Des maires se sentent obligés de cotiser à la CAQ pour rencontrer un ministre
Des élus municipaux disent faire des dons politiques à la Coalition avenir Québec (CAQ) uniquement dans l’objectif de pouvoir rencontrer des ministres du gouvernement. Alors que certains élus n’y voient aucun problème, d’autres réclament que cette façon de faire soit abolie.
Ces cocktails de financement sont souvent, selon des maires, une occasion de discuter avec le ministre présent.
Photo : Facebook - Pierre Fitzgibbon
Publié à 4 h 00 HNE
Voulant profiter du passage d’un ou d’une ministre dans leur région, plusieurs maires et mairesses ont fait un don à la Coalition avenir Québec (CAQ) afin de pouvoir participer à des soirées partisanes et ainsi obtenir une discussion avec le ou la ministre.
Incapables de rencontrer les ministres autrement, ces élus municipaux font donc le choix de payer 100 $ afin de pouvoir leur présenter des dossiers qui leur tiennent à cœur.
Dans certains cas, ce sont des militants du parti, mais d’autres se sentent dans l’obligation d’y assister pour le bien de leur municipalité.
C’est très malaisant, mais le système est fait comme ça.
Une citation de Martin Ferron, maire de Malartic
C’est un peu malsain, mais c’est ça le processus. On devrait être invités d’office au lieu d’être à l’accueil et d’être obligés de sortir notre carte de crédit et déclarer un don. Ça nous met en porte-à-faux. Moi, j’ai d’autres choses à faire, sérieusement, que donner de l’argent à un parti politique, mentionne M. Ferron, qui a fait des dons de 100 $ en 2019 et en 2021 à la CAQ pour ce type de rencontres.
Le maire de Malartic, Martin Ferron. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Alexia Martel-Desjardins
Martin Ferron a notamment pu rencontrer le ministre Fitzgibbon de cette manière. Il précise qu’un don fait au Parti libéral du Québec en 2018 avait le même objectif.
Le maire d’Amos, Sébastien D’Astous, assure ne pas être un militant de la CAQ, mais il paie pourtant son 100 $ au parti chaque année depuis 2019. Il affirme qu’il s’agit d’un don personnel fait dans l’objectif de rencontrer des ministres à titre de maire.
Si on veut avoir accès aux rencontres de différents ministres qui viennent en région, selon les partis, il faut être membre pour accéder à ces rencontres-là. Ce sont des activités politiques, mais c’est quand même un moment privilégié pour rencontrer les grands ténors des différents partis, explique le maire D’Astous.
Sébastien D’Astous, maire d’Amos. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Martin Guindon
Le maire de Saint-Antonin dans le Bas-Saint-Laurent, Michel Nadeau, nous a fait savoir qu’il prend chaque année sa carte de membre de la CAQ uniquement avec l’objectif de pouvoir rencontrer les ministres lors des activités organisées par le parti. En juin dernier, M. Nadeau est justement allé rencontrer le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, lors d’un cocktail de financement à Rivière-du-Loup. Il estime que c’est la marche à suivre depuis des années.
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Un accès transparent demandé
Les activités de financement politique existent depuis toujours. Tous les partis doivent en faire pour amasser de l’argent. La CAQ n’est d’ailleurs pas le premier parti à mettre ses ministres de l’avant pour aider au financement.
Le coût pour assister aux différents cocktails de la CAQ est généralement de faire un don de 100 $ au parti politique. Sympathisants et gens du milieu des affaires y sont également présents.
Le maire de Rivière-du-Loup, Mario Bastille, indique pour sa part être donateur de la CAQ par conviction personnelle, mais refuse d’assister à ce type de rencontre.
On doit avoir accès à nos ministres de façon transparente dans le cadre de notre travail et non dans un 5 à 7 sur le coin en mangeant un sac de chips et en prenant une liqueur.
Une citation de Mario Bastille, maire de Rivière-du-Loup
Le maire de Rivière-du-Loup, Mario Bastille. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Patrick Bergeron
C’est comme si demain matin, à la Ville de Rivière-du-Loup, un citoyen ou des gens d’affaires disaient : ‘’On a projet ou une problématique, il faut rencontrer notre maire et il faudrait que tu payes pour rencontrer ton maire. Pour moi, ça ne fait pas de sens. Je comprends que ça se fait, ce n’est pas illégal de le faire, ça c’est clair, mais dans mes valeurs, il n’est pas question que je sorte de l’argent de mes poches ou que la Ville sorte de l’argent de ses poches pour rencontrer un ministre, explique M. Bastille.
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Tous les maires assurent avoir utilisé leur argent personnel pour effectuer des dons au parti politique.
« Ce n’est pas nécessaire pour eux d’acheter une carte de membre »
Au cabinet du premier ministre, on assure par courriel que la décision d’assister à un cocktail de financement appartient à chaque personne.
En aucun cas nous ne forçons un maire ou une mairesse à assister à un cocktail de financement pour pouvoir rencontrer et échanger avec des ministres, affirme Ewan Sauves, attaché de presse de François Legault.
