Le gazon est long et c’est voulu!
Avez-vous remarqué que, dans certains parcs, des zones d’herbe et de pissenlits n’ont pas été coupées? Ce n’est pas par négligence! Des villes comme Montréal appliquent ce qu’on appelle la gestion différenciée des espaces verts.
Gestion différenciée au parc Félix-Leclerc dans l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.
Photo : Louis-Etienne Dore
Karine Mateu (accéder à la page de l’auteur)
Karine Mateu
Publié à 4 h 00
Vous marchez dans un parc et constatez que d’un côté le gazon a été tondu, et de l’autre, l’herbe et le pissenlit poussent librement.
L’employé qui tondait le gazon aurait-il laissé son travail en plan? Non, il a fait ce qu’on lui a demandé : il a coupé seulement où cela est nécessaire. Un choix écologique.
La gestion différenciée, comme le décrit la Ville de Montréal, est un entretien adapté des espaces verts selon leurs caractéristiques et leurs usages.
Le parc Félix-Leclerc dans l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve en est un bon exemple, explique Sier-Ching Chantha, agente de recherche en verdissement pour l’arrondissement.
Gestion différenciée appliquée au parc Félix-Leclerc à Montréal.
Photo : Louis-Etienne Dore
Ici, il y a de grands espaces gazonnés. On est sur le bord du boulevard Langelier et c’est en pente. Cet espace n’est pas très utilisé et il ne peut pas non plus faire l’objet d’aménagement, donc c’est très approprié pour la gestion différenciée.
« Par exemple, un terrain de soccer. C’est sûr, qu’on a besoin que le gazon soit tondu court pour pratiquer le sport, donc c’est vraiment justifié de tondre de façon hebdomadaire, mais d’autres endroits moins utilisés, non! »
— Une citation de Sier-Ching Chantha, agente de recherche en verdissement
Cette pratique a l’avantage de réduire les coûts et le nombre d’heures de travail allouées à la tonte de la pelouse et, surtout, de favoriser la biodiversité.
L’agente de recherche en verdissement à l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve Sier-Ching Chantha
Photo : Radio-Canada / Karine Mateu
Ça permet aux plantes de fleurir et de terminer leur cycle de vie. Les herbes longues, c’est un habitat pour les insectes et ça attire les oiseaux! Et ça aide à réguler la température, fait-elle valoir. Il y a une différence entre le gazon coupé et le gazon non tondu, il peut faire 5 degrés Celsius de moins.
Depuis deux ans, l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve applique cette approche, comme bien d’autres arrondissements et, chaque année, d’autres parcs et espaces verts s’y ajoutent, comme le parc de la Promenade-Bellerive.
La gestion différenciée est aussi appliquée pour certains terre-pleins et aux abords des grands axes routiers.
Pratique de la gestion différenciée le long de la rue Notre-Dame près du parc de la Promenade-Bellerive.
Photo : Radio-Canada / Karine Mateu
Écouter le reportage de Karine Mateu diffusé à l’émission L’heure du monde.
Pas besoin d’un gazon parfait!
Dans l’entrepôt de Gloco, des sacs de semences à gazon sont empilés jusqu’au plafond. L’entreprise québécoise vend aux centres jardins, aux villes, au ministère du Transport et aux golfs, entre autres.
On a plus de 180 mélanges. On a ici un mélange utilisé pour la revitalisation des mines, on en fait un mélange qui s’appelle MTQ, ministère du Transport du Québec, pour mettre sur le bord de l’autoroute. On en a pour les terrains secs, humides, sablonneux, rocailleux ou des terrains en pente, poursuit Bruno Chabot, représentant aux ventes en horticulture de Gloco. Celui-là, c’est un mélange qui tient le sol pour éviter l’érosion.
Le gazon a beaucoup d’avantages, fait-il valoir. En plus de s’adapter à différents sols et climats, il résiste au piétinement et au sel de déglaçage et est bien moins chaud que le béton. Et pour en profiter, pas besoin d’avoir un gazon parfait!
On ne doit pas le couper tous les samedis à 10 h après avoir fait le ménage! Souvent, les gens ont tendance à couper la pelouse trop court, avertit-il. Ça, ça vient principalement de l’Angleterre, de la monarchie, où l’on voyait des gens riches avoir des beaux gazons. Les gens sont maintenant rendus à une autre étape.
Bruno Chabot, représentant aux ventes en horticulture chez Gloco
Photo : Radio-Canada / Karine Mateu
Et, ajoute-t-il, il n’est pas nécessaire d’avoir une pelouse à la grandeur du terrain, mais plutôt à certains endroits où l’on veut en profiter et le reste du terrain, on peut le combler avec des fleurs sauvages, par exemple.
« Ce qui est important, dans le meilleur des mondes, c’est d’éviter la monoculture. C’est la même chose si on décide de mettre du trèfle plutôt que du gazon. »
— Une citation de Bruno Chabot, représentant aux ventes en horticulture chez Gloco
L’entreprise, qui existe depuis plus de 100 ans, s’est adaptée au fil des ans aux besoins de ses clients, assure Bruno Chabot, et elle produit désormais un gazon dit écologique. Ça change, on le voit. On a donc confectionné un gazon où il y a du trèfle et autres graminées, et il est utilisé à Montréal.
Au-delà du Québec
Gestion différenciée dans le Haggerston Park à Londres.
Photo : Danielle Dagenais
Danielle Dagenais, professeure à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal et spécialiste des infrastructures vertes, revient tout juste de Londres, où elle a constaté que la pratique de la gestion différenciée y est de plus en plus appliquée.
« Dans le monde, il n’y a pas de doute que l’approche [de la gestion différenciée] prend de l’ampleur, c’est clair! »
— Une citation de Danielle Dagenais, professeure à l’Université de Montréal
À Londres, il y a 15-20 ans, ça m’avait frappée : dans des parcs royaux de très haut standing comme Regent’s Park, il y avait des sections où on n’entretenait pas la pelouse, surtout sous les arbres, explique la professeure. Cette fois-ci, dans tous les parcs, petits, grands, majestueux, la gestion différenciée est appliquée.
Ça ne veut pas dire que l’on ne tond plus du tout. Le but, ce n’est pas d’avoir des forêts. C’est plutôt qu’on a appris quand le faire ou non, ajoute-t-elle.
Pancartes installées dans le parc Félix-Leclerc pour informer de la pratique de la gestion différenciée.
Photo : Radio-Canada / Karine Mateu
L’enjeu demeure l’acceptabilité sociale de ne pas tondre la pelouse, croit Danielle Dagenais. Il peut y avoir des secteurs dans la ville où c’est moins opportun de l’implanter, et d’autres, où c’est plus accepté. Il faut aussi mettre les citoyens dans le coup et il est important de bien observer quels secteurs des parcs sont utilisés et où ce l’est moins.
À l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, on s’est d’ailleurs rendu compte de l’importance de bien informer les citoyens, mais aussi les employés. Des pancartes sur lesquelles on peut lire « Moins de tonte, plus de biodiversité » ont d’ailleurs été installées un peu partout dans les parcs.
Quand on a commencé, les gens pensaient que ce n’était pas entretenu. Donc, on a réalisé que l’aspect communication était très important. C’est aussi important d’informer les employés sur les raisons pour lesquelles on agit ainsi, s’ils se font poser des questions par les citoyens, mais aussi pour qu’ils trouvent la motivation à faire ce genre de travail là!, conclut Sier-Ching Chantha.
À lire et écouter :
Karine Mateu (accéder à la page de l’auteur)