Résumé
Grande entrevue Les legs de Valérie Plante
PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, dans son bureau de l’hôtel de ville
Que retiendra-t-on des huit années au pouvoir de Valérie Plante ? Notre chroniqueuse en parle avec la principale intéressée.
Publié à 1h23 Mis à jour à 6h00
Je rencontre Valérie Plante six jours après l’annonce qui a pris tout le monde par surprise à Montréal, y compris sa famille. « T’es sûre, maman ? », lui ont demandé ses deux fils. Son conjoint aussi a été décontenancé. « Ça a donné lieu à de belles conversations », dit la mairesse qui me reçoit dans son grand bureau lumineux.
Le pouvoir, pour moi, ce n’est pas une fin en soi. J’ai toujours vu la politique comme un véhicule très puissant pour changer les choses, mais ce n’est pas le seul. Et à un moment donné, il faut passer le ballon.
Valérie Plante, mairesse de Montréal
Il reste un an avant le départ de Valérie Plante de l’hôtel de ville. Une année durant laquelle tout le monde voudra dresser des bilans de ses deux mandats à la mairie. Je lui pose la question : de quoi Valérie Plante a-t-elle été la mairesse depuis 2017 ? On écarte la mobilité (c’est raté !) et l’habitation, le dossier qui lui donne le plus de fil à retordre, reconnaît-elle. Et personne ne s’attendait à ce qu’elle règle seule la crise de l’itinérance qui sévit dans toutes les grandes villes en Amérique du Nord.
Alors qu’aimerait-elle qu’on retienne de son passage, outre le fait qu’elle a été la première femme à diriger la ville, ce qui n’est pas rien ?
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La mairesse Valérie Plante aimerait qu’on retienne son apport au verdissement de Montréal.
« Les espaces verts, lance-t-elle sans hésiter. On a doublé leur superficie à Montréal. C’est un legs pour les générations futures. Et si je ne suis pas la mairesse du verdissement, alors je serai la mairesse des milieux de vie, parce que c’était clair dès le départ pour moi que j’allais prendre des décisions pour les Montréalais qui habitent la ville. »
C’était important qu’on investisse pour sécuriser les artères commerciales locales, la culture dans les quartiers, les infrastructures comme des bibliothèques, des centres sportifs, des piscines. Si on veut que les gens restent en ville, c’est essentiel.
Valérie Plante, mairesse de Montréal
Craint-elle que cet héritage soit menacé par l’état pas très reluisant des finances de la Ville ? Que Montréal ne soit plus capable d’entretenir ses actifs au cours des prochaines années ?
« C’est vrai que la fiscalité municipale est archaïque, et pas juste à Montréal, répond Mme Plante. On ne peut pas faire de déficit, on dépend à 70 % de la taxe foncière, et on ne va pas trop l’augmenter parce que les citoyens sont pris à la gorge. Or, on n’a pas vraiment d’autres sources de revenus. On est allés vers l’écofiscalité, mais ce n’est pas assez. Pendant les huit ans qu’on a été au pouvoir, on n’a pas touché aux services aux citoyens – maisons de la culture, déneigement, propreté, etc. –, car c’est la base de la mission d’une ville. Mais je pense qu’au cours des prochaines années, il y aura moins de grands projets, moins d’infrastructures culturelles et sportives, et ce, malgré l’augmentation de la population. »
Cette amélioration des milieux de vie n’a toutefois pas suffi à satisfaire les citoyens. Le sondage SOM-La Presse publié le week-end dernier1 montrait que plus de la moitié des Montréalais ne souhaitaient pas un troisième mandat de Valérie Plante.
Estime-t-elle avoir réussi à susciter l’adhésion de la population ?
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La mairesse affirme avoir toujours eu conscience qu’elle ne ferait « jamais l’unanimité ».
« J’ai toujours été consciente que je ne ferais jamais l’unanimité parce que pour la faire, il faudrait promettre du jus de raisin dans les fontaines publiques, lance-t-elle en riant. Le statu quo, ça ne dérange pas. Je pense sincèrement qu’on a vraiment essayé de communiquer et d’expliquer, de faire la pédagogie. Est-ce qu’on aurait pu mieux le faire ? Ça dépend des projets. Dans certains cas, on ne peut pas juste attendre que tout le monde soit prêt pour faire des changements. Les gens sont fâchés des pistes cyclables, mais ça représente seulement 1 % du nombre de routes. Regardez l’effet du REV sur la rue Saint-Denis ! Or, si je m’étais fiée à la première réaction des gens, j’aurais arrêté le projet. On ne peut pas consulter chaque fois qu’on fait une piste cyclable, qu’on élargit les trottoirs ou qu’on fait des parcs, c’est impossible. »
La place des femmes
Au-delà des enjeux municipaux, ce que je retiens du passage de Valérie Plante à l’hôtel de ville, c’est à quel point elle a incarné le concept de parité hommes-femmes en politique. Elle a transformé l’hôtel de ville du boys club qu’il était en un lieu de pouvoir beaucoup plus représentatif de la population montréalaise. Pour reprendre une expression consacrée, « les bottines ont suivi les babines ».
