Le bungalow, patrimoine de la banlieue
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir
La Société du patrimoine de Boucherville est active depuis des années pour la préservation des bungalows de la ville.
Jeanne Corriveau
31 octobre 2022
Transports / Urbanisme
Dans l’immédiate après-guerre, le bungalow planté au milieu du gazon va constituer le royaume du banlieusard. Dans la psyché nord-américaine, il représente à cette époque un petit Versailles de la vie familiale dans lequel bien des citoyens espèrent pouvoir jouir de leur propre jardin. Associé à un conformisme et à une certaine banalité architecturale, le bungalow a-t-il une valeur patrimoniale ? À l’ère de la lutte contre l’étalement urbain, plusieurs voix s’élèvent pour plaider en faveur de sa protection.
« En Amérique du Nord et au Canada, le bungalow est un emblème identitaire. II l’est peut-être encore plus au Québec », croit Lucie K. Morisset, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain qui participait, mercredi dernier, à un panel de discussion organisé par Héritage Montréal et le musée McCord-Stewart. Au coeur du débat : l’avenir du bungalow dans le contexte des changements climatiques et de la densification.
Plus qu’un symbole, le bungalow a permis à des millions de familles en Amérique du Nord de s’affranchir de la vie en ville et de trouver leur bonheur dans un chez-soi entouré de pelouse. Ainsi est née la classe moyenne comme on la connaît aujourd’hui, souligne Mme Morisset.
De manière générale, le bungalow classique ne comporte qu’un étage. Il pouvait être construit rapidement et à coût raisonnable. Il fut également à la source d’une intense rivalité entre les municipalités désireuses d’attirer des familles. Celles-ci se chargeront même de la construction des égouts et des aqueducs pour courtiser leurs futurs résidents, indique la professeure. « Ces bungalows sont des maisons idéales pour les Québécois de la Révolution tranquille. Ils s’y épanouissent. De là à les appeler les maisons québécoises, il n’y a qu’un pas », avance Lucie K. Morisset.
Valeur historique
Les bungalows des banlieues ont-ils une valeur patrimoniale ? Dans l’esprit de Lise Walczak, doctorante en aménagement à l’Université de Montréal, cela ne fait pas de doute. Elle en a d’ailleurs fait le sujet de sa thèse. « On n’associe pas souvent la notion de patrimoine à la banlieue. Cela ne va pas de soi parce que les quartiers de bungalows sont critiqués pour leur modèle et sont associés à l’étalement urbain, à l’utilisation de la voiture et à la consommation, admet-elle. Mais ça reste des secteurs convoités. »
Selon elle, le bungalow présente un intérêt patrimonial qui se décline en plusieurs volets. D’une part, il s’appuie sur la valeur paysagère dans laquelle il évolue en s’inspirant, dans certains cas, du modèle des cités-jardins, avec des rues sinueuses et des arbres matures.
On n’associe pas souvent la notion de patrimoine à la banlieue. Cela ne va pas de soi parce que les quartiers de bungalows sont critiqués pour leur modèle et sont associés à l’étalement urbain
— Lise Walczak
Lise Walczak cite le cas du secteur Norvick, dans l’arrondissement de Saint-Laurent, un quartier construit par la Wartime Housing Limited pendant la Seconde Guerre mondiale pour loger les travailleurs des usines d’équipement militaire. « C’est un secteur qui a fait l’objet d’un énoncé d’intérêt patrimonial pour préserver ce caractère paysager, rappelle-t-elle. Il a une valeur historique importante de par son association avec la Wartime Housing. »
Certains bungalows ont aussi une valeur d’ensemble puisqu’ils présentent une homogénéité à l’échelle d’un quartier. « Ils forment une sorte de tout cohérent », indique la chercheuse, qui évoque le secteur Riverside, dans l’arrondissement de LaSalle, et celui de la rue des Îles-Percées, à Boucherville. « Quand on s’y promène, on a l’impression de voyager dans le temps et de retourner dans les années 1960. »
Les bungalows ont aussi une symbolique culturelle importante. Ils ont été mis en vedette au théâtre, dans Les Voisins, de Louis Saïa et de Claude Meunier, ou au cinéma, dans Deux femmes en or, de Claude Fournier. « Dans l’après-guerre, la banlieue représente un art de vivre, avec une maison, un jardin et la voiture, souligne Mme Walczak. C’est la démocratisation de la banlieue pour tous. »
Plusieurs villes ont entrepris de documenter les bâtiments d’intérêt. Laval, par exemple, a recensé plus de 520 bâtiments du patrimoine moderne et une quinzaine de secteurs de patrimoine modeste qui seront protégés, explique Nathalie Martin, directrice adjointe à la Ville de Laval. À Boucherville, la Société du patrimoine de Boucherville est active depuis des années pour la préservation des bungalows. À Longueuil, l’administration municipale a dû se porter au secours des bungalows victimes d’une vague de démolitions.
À l’heure des changements climatiques
Mais qui dit bungalow dit faible densité et étalement urbain où la voiture est reine. Le modèle paraît incompatible avec les préoccupations liées à l’urgence climatique.
Densifier la banlieue en ajoutant des unités d’habitation sur le terrain ou en divisant la résidence en plusieurs logements est une stratégie que certaines villes examinent. Lise Walczak croit qu’une telle densification est possible, pourvu qu’elle respecte les caractéristiques du cadre bâti existant.
Mais densifier les banlieues ne sera pas aisé, prévient Gérard Beaudet, professeur titulaire à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. « On va avoir une très désagréable surprise si on pense qu’on va pouvoir densifier la banlieue, dit-il. Les gens de Saint-Bruno, de Saint-Lambert et de Boucherville ont déjà commencé à nous dire : “No way !”»
Et selon lui, la dépendance des banlieues à la voiture n’est pas près de s’éteindre. « La banlieue est un environnement paradoxal. Même avec la densification, il n’y a pas de baisse de l’utilisation de la voiture dans la région métropolitaine. Les gens habitent dans des condos, mais ont autant d’autos qu’avant et ils les utilisent autant », explique-t-il.
Pourtant, nombreux sont les banlieusards qui souhaitent un environnement plus convivial. « De plus en plus, les citoyens revendiquent des services de proximité à distance de marche », soutient Nathalie Martin, de la Ville de Laval. « Ils veulent des bibliothèques, des parcs, des cafés et des boulangeries de quartier. »
Cela a fait dire aux panélistes qui participaient à la discussion mercredi dernier que la banlieue est bien de son temps et qu’elle cherche elle aussi à appliquer le concept de « ville des 15 minutes ». Sauf que dans son cas, il faudrait peut-être parler de ville des 15 minutes… en auto.
Avec Jean-François Nadeau
L’ORIGINE DES MOTS «BUNGALOW» ET «BANLIEUE»
Le terme « bungalow », qui désigne une maison unifamiliale de plain-pied, est emprunté à l’anglais « bungalow ». Mais ce ne sont pas les Anglais qui ont inventé ce terme, puisque celui-ci s’inspire d’un mot hindi désignant un type de maison indienne basse, souligne l’Office québécois de la langue française.
De son côté, le mot « banlieue » est d’origine latine et est composé de « ban » et de « lieue ». Au Moyen-Âge, le terme désignait l’espace d’une lieue autour de l’enceinte d’une ville, qui était soumis au droit de ban, indique le Dictionnaire de l’Académie française.