Mobilité Infra Québec (nouvelle agence pour les projets de transports) - Discussion générale

(Québec) La ministre des Transports Geneviève Guilbault veut « prendre le contrôle du destin du transport collectif » et « centraliser [sa] planification » avec la création d’une agence « indépendante ». Mobilité Infra Québec déterminera les projets qui pourront aller de l’avant et les réalisera avec l’accord du gouvernement. Et surprise, elle sera chargée de « diversifier les sources de revenus » afin de les financer.
Publié à 1h37 Mis à jour à 5h00

Résumé

Création de l’agence Mobilité Infra Québec Guilbault veut contrôler « le destin du transport collectif »

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, déposera bientôt un projet de loi créant l’agence Mobilité Infra Québec.

(Québec) La ministre des Transports Geneviève Guilbault veut « prendre le contrôle du destin du transport collectif » et « centraliser [sa] planification » avec la création d’une agence « indépendante ». Mobilité Infra Québec déterminera les projets qui pourront aller de l’avant et les réalisera avec l’accord du gouvernement. Et surprise, elle sera chargée de « diversifier les sources de revenus » afin de les financer.

Publié à 1h37 Mis à jour à 5h00

Tommy Chouinard
Tommy Chouinard La Presse
](La Presse | Tommy Chouinard)

Une semaine après avoir déclaré que « gérer le transport collectif et les sociétés de transport […] n’est pas une mission de l’État », la ministre recadre son message à la veille du dépôt de son projet de loi créant Mobilité Infra Québec.

« Il faut compléter ce que j’appelle la toile de transport collectif, puis avoir des projets un peu partout, aux bons endroits, au bon moment. Et la seule façon de faire ça, c’est de vraiment centraliser la planification […] et de prendre le contrôle du destin du transport collectif au Québec qui, quant à moi, est la mission de l’État en matière de transport collectif, », affirme-t-elle à La Presse dans le cadre d’une série d’entrevues accordées aux médias.

Elle insiste : « la seule façon » d’arriver à développer efficacement le transport collectif, « c’est de se créer une expertise à même le gouvernement du Québec qui va être en dehors du ministère des Transports ».

L’expertise, « on ne [l’]a pas au ministère, on ne l’a pas au gouvernement du Québec et on ne sait pas par quel bout prendre ça, des projets d’envergure de transport collectif ». Elle veut corriger cette « énorme lacune » qui s’explique par le faible nombre de projets pilotés à Québec depuis la création du métro de Montréal.

Mobilité Infra Québec ne sera pas soumise à la Loi sur la fonction publique – comme Santé Québec – et comptera jusqu’à 50 employés. Cette agence sera dirigée par un PDG « qui va se monter une petite équipe avec une culture d’entreprise plus innovante, plus agile que ce qu’on est habitué de connaître au gouvernement ». Elle sera « axée sur les résultats et sur la livraison des projets le plus rapidement et le plus efficacement possible avec des gens habitués d’en faire ».

« Que ce soit le PDG ou les membres de l’équipe, ça peut être des gens qui viennent d’ailleurs » et « qui pourraient avoir le goût de venir faire des projets ici au Québec ». « Il y aura peut-être des gens du gouvernement qui vont vouloir appliquer puis qui sont très bons. Il peut y avoir des gens [provenant de] firmes privées », ajoute-t-elle.

Québec ne veut plus être « tributaire » de la Caisse de dépôt et placement pour le développement du transport collectif. Mme Guilbault s’est toutefois inspirée de la filiale CDPQ Infra pour dessiner son agence.

À l’échelle nationale

La multiplication de bureaux de projet dans chaque ville n’a aucun sens, selon elle. « Chacun fait un peu sa petite affaire de son côté au fil des élections, au fil des intérêts de chacun, ça fluctue », souligne-t-elle. « Les ressources sont éparpillées » alors qu’il faut plutôt « concentrer » l’expertise et créer avec l’agence « une sorte de super bureau de projet ».

Mobilité Infra Québec fera « une planification à l’échelle nationale » du développement du transport collectif, « une planification séquencée de projets logiques ». La ministre reconnaît qu’« on pourrait y voir un chevauchement avec la mission de l’ARTM », l’Autorité régionale de transport métropolitain. Son projet de loi n’apportera pas de changement au mandat de l’organisme qu’elle a déjà accusé d’être inefficace.

Selon les explications de Geneviève Guilbault, le gouvernement va « confier des mandats » à Mobilité Infra Québec qui « peuvent relever de l’analyse, de la planification et de la réalisation » de projets.

« L’agence va avoir cette capacité-là d’évaluer quel projet serait bon, à quel endroit », précise la ministre. Elle aura donc le pouvoir de choisir les projets qui seront réalisés. Le gouvernement déterminera ensuite s’il donne son feu vert ou non pour les financer.

