AnalyseLes fautes directes de François Legault
On compare souvent la politique au hockey, mais être premier ministre est davantage un sport solitaire, comme le tennis. Et, depuis des mois, François Legault multiplie les erreurs non provoquées qui contribuent à couler son gouvernement.
François Legault, premier ministre du Québec (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Publié à 4 h 00 HNE
Le premier ministre du Québec est un grand amateur de sport. Chaque automne, François Legault sélectionne avec soin les joueurs de son pool de hockey, une compétition amicale qui l’oppose à ses conseillers depuis plusieurs années — il est d’ailleurs en tête du classement et s’amuse à le rappeler à son entourage. Dans un autre pool de hockey auquel il participe, celui très difficile du quotidien La Presse, il est actuellement 74e sur… 18 729 participants. Comme quoi, tout ne va pas mal.
Ce n’est pas le seul sport qui attire son attention. S’il existait un pool de tennis, François Legault en serait. Ce sport figure tout en haut de ses préférences. Malgré son horaire de premier ministre, il le pratique encore régulièrement et manque rarement une finale ou une demi-finale de l’Omnium Banque Nationale, début août, à Montréal.
On compare souvent la politique au hockey, en affirmant que c’est un sport d’équipe, avec le caucus des députés, le Conseil des ministres, les conseillers… On joue, on gagne et on perd en groupe. Ce n’est pas faux. La composition et la performance de l’équipe sont importantes.
Mais à bien des égards, être premier ministre est davantage un sport solitaire, comme le tennis. La fonction permet de récolter le crédit des bons coups et force à assumer les mauvaises décisions. Il doit maîtriser tous les dossiers. Se mêler de toutes les controverses. Le premier ministre est constamment sous les projecteurs, et se sent parfois bien seul quand ça va mal sur le terrain.
Le tennis, contrairement au hockey, compile à chaque partie une statistique révélatrice : les fautes directes. Des erreurs auto-infligées qui ne sont pas provoquées par un bon coup de l’adversaire.
La balle est en plein centre du court, facile à retourner, mais une mauvaise concentration ou une impatience dans le geste, même minime, engendre une faute.
Le tennis, comme la politique, est un sport qui se joue surtout entre les deux oreilles. Une bataille mentale. Un exercice de discipline. Tous les joueurs, tous les gouvernements commettent des erreurs non provoquées. Le défi consiste à éviter l’accumulation des fautes directes. À limiter les dégâts.
Sinon, la nervosité grimpe. Le joueur se met à serrer un peu trop sa raquette. Il perd ses repères, tente de se reprendre, de rattraper son retard, mais précipite ses actions et finit par accentuer ses difficultés.
Vous me voyez venir. Depuis quelques mois, François Legault accumule les fautes directes.
Voici quelques exemples d’erreurs non provoquées
- En avril, la CAQ abandonne sa promesse-symbole de construire un troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis. À 10 milliards de dollars, un tunnel qui ne pouvait plus accueillir les camions (en raison de la pente) et qui réservait une place minime aux transports en commun n’avait plus de sens. Mais la manière de l’annoncer a été catastrophique.
Les députés n’avaient pas été consultés ni prévenus, les explications étaient bancales, les raisons de la volte-face semblaient changer au gré des élus interrogés, le premier ministre n’a pas daigné se présenter aux côtés de sa ministre des Transports pour assumer sa décision… Bref, les électeurs de la grande région de Québec se sont sentis trahis, déconsidérés.
- Quelques semaines plus tard, pour calmer un caucus échaudé, François Legault fait adopter à toute vapeur une hausse de 30 % du salaire des élus à l’Assemblée nationale – avec l’appui du Parti libéral du Québec. Une augmentation immédiate, sans toucher au généreux fonds de pension (ce que recommandaient pourtant les rapports d’experts sur le sujet, comme celui de Claire L’heureux-Dubé, Claude Bisson et François Côté (Nouvelle fenêtre), en 2013).
Une proposition que le premier ministre et les ministres du gouvernement n’ont pas défendue sur la place publique, sinon du bout des lèvres. Elle survenait au moment où les citoyens devaient se serrer la ceinture en raison de l’inflation, sans que ceux-ci aient le privilège de se voter une généreuse augmentation de salaire. Cette hausse est une goutte d’eau dans l’océan des finances publiques de l’État (4,4 millions de dollars), mais elle hante encore le gouvernement. L’équivalent d’une double faute quand la première manche est en jeu…
- L’automne se pointe le bout du nez, et avec lui réapparaît… le troisième lien! Au lendemain de la sévère défaite lors de l’élection partielle dans Jean-Talon, à Québec, François Legault se présente devant les journalistes et improvise une réponse sur un troisième lien qui renaîtrait de ses cendres sous une nouvelle forme à définir. Ses conseillers sont abasourdis. Ils écoutent en direct le premier ministre faire dérailler le plan de match.
