Texte complet : BAPE pour Northvolt : Québec a éclipsé la recommandation des fonctionnaires
BAPE pour Northvolt : Québec a éclipsé la recommandation des fonctionnaires
Le ministre Benoit Charette n’a pas écouté son ministère qui souhaitait un BAPE pour l’usine d’assemblage.
Thomas Gerbet
Publié à 4 h 00 HAE
Le ministre de l’Environnement du Québec n’avait pas l’appui de ses fonctionnaires pour éviter à Northvolt un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) pour sa production de batteries, a appris Radio-Canada. Un rapport interne révèle que les employés du ministère recommandaient l’examen complet, au nom du « principe de précaution ».
Le Bureau de stratégie législative et réglementaire du ministère de l’Environnement anticipait des impacts importants sur la population, les milieux humides, la faune et les espèces préoccupantes avec une usine d’assemblage de batterie d’une capacité de 30 gigawattheures (GWh), soit comme celle de Northvolt.
Les vérifications effectuées montrent que l’empreinte au sol d’une usine de 30 GWh est importante, écrivaient les fonctionnaires, dans leur Rapport de consultation publique de mai 2023, juste avant que Québec change sa réglementation.
Puisque les impacts de ce type d’usine sont peu documentés, le principe de précaution prévaut.
— Extrait de la recommandation du Bureau de stratégie législative et réglementaire du ministère de l’Environnement
Le complexe industriel de Northvolt en Montérégie sera développé sur le même modèle que celui construit dans le nord de la Suède.
PHOTO : NORTHVOLT
Un seuil de déclenchement du BAPE retiré sans explication
En février 2023, le gouvernement avait proposé de modifier la réglementation environnementale pour l’adapter à la nouvelle filière des batteries. À l’époque, son idée était de soumettre à un examen du BAPE une usine d’assemblage d’une capacité de 30 gigawattheures (GWh) ou plus.
Des consultations publiques avaient été ouvertes et le ministère avait reçu deux commentaires sur cet aspect :
- l’Ordre des chimistes du Québec jugeait que c’était une bonne idée;
- Northvolt suggérait de faire passer le seuil à 40 GWh (ce qui aurait eu pour effet de lui éviter le BAPE).
Ce qu’on découvre dans le nouveau document obtenu par Radio-Canada, c’est que les fonctionnaires recommandaient de ne pas retenir la modification proposée par la compagnie suédoise. Le seuil doit demeurer à 30 GWh, lit-on dans le rapport.
Le gouvernement Legault ne les a pas écoutés. En juillet 2023 : il a finalement adopté un règlement sans aucun seuil pour les usines d’assemblage de batterie. Il n’y aura donc pas de BAPE, quelle que soit sa capacité.
Un mépris de la fonction publique, selon un ancien du BAPE
Aucun mémoire reçu n’avait suggéré l’approche retenue par le gouvernement, et les fonctionnaires ne la souhaitaient pas. C’est déplorable, réagit l’ancien vice-président du BAPE et ex-journaliste spécialisé en environnement, Louis-Gilles Francoeur.
Il voit dans cette décision politique un mépris de la démarche scientifique du ministère et un rejet de la fonction publique.
Pas de commentaires du cabinet du ministre
Le cabinet du ministre Benoit Charette a refusé d’expliquer sa décision en contradiction avec les recommandations de ses fonctionnaires. Son équipe invoque la judiciarisation du dossier. Le Centre québécois en droit de l’environnement conteste devant la Cour supérieure les changements de réglementation qui ont permis à Northvolt d’échapper au BAPE.
Le mois dernier, le cabinet du ministre disait avoir retiré le seuil de 30 GWh, car il ne permettait pas d’atteindre les objectifs climatiques du gouvernement.
Le Québec souhaite participer à l’effort de décarbonation, conscient que, grâce à notre politique d’électricité verte, nous sommes l’une des juridictions les mieux positionnées pour permettre des progrès continentaux et mondiaux.
— Mélina Jalbert, directrice des communications du ministre de l’Environnement du Québec
Avec des projets comme celui de Northvolt, le gouvernement espère que des gains économiques pourraient être faits à moyen et long terme, ce qui permettrait de mieux soutenir nos programmes sociaux et environnementaux dans l’avenir.
Le mois dernier, le ministre a admis avoir voulu éviter l’examen du BAPE à Northvolt pour favoriser l’implantation d’une filière batterie au Québec. Le gouvernement craignait de perdre le projet à cause de la longueur du processus d’évaluation environnementale.
Northvolt affirme devoir entrer en production rapidement, dès l’été 2026, pour que son plan d’affaires fonctionne.
Une rencontre secrète entre le ministre Charette et Northvolt
Comme le révélait Radio-Canada, le ministre Benoit Charette a rencontré la direction de Northvolt le 31 mai 2023, soit après la livraison du mémoire des fonctionnaires. On ignore ce qu’il s’est discuté. Cette rencontre n’apparaît pas dans l’agenda officiel du ministre.
Des arbitrages au conseil des ministres?
Louis Simard, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, n’est pas étonné du résultat final, quand on sait qu’on voulait absolument favoriser la filière batterie. Il n’est pas non plus choqué par le processus.
Ce que les fonctionnaires recommandent, c’est une chose. Ce que le ministre va amener au conseil des ministres, c’est autre chose. Et ce que le conseil des ministres va décider, c’est encore autre chose.
Ce ne sont pas les fonctionnaires qui dirigent et qui décident. Ils sont là pour donner un avis éclairé à ceux qui sont élus légitimement.
— Louis Simard, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa
Le professeur rappelle que le conseil des ministres est le théâtre d’arbitrages, avec des ministres forts (il cite celui de l’Économie). Louis Simard explique aussi que le gouvernement a même le loisir de prendre une décision contraire aux conclusions d’un examen du BAPE.
Dès le 29 septembre, au lendemain de l’annonce du plus gros projet manufacturier de l’histoire du Québec, Radio-Canada révélait que le seuil pour déclencher un examen du BAPE applicable à la fabrication de batteries avait été déplacé de 50 000 à 60 000 tonnes, alors que l’usine en produira 56 000 tonnes.
Trois usines dans le projet de Northvolt, trois règles par rapport au BAPE
- Usine de fabrication de cathodes (56 000 tonnes annuelles) : a échappé au BAPE grâce au seuil passé de 50 000 à 60 000 tonnes.
- Usine d’assemblage de batteries (30 GWh) : a échappé au BAPE grâce au retrait de l’article qui projetait d’assujettir une usine de 30 GWh et plus.
- Usine de recyclage de batteries : à être soumise à l’examen du BAPE.
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de BAPE qu’il n’y a pas d’évaluation environnementale, expliquait, récemment, le ministère de l’Environnement.
Pour permettre à l’entreprise de commencer rapidement la construction, sans attendre d’étudier l’ensemble du projet, l’analyse environnementale a été morcelée en plusieurs autorisations, une pratique inhabituelle, selon un fonctionnaire et un ancien fonctionnaire à l’Environnement consultés par Radio-Canada.
Mais, le BAPE ne traite pas que des enjeux liés à la nature. Il étudie aussi l’impact d’un projet sur l’économie, l’achalandage du réseau de transport, le logement, les services sociaux, etc.
Vendredi, la ministre responsable de la Montérégie, Suzanne Roy, a mandaté tous les ministères d’évaluer les répercussions de la construction de la méga-usine sur la région.