« Le gouvernement va confirmer un mandat à l’agence, puis surtout confirmer la réalisation d’un projet. […] Le gouvernement ne peut pas être complètement extérieur à ça, parce que toute la question de la planification et de la gestion des investissements, ça passe par le gouvernement. »

Le défi du financement

Pour le moment, la ministre ne se fixe pas de cible pour augmenter l’offre de transport collectif. La Politique de mobilité durable adoptée en 2018 sous les libéraux a pour objectif une hausse de 5 % par année jusqu’en 2030, mais le gouvernement caquiste est en train de la réviser.

Geneviève Guilbault ne précise pas non plus le portefeuille de projets qui sera confié à son agence. Elle évoque les projets à l’étude ou en planification inscrits au Plan québécois des infrastructures 2024-2034 : les « projets structurants » de transport collectif de Québec (sous réserve de la recommandation de CDPQ Infra), de Longueuil, de Laval, de Gatineau, de l’est et du sud-ouest de Montréal. Les projets à l’étude ou en planification au PQI sont estimés à 38,4 milliards de dollars et aucune somme n’est prévue pour les financer. Il faudra trouver l’argent.

Le défi est de taille : pour les 10 prochaines années, Québec a déjà des dépenses prévues de 153 milliards pour rénover ou construire des infrastructures publiques dans son PQI. Le Fonds des réseaux de transport terrestre (FORT), qui sert à financer les routes et le transport collectif, est quant à lui déficitaire.

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, LE SOLEIL

Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable

Ce n’est pas un secret que ça coûte plus cher entretenir et développer ce qu’on a à faire que l’argent qui est disponible. Donc tout ce qu’on peut faire en matière de financement, on est en train de réfléchir puis de l’explorer.

Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable

« Mais notre objectif avec l’agence, c’est aussi de pouvoir diversifier autant que possible les sources de revenus », ajoute la ministre, sans entrer dans les détails et sans commenter l’idée de nouvelles taxes. Elle refuse de donner davantage de détails, se limitant à évoquer l’idée « d’optimiser le nombre de partenaires ».

Pour que Mobilité Infra Québec parvienne à réaliser les projets, la ministre mise beaucoup sur le projet de loi à venir de son collègue des Infrastructures Jonatan Julien. Ce dernier modifiera les règles en matière de gestion des contrats publics. L’objectif, c’est que les projets de toutes sortes du gouvernement se réalisent jusqu’à 25 % plus vite et coûtent 15 % moins cher.

« Mon agence, sans ces modifications-là, ça ne me donnerait rien de plus que ce qu’on est déjà en train de faire », reconnaît Geneviève Guilbault.

« Il y a un problème de fond avec notre manière de faire les projets d’infrastructures majeurs et notre déficit d’attractivité sur le marché qui fait en sorte que les projets coûtent extrêmement cher et qu’on a très peu de soumissionnaires, ajoute-t-elle. Des firmes disent : “Moi, je ne contracte plus avec le gouvernement, c’est trop compliqué, c’est trop cher, c’est trop long, c’est trop risqué, ça ne m’intéresse plus.” Donc nous, on veut ramener ces gens-là. »

Résumé

Mobilité Infra Québec Sans argent, pas de miracle

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’idée de créer une agence pour planifier et gérer les grands projets de transport collectif est bonne, écrit notre chroniqueur. « Mais elle ne suffira pas à régler le problème de fond : le manque d’argent pour faire fonctionner le réseau de transport collectif et y ajouter de nouveaux services. »


Paul Journet
Paul Journet La Presse

« Encore une autre agence ? » Eh oui… Mais retenez votre soupir pendant quelques paragraphes, si possible.

Publié à 1h37 Mis à jour à 5h00

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Après l’agence Santé Québec, le gouvernement caquiste veut une nouvelle structure indépendante, cette fois pour planifier et gérer les grands projets de transport collectif. Mais à part le nom d’« agence », elles ont peu de choses en commun.

Celle de la santé deviendra le plus gros employeur au Québec, avec quelque 330 000 personnes sous sa responsabilité. Tandis qu’un maximum de 50 personnes travailleront dans l’agence que propose la ministre des Transports, Geneviève Guilbault.

À ceux qui lui reprochent de manquer de vision, Mme Guilbault brandit ce projet d’agence. Elle en a esquissé les objectifs en interview. Le détail sera dévoilé aux parlementaires la semaine prochaine lors du dépôt du projet de loi.

Sur le diagnostic, difficile de donner tort à la ministre. Le Québec n’a pas d’expertise pour planifier et construire de grands projets de transport collectif. Les gouvernements font des choix par électoralisme.

Les projets sont modifiés, reportés, annulés et relancés, avec une gestion brouillonne. Peu de soumissionnaires sont intéressés, et ceux qui le sont ajustent à la hausse leur soumission pour tenir compte de ce risque.