François Legault devait simplement faire acte de contrition, affirmer qu’il allait prendre le temps de réfléchir, de consulter son caucus sur les causes de la défaite et se mettre à l’écoute des gens de Québec. Mais il va plus loin.
Ses députés sont aussi surpris que lors de l’annonce d’avril, son Conseil des ministres est sous le choc, et la population se gratte la tête. Ce n’était vraiment pas nécessaire, me résumera un membre du gouvernement quelques jours plus tard. La balle est hors ligne, et loin.
- Puis, à la mi-octobre, le Parti québécois (PQ), fort de sa victoire dans Jean-Talon, présente son budget de l’an 1 d’un Québec souverain. Un exercice télégraphié auquel le premier ministre a été préparé à répondre. À l’entrée de la période de questions, il lance aux journalistes que pendant que le PQ s’amuse avec la Banque du Québec, il va s’occuper des banques alimentaires. Il juxtapose sa lutte contre l’inflation à la piastre à Plamondon.
Tout va bien… jusqu’à la question de Paul St-Pierre Plamondon en Chambre, à laquelle François Legault répond en parlant des emplois du gouvernement fédéral. « Est-ce qu’il pourrait, en même temps, dire combien il y a de Québécois qui perdraient leur emploi avec les coupures de 8 milliards? »
C’est l’argument de la peur utilisé par le camp fédéraliste depuis des décennies, mais dans la bouche de l’ancien péquiste pressé devenu chef de la CAQ, ça sonne faux. Les nombreux indépendantistes au sein de la Coalition avenir Québec avalent de travers.
Puis, comme pour se racheter, cinq jours plus tard, il réplique sèchement à Paul St-Pierre Plamondon, qui l’accuse de reprendre des arguments de Jean Charest : « Me faire traiter de Jean Charest, y’a-tu quelque chose de plus insultant que de se faire traiter de Jean Charest? », lance le premier ministre (Nouvelle fenêtre), en répondant brièvement à un journaliste après avoir quitté le Salon bleu. Il a même dit Jean Chrétien, quand même!
La CAQ est une coalition d’électeurs ayant voté pour d’autres partis dans un passé récent. Même au sein de son équipe ministérielle et parmi les employés des cabinets, toutes les couleurs politiques se côtoient. C’est une force, mais aussi une fragilité.
5.Dans l’opinion publique, la claque aux indépendantistes, puis celle aux anciens libéraux, en moins d’une semaine, ont fait grimacer d’anciens partisans des deux camps.* On s’est mis à saigner des deux bouts…**, me souffle un conseiller politique du gouvernement.
- Revenons maintenant au sport. Il arrive dans le cours d’une partie que le joueur soit certain de frapper un coup gagnant, et qu’à sa grande surprise la balle percute le cadre de la raquette et se retrouve loin dans les gradins. Faute gênante. Généralement, c’est signe que le protagoniste, trop sûr de lui, a quitté la balle des yeux à la dernière minute. Il pensait déjà à son coup suivant.
Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, n’a jamais vu venir l’erreur lorsqu’il a annoncé une subvention de 5 à 7 millions de dollars à Québecor pour inciter les Kings de Los Angeles à venir jouer deux parties hors concours au Centre Vidéotron en octobre 2024. Son sourire témoignait d’un homme convaincu d’annoncer une bonne nouvelle. Et pourtant.
La somme servira à couvrir les dépenses des trois équipes qui vont s’affronter – les Kings, les Panthers de la Floride et les Bruins de Boston – ainsi que les pertes aux guichets de ces équipes, qui vont jouer loin de leur amphithéâtre, a justifié Eric Girard.
Un non-sens pour tout amateur de hockey le moindrement attentif. Les Kings de Los Angeles doivent quitter leur aréna l’automne prochain, puisqu’il sera en rénovation (Nouvelle fenêtre). Loin d’une faveur, ils se cherchaient un domicile temporaire. Les Panthers de la Floride jouent presque toutes leurs parties hors saison loin de chez eux, parce que leur aréna est vide, faute de partisans en nombre suffisant pour regarder du hockey sans importance. Cette année, l’équipe a pris part à une rencontre du concours Kraft Hockeyville, en Nouvelle-Écosse, parce que c’était plus payant pour elle de jouer à Sydney que dans son propre amphithéâtre. C’est dire.
