Montréal pourrait empiéter sur un boisé pour une rue réservée au camionnage
Photo: Charles Masse Le boisé Steinberg, entre la rue Hochelaga et le site de Ray-Mont Logistiques, dans Hochelaga-Maisonneuve
Alexandre Shields
2 février 2024
Environnement
La Ville de Montréal annoncera sous peu qu’elle ira de l’avant avec le prolongement du boulevard de l’Assomption, a appris Le Devoir. Ce nouveau tronçon routier est conçu essentiellement pour faciliter le camionnage industriel dans Hochelaga-Maisonneuve. Le projet pourrait d’ailleurs nécessiter la destruction partielle d’un des derniers boisés du secteur, que les citoyens souhaitent protéger.
Selon les informations obtenues par Le Devoir, l’administration de Valérie Plante finalise actuellement les détails de ce projet directement lié au transport de conteneurs par camions et qui a été évoqué à plusieurs reprises au cours des dernières années.
La Ville et l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve ont d’abord été avares de commentaires sur le dossier cette semaine. Dans une réponse écrite, la Ville a finalement admis qu’elle travaille actuellement « sur divers scénarios pour le prolongement du boulevard de l’Assomption ». On précise du même souffle que le projet « doit prendre en compte de nombreux enjeux, incluant la mitigation de l’impact des activités de Ray-Mont Logistiques sur la population ».
Chose certaine, le travail est suffisamment avancé pour que la Ville de Montréal prévoie « une présentation publique du projet, dans tous ses détails », et ce, « pour le début du printemps 2024 ». Et même si la Ville affirme que tout projet dans le secteur doit permettre de « maximiser » la protection des derniers « espaces verts », elle a refusé de dire si la protection intégrale du boisé Steinberg, situé entre la rue Hochelaga et le site de Ray-Mont Logistiques, est garantie. Une partie du boisé est protégée par la Ville.
Pour le port
Le ministère des Transports et de la Mobilité durable affirme pour sa part que ce terrain boisé, un des derniers du secteur, « est hautement stratégique, et son avenir sera davantage précisé lorsque toutes les parties prenantes concernées se seront avancées sur leurs dossiers respectifs ». Aucun échéancier n’a été précisé.
Le ministère donne néanmoins un aperçu de ce qui sera annoncé aux citoyens. Concrètement, l’administration Plante et le gouvernement Legault souhaitent « améliorer la fonctionnalité des déplacements entre l’avenue Souligny et la rue Notre-Dame, ainsi que l’accès au port de Montréal ».
Cela passe par « le prolongement du boulevard de l’Assomption jusqu’à la rue Notre-Dame », mais aussi « par le prolongement de l’avenue Souligny jusqu’au futur segment du boulevard de l’Assomption ». Techniquement, il semble impossible de prolonger le boulevard de l’Assomption sans passer dans le boisé Steinberg.
12%
C’est l’indice de canopée du quartier Hochelaga-Maisonneuve, exprimé en pourcentage.
Ces nouveaux tronçons routiers faciliteront « la fluidité » des déplacements des camions qui transportent des conteneurs en sortant du port de Montréal. Dans une réponse écrite, l’administration portuaire de Montréal évoque le passage de 1500 camions par jour.
Ces véhicules lourds pourraient s’ajouter aux centaines de camions qui transiteront par le site de Ray-Mont Logistiques, une entreprise qui a déjà construit les premières phases d’un projet de plateforme de transbordement de conteneurs sur un vaste terrain situé au nord de la rue Notre-Dame et aux limites d’un quartier résidentiel défavorisé.
Est-ce que les nouveaux projets routiers sont nécessaires pour le développement du projet Ray-Mont Logistiques ? Par courriel, l’entreprise indique qu’il s’agit de « décisions prises unilatéralement par la Ville de Montréal, pour lesquelles Ray-Mont Logistiques n’a pas les détails ».
Le promoteur poursuit actuellement la Ville pour 373 millions de dollars en raison des longs délais requis pour lui accorder une autorisation. Le projet n’a pas eu à passer par le processus d’évaluation environnementale imposé normalement aux grands projets industriels au Québec. Le gouvernement Legault a refusé les demandes des citoyens en ce sens.
Prolongement « inutile »
Porte-parole de Mobilisation 6600, un regroupement citoyen qui a lutté contre l’implantation de Ray-Mont Logistiques et pour la protection des derniers espaces verts du secteur, Anaïs Houde est toutefois formelle : ces projets routiers servent d’abord les intérêts de l’entreprise et du port de Montréal.
« On a l’impression d’être placés devant un fait accompli », déplore-t-elle. Malgré des demandes formulées en vertu de la Loi d’accès à l’information, le regroupement n’a jamais pu obtenir de plans illustrant ce qui est prévu dans le quartier. « Et le prolongement du boulevard de l’Assomption dans le boisé Steinberg est inutile. Il servira à qui ? » demande-t-elle.
Mme Houde redoute déjà la teneur de la consultation qui se tiendra au printemps. « Ils vont nous présenter un projet avec des bancs publics, des saillies végétalisées, etc. Mais on ne veut pas se prononcer sur la couleur des lampadaires ou la forme des poubelles. On veut que le boisé Steinberg soit épargné », insiste-t-elle. Selon les données officielles, l’indice de canopée du quartier dépasse à peine les 12 %, et ce, dans un contexte de hausse des vagues de chaleur estivales.
Mobilisation 6600 craint en outre qu’une friche boisée située à l’ouest du site de Ray-Mont Logistiques soit réduite. Les citoyens qui vivent aux limites de cet imposant développement industriel souhaitent que ce terrain soit protégé afin d’y créer un parc linéaire qui permettrait de circuler du boisé Vimont, situé plus au sud, jusqu’au boisé Steinberg, et possiblement même jusqu’au parc Maisonneuve.
La Ville de Montréal n’a pas répondu aux questions du Devoir concernant cette friche boisée, dont la largeur pourrait être réduite, selon Mobilisation 6600. L’administration de Valérie Plante nous indique que la « présentation détaillée » prévue au printemps sera l’occasion de « répondre aux questions légitimes » de la population.
En novembre 2023, le gouvernement fédéral avait évoqué la protection de cette bande de terrain en soulignant que « la nature contribue à la santé, au bien-être et aux loisirs de la population canadienne et à la prospérité de l’économie du pays ».
UN SITE ESSENTIEL POUR LES OISEAUX
L’ornithologue Arnaud Valade souligne que le boisé Steinberg, avec la friche boisée et le boisé Vimont, est un secteur important pour des dizaines d’espèces d’oiseaux, ce qui démontre la valeur écologique de ce terrain. « En période de migration, l’abondance d’espèces est impressionnante », fait-il valoir, en ajoutant qu’il a recensé pas moins de 143 espèces dans ce secteur. Ces terrains sont très importants pour l’alimentation des oiseaux au cours de leurs longues migrations, explique M. Valade, et comme le quartier a été largement développé, notamment pour faire place à des industries, la protection de ces espaces est essentielle pour la faune aviaire.