sont des alliées dans la lutte contre la crise climatique. Pour stopper le déclin, on estime qu’au moins 35 000 km2 de forêts devraient être protégés rapidement.
Pour la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard, la stratégie toujours attendue de protection du cervidé aura d’ailleurs valeur de « test » pour le gouvernement Legault. « Est-ce que la volonté de protéger les espèces menacées se résume à des paroles en l’air ? Il faudra voir ce qui sera proposé pour le caribou, qui est une espèce emblématique. Si on ne parvient pas à mieux le protéger, qu’est-ce que nous allons faire avec des espèces moins connues, mais qui sont aussi menacées ? » fait-elle valoir.
M. Branchaud et Mme Simard insistent donc sur le besoin d’accroître la « cohérence » de l’action gouvernementale. Dans le cadre de la course pour respecter l’objectif de protection de 17 % du territoire avant la fin de 2020, le gouvernement avait écarté des dizaines de projets d’aires protégées, dont plusieurs avaient été bloqués par des ministères à vocation économique. « Le principal obstacle à la protection du territoire terrestre, ce sont les consultations interministérielles qui débouchent sur des freins imposés par d’autres ministères », déplore Alain Branchaud.
Le projet de protection de la rivière Magpie, par exemple, avait été mis de côté afin de préserver son potentiel hydroélectrique. Et plusieurs projets dans différentes régions étaient tout simplement irréalisables en raison du blocage provoqué par l’existence de permis d’exploration minière. Dans ce cas, la situation est d’ailleurs pire aujourd’hui, puisque le nombre de titres miniers a véritablement explosé au cours des dernières années.
Freiner le déclin
Or, l’accord Kunming-Montréal insiste clairement sur le besoin de freiner la perte de milieux naturels et le déclin des espèces en péril. Dans ce contexte, Alice-Anne Simard déplore la réalisation du projet d’usine Northvolt sur un terrain qui abrite une riche biodiversité. « Il faut s’assurer que la transition énergétique ne vient pas aggraver la crise de la biodiversité. »
Il faut s’assurer que la transition énergétique ne vient pas aggraver la crise de la biodiversité.
— Alice-Anne Simard
Elle rappelle aussi que l’objectif de stopper la perte de milieux humides, pourtant inscrit dans la législation depuis 2017, n’est toujours pas une réalité. En fait, moins de 40 % des 15 000 000 m2 de milieux humides et hydriques perdus depuis cette date ont été comblés, selon un rapport publié en avril par la commissaire au développement durable.
Des écologistes saluent néanmoins des progrès réalisés au Québec depuis la COP15. Mme Simard et M. Branchaud citent en exemple le développement du « Plan nature 2030 », qui devrait être présenté au cours des prochains mois et qui doit orienter les actions du gouvernement de façon à « agir sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité ». Le gouvernement a aussi révisé la Loi sur l’aménagement pour permettre aux municipalités de protéger des milieux naturels sans craindre les poursuites.
Dans un effort de coopération avec le gouvernement Trudeau, Québec travaille par ailleurs sur le projet d’expansion du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent et sur un projet de création d’un nouveau parc marin. Celui-ci serait situé dans le golfe du Saint-Laurent, entre l’île d’Anticosti et la Côte-Nord.
« Nous sommes convaincus de pouvoir atteindre notre objectif de protéger 30 % des milieux naturels d’ici 2030 », assure le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charette, dans une réponse écrite au Devoir. Il rappelle que le gouvernement caquiste a réalisé des progrès importants pour atteindre la cible de 17 % en 2020. « Le Québec est riche de sa biodiversité et les actions que nous menons démontrent bien toute l’importance que nous y accordons », ajoute le ministre.