Chaque année, des équipes de la LNH jouent des matchs hors concours loin de leur ville afin de conquérir de nouveaux marchés sans décevoir leurs partisans, qui n’aimeraient pas voir leur équipe jouer des parties importantes loin de chez eux. Et chaque fois, aucun fonds public n’est dépensé (Nouvelle fenêtre).
On a essayé de négocier à la baisse, a dit Eric Girard. Et puis c’était ça ou rien. La réponse aurait dû être rien. Dans le contexte des finances publiques qui se détériorent, de l’inflation qui frappe, des négociations dans le secteur public, le message, même si le montant est petit à l’échelle du budget du Québec, est désastreux. Le plus récent sondage sur les intentions de vote (Nouvelle fenêtre), réalisé dans la foulée de l’annonce, en témoigne. La CAQ recule partout, y compris à Québec.
Notez toutefois que même si l’idée vient d’Eric Girard, cette subvention aux Kings a franchi toutes les étapes habituelles. Le Conseil des ministres l’a approuvé. Le premier ministre aussi. Eric Girard n’a pas fait une grande conférence de presse au Centre Vidéotron dans le dos de ses collègues.
Les vents de face
Cinq fautes directes en quelques mois seulement.
Or, lorsqu’on affronte un adversaire redoutable, chaque erreur non provoquée fait doublement mal.
Tous les gouvernements occidentaux affrontent actuellement un opposant de taille : une économie au ralenti, un coût de la vie en hausse et une grogne populaire post-pandémie. Les gouvernements, si puissants et agiles pendant la crise sanitaire, semblent soudain impotents et peinent à s’attaquer aux crises ambiantes, ce qui nourrit l’exaspération.
Le citoyen moyen qui vit en démocratie a l’impression qu’il n’en a pas assez pour son argent, que ce soit à l’épicerie, en regardant sa facture de loyer ou d’hypothèque, ou encore en recevant les services de l’État. Les guerres en Ukraine et au Proche-Orient ajoutent à la morosité.
Le monde va mal. Les attentes sont déçues. L’électeur en colère a beaucoup de choses à dire, mais il a le sentiment qu’il n’est pas entendu. Il ventile dans les sondages et sur les réseaux sociaux.
La cote de popularité des partis au pouvoir en souffre, autant ici qu’aux États-Unis, en France ou en Grande-Bretagne. Les électeurs regardent ailleurs. Dans plusieurs pays, les options politiques radicales progressent. Aux Pays-Bas, cette semaine, l’extrême droite a remporté les élections.
Au Québec, il faut ajouter à l’ambiance les négociations ardues avec les syndicats de la fonction publique. C’est près de 600 000 employés (et leurs familles) qui ne sont pas de bonne humeur ces temps-ci.
Un adversaire redoutable qui s’affronte mieux avec de la patience et une discipline de fer. Deux qualités que ne possède pas François Legault.
Le premier ministre est authentique, franc, pressé et parfois bouillant. Une recette qui lui a permis de connaître du succès pendant la pandémie et de gagner la confiance de la population. Mais quand la crise s’estompe et qu’il faut gouverner avec des objectifs à moyen et à long terme, le tempérament pressé du PDG qui cherche des résultats immédiats est mis à rude épreuve.
Or, le gouvernement et son patron semblent constamment en mode « gestion de crise » depuis des mois, à la recherche du coup gagnant à tout prix pour se replacer dans le match le plus vite possible.
Au contraire, les erreurs s’enchaînent. Le message s’embrouille.
Au point d’effacer les bons coups, comme le recrutement de 5000 à 7000 personnes qui suivront une formation accélérée pour intégrer l’industrie de la construction. Ou encore la somme de 1,8 milliard de dollars pour la construction de milliers de logements abordables dans les prochaines années. Le nouveau pacte fiscal avec les villes n’a pas non plus retenu l’attention qu’il mérite.
Le joueur à la tête du gouvernement a-t-il été trop confiant? S’est-il habitué aux bons sondages et à des victoires éclatantes (90 députés!) au point de perdre ses repères?
La CAQ vient de compléter la première année de son deuxième mandat. Le mot d’ordre en coulisses à la CAQ consiste à dire qu’il reste encore trois ans avant les prochaines élections, que les sondages vont et viennent, que le temps n’est pas venu de peser sur le bouton panique…
C’est vrai, mais il pourrait être temps de se ressaisir.
On a déjà vu des joueurs incapables de se remettre d’un mauvais début de match.
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