M. Sauves précise que les élus peuvent formuler une demande formelle au cabinet concerné ou au député de l’endroit Soyons clairs : ce n’est pas nécessaire pour eux d’acheter une carte de membre de la CAQ pour avoir accès à nos élu(e)s, ajoute-t-il.
Certains cocktails de financement sont fort achalandés. comme celui-ci ayant eu lieu dans la circonscription du ministre Fitzgibbon en 2020.
Photo : Facebook - Pierre Fitzgibbon
La directrice générale de la Coalition avenir Québec, Brigitte Legault, n’a pas souhaité nous accorder d’entrevue, mais au téléphone, elle assure aussi que personne n’a jamais été forcé d’assister à ce type d’événement.
Mme Legault mentionne ne pas comprendre pourquoi des élus municipaux disent prendre des cartes de membre du parti pour rencontrer des ministres. Elle soutient que les élus ont bien d’autres occasions de rencontrer les ministres et que ceux-ci ont souvent de nombreuses rencontres avec des organisations et des élus de la région où se déroule l’activité de financement en question.
Des élus « pris au piège »
Professeur à l’École nationale d’administration publique et ex-ministre des Affaires municipales au gouvernement du Québec, Rémy Trudel estime que cette situation est inopportune et malsaine.
Il y a un mot pour décrire ce phénomène : ça s’appelle un piège. La personne qui est élue dans un conseil municipal, en toute bonne foi pour sa municipalité, va dire oui, je vais prendre une carte de parti politique et je vais participer quand il y a des frais à l’activité politique, fait observer l’ancien député péquiste de Rouyn-Noranda - Témiscamingue.
Rémy Trudel, ex-député péquiste de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, ancien ministre des Affaires municipales et aujourd’hui professeur à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP).
Photo : Radio-Canada
M. Trudel souligne par ailleurs le caractère particulier de la situation. L’élu ne peut pas se faire rembourser ce don puisque ce serait illégal. Les élus donnent alors à titre personnel, mais en disant pourtant, dans certains cas, agir pour le bien de leur municipalité.
C’est un élément fondamental de notre démocratie. Des élus qui veulent parler à des élus, c’est extrêmement simple, mais ce qui est malsain, c’est de leur faire payer l’adhésion à un parti politique et des frais pour participer à une activité, fait-il remarquer en affirmant que les élus municipaux devraient rester neutres et ne pas s’afficher pour un parti politique en particulier. M. Trudel souhaiterait qu’ils ne soient plus sollicités à l’avenir par les partis politiques.
Ce serait intéressant que les élus soient exclus de ce mode de financement. Moi, j’aime garder ma neutralité, mais c’est comme si je n’en avais pas. C’est ce qui n’est pas agréable, parce qu’on travaille avec les gens qui sont en place, pas avec un parti, explique Martin Ferron en précisant que les dons effectués par des individus aux partis politiques sont maintenant accessibles à tous sur internet.
La collaboration et le dialogue entre les élues et élus de tous les paliers gouvernementaux sont essentiels à la démocratie, et ce, au bénéfice des citoyennes et citoyens, et doivent se faire sans frais, estime de son côté Martin Damphousse, maire de Varennes et président de l’Union des municipalités du Québec dans une réponse écrite.
Le président de l’UMQ, Martin Damphousse. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada
Une pratique commune
Des élus municipaux ont confié à Radio-Canada avoir aussi fait des dons pour des activités de financement du Parti libéral du Québec et du Parti québécois. Les données disponibles en ligne démontrent d’ailleurs que plusieurs élus ont fait des dons lorsque ces partis étaient au pouvoir.
Certains voient dans ces dons une forme de reconnaissance pour le travail effectué par leur député local. C’est le cas du maire de La Malbaie, Michel Couturier, et de la mairesse de Chibougamau, Manon Cyr.
Veut, veut pas, on développe des liens avec les députés qui travaillent avec nous. Ça devient une collaboration. Évidemment, les règles étant ce qu’elles sont, ils ont quand même une partie de financement à faire, alors quand ils nous sollicitent, je pense que c’est bon joueur, c’est cordial, c’est de respecter les personnes en place, d’avoir une bonne collaboration avec eux. C’est comme ça que je le vois. Je ne me sens aucunement forcé, raconte Michel Couturier.
La mairesse de Chibougamau, Manon Cyr. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada
Les gens qui me connaissent le savent : quand j’ai quelque chose à dire à quelqu’un, qu’il soit ministre, député ou premier ministre, je dis ce que j’ai à dire. Je pense que c’est important, affirme pour sa part Manon Cyr, qui soutient que faire des dons à la CAQ ne lui fait pas perdre son autonomie ou son indépendance.
Mme Cyr dit avoir contribué à la CAQ dans les dernières années pour souligner le travail du député Denis Lamothe, tout comme elle l’a fait auparavant avec le député libéral Jean Boucher.
Je pense qu’il y a maintenant des adéquations qui sont devenues trop faciles dans notre société. Il y a beaucoup de méfiance, beaucoup de suspicion, mais écoutez, si je suis en accord avec un député au pouvoir dans ma région, c’est bien au-delà de parce que je travaille avec lui ou que je vais à une activité de financement. C’est arrivé aussi d’avoir de grands désaccords avec des députés de ma région, signale Michel Couturier.