« Quand j’ai fait la course à la chefferie de Projet Montréal, j’étais la seule femme, raconte Valérie Plante. Ça n’a pas toujours été facile. À l’époque, le parti était très masculin : les têtes dirigeantes, le cabinet politique, c’était beaucoup des hommes.
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Le deuxième mandat de la mairesse a fait encore plus de place aux femmes, notamment au sein du comité exécutif de la Ville.
Ça ne leur enlève pas leurs qualités, mais moi, je considère qu’il faut de la diversité. Il y a 50 % de femmes sur la planète, ce n’est pas normal que le pouvoir ne soit pas moitié-moitié.
Valérie Plante, mairesse de Montréal
Il faut lire le deuxième tome de sa bande dessinée Simone Simoneau pour comprendre à quel point la course à la chefferie n’a pas été de tout repos.
Mais Valérie Plante ne s’est pas laissé démonter et après sa deuxième élection, en 2021, elle a profité du fait qu’elle avait les coudées franches pour faire encore plus de place aux femmes au sein du comité exécutif, qui est aujourd’hui féminin à 65 %.
En chemin, elle a dû écarter quelques hommes qui ont peut-être été frustrés et déçus de la situation. « Je ne me suis pas vraiment posé la question, affirme la mairesse. À un moment donné, on peut bien dire qu’on est pour la parité et pour l’égalité, mais si on attend de ne pas piler sur des orteils, ça ne se fera pas. J’ai le devoir comme mairesse et comme cheffe de parti de pousser dans cette direction, et c’est le message que j’ai apporté au caucus.
« Une de mes fiertés, c’est d’avoir transformé le parti Projet Montréal de l’intérieur pour qu’il incarne vraiment les valeurs féministes, humanistes et d’équité. »
À qui Valérie Plante demande-t-elle conseil ?
La mairesse de Montréal Valérie Plante et l’ancien maire de Québec Régis Labeaume, en 2017J’ai demandé à Valérie Plante si elle avait des mentors, des gens à qui elle demandait conseil. Elle me raconte que lorsqu’elle est arrivée au pouvoir, elle a reçu le message d’une femme importante du milieu des affaires montréalais. « Elle m’a dit : “Tu sais, Valérie, on ne se connaît pas tant que ça, mais tu es la première mairesse de Montréal et je considère que j’ai une responsabilité, ainsi que toutes les femmes qui ont une influence et un rôle de leadership, à ce que ça marche pour toi. Ça ne veut pas dire qu’on va toujours être d’accord sur tout, mais aidons-nous à ce que tu aies les outils pour réussir.” J’ai trouvé ça magnifique… » Durant son premier mandat, Valérie Plante s’est également liée d’amitié avec le maire de Québec Régis Labeaume. « Ça a cliqué, dit-elle. On a développé une relation vraiment belle, puis à partir de ce moment-là, c’est devenu une personne avec qui je pouvais ouvertement parler de certains enjeux. Ce n’est pas tout le monde qui comprend la solitude de ce genre de job où tu dois prendre beaucoup de décisions. Ensuite, Anne Hidalgo [la maire de Paris] est une personne sur qui j’ai pu compter à quelques reprises. On nous compare parfois, elle et moi, et je le prends avec énormément de douceur. Toutes les deux, on essaie de transformer nos villes respectives. C’est une personne que j’apprécie énormément. Enfin, j’ai rencontré l’ancien maire de Toronto David Miller, dans un réseau international, et c’est une personne avec qui j’ai des discussions plus approfondies. Enfin, de temps en temps, je vais prendre un café avec Lucien Bouchard pour jaser. »
Le scandale de l’OCPM
PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE
L’ancienne présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal Dominique Ollivier, en novembre 2023
Parmi les dossiers qui ont éclaboussé le bilan de l’administration Plante, il y a le scandale de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), qui a provoqué l’an dernier le départ de Dominique Ollivier, alors présidente du comité exécutif et proche de Valérie Plante. Comment voit-elle cet épisode avec le recul ? « Je vais toujours continuer à le dire, Dominique Ollivier faisait un excellent travail au comité exécutif, affirme Valérie Plante. On s’était choisies, Dominique et moi, pour faire le deuxième mandat, donc c’est sûr qu’il y a eu un deuil à faire, ç’a été difficile. Et ce n’est rien comparé à ce qu’elle a dû vivre. Je veux quand même rappeler que l’OCPM est un organisme qui est reconnu au niveau mondial, même Longueuil s’est doté d’un office de consultation, alors d’entendre dire que ce sont juste des dépenses et que ça ne sert à rien, j’ai trouvé ça difficile. Cela dit, Luc Rabouin est arrivé, il a pris ça à bout de bras, et on travaille super bien ensemble. Ce qui m’a fait du bien dans cet épisode, c’est de réaliser combien Projet Montréal et notre équipe, on est des gens solides et forts parce que la transition s’est très bien passée. » Parle-t-elle encore à Dominique Ollivier ? « Oui, mais moins souvent, parce qu’avant, c’était au quotidien. Dominique Ollivier, elle a un long parcours, c’est une femme complète qui ne se résume pas seulement à cet épisode-là. »