Il y a plus de 10 ans, le prédécesseur péquiste de Mme Guilbault, Sylvain Gaudreault, constatait l’incapacité à réaliser de grands projets. II avait lui aussi proposé une agence.

Bien sûr, il y a eu depuis le REM. Mais la Caisse de dépôt et placement a un objectif de rendement qui entre en tension avec la mission de service public. Et la Caisse ne s’est pas montrée intéressée par des tronçons proposés par les caquistes en banlieue de Montréal.

Reste qu’il y a déjà une agence.

En effet, le gouvernement Couillard avait fait le même constat que Mme Guilbault. Il avait donc créé en 2017 l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

On connaît la suite. L’ARTM a eu des débuts pénibles. Elle n’a pas réussi à rédiger un plan qui identifierait les projets prioritaires et séquencerait leur réalisation⁠1.

Mme Guilbault croit pouvoir éviter de répéter ce problème. Contrairement à l’ARTM, aucun élu ne siégera à son agence. Sa direction devra planifier le développement national du réseau et gérer les nouveaux projets d’envergure.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault

En principe, l’idée est bonne. Mais elle ne suffira pas à régler le problème de fond : le manque d’argent pour faire fonctionner le réseau de transport collectif et y ajouter de nouveaux services.

Mme Guilbault rappelle que le fédéral pourrait en faire plus pour financer la construction.

Elle lorgne la Banque de l’infrastructure du Canada. Et elle déplore que le Fonds permanent pour le transport en commun sera seulement disponible à partir de 2026. Son homologue fédéral Pablo Rodriguez est ouvert à le devancer. Mais même s’il accepte, ça ne suffira pas.

Où trouver le reste de l’argent ? Le député libéral Monsef Derraji propose que les sociétés de transport se financent en vendant un droit de construction immobilière sur leur terrain. Vancouver mise entre autres sur ce modèle.

Mais là encore, même si tout cela fonctionnait, ça ne suffirait pas.

Si tous les projets inscrits dans le plan d’infrastructures allaient de l’avant, la facture totale s’élèverait à 53 milliards. Or, 13,8 milliards sont prévus. C’est à la fois une somme record et bien peu face aux promesses faites sur papier.

L’autre enjeu financier, c’est d’exploiter et d’entretenir les bus, métros, trains et tramways.

Chaque ajout de service augmente les frais d’exploitation.

Et à l’heure actuelle, l’argent manque pour faire fonctionner le réseau. Par exemple, le simple entretien du métro de Montréal coûtera plus de 16 milliards d’ici la prochaine décennie. Et à New York, on a vu le coût de la négligence : des pannes et des usagers qui retournent à leur voiture.

Là encore, la question se pose : où trouver l’argent ?

Mme Guilbault espère que l’achalandage reviendra au niveau prépandémique, ce qui augmente les revenus provenant des usagers.

Elle souhaite aussi « optimiser » la gestion des sociétés de transport. Vrai, les employés des municipalités sont payés davantage que ceux du niveau provincial. Et le fiasco du garage Bellechasse à Montréal montre l’importance de resserrer les dépenses.

La ministre a commandé un audit de performance. Elle veut évaluer et comparer la gestion des sociétés de transport. Et ensuite clarifier la part de déficit qui est conjoncturelle et structurelle.

Après avoir épongé 70 % des déficits des opérateurs durant la pandémie, le gouvernement caquiste demande aux municipalités de faire leur part.

Or, le déficit structurel relève aussi de Québec. Par exemple, les caquistes veulent que la majorité des autobus soient électriques d’ici 2030. Cela cadrait bien avec leur positionnement dans la filière batterie. Mais ça coûte très cher en entretien et entreposage, sans oublier de dispendieux contrats avec Nova Bus. Pour la même somme, on aurait pu ajouter des bus à essence au parc de véhicules afin de réduire l’auto solo et les gaz à effet de serre.

La baisse des revenus de la taxe sur l’essence, qui relève de Québec, nuit également aux villes.

Pour combler ce manque de revenus, diverses solutions existent, mais on devine que le caucus caquiste s’opposerait à toute nouvelle forme d’écofiscalité.

Or, on ne peut pas tout faire en même temps. On ne peut pas encourager l’auto solo en milieu urbain en ajoutant des routes puis prétendre tout faire pour inciter les gens à adopter le transport actif et collectif.

Ces grandes orientations de Québec ont aussi un impact sur le déficit structurel des opérateurs.

Si Mme Guilbault crée une agence, c’est parce qu’elle veut réaliser des projets. L’idée est bonne, et ses intentions le sont aussi. Mais sans argent, il n’y aura pas de miracle.

1. Lisez cette nouvelle qui résume les critiques adressées au plan de l’ARTM

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