L'industrie du jeu vidéo à Montréal

Alain Tascan, vice-président directeur, développement des jeux, Epic Games Montréal, pièce maîtresse de Fortnite

PHOTO CHRIS DELMAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le jeu Fortnite a été lancé en 2018 et compte quelque 400 millions d’utilisateurs enregistrés.

Le jeu Fortnite, avec ses quelque 400 millions d’utilisateurs enregistrés, est conçu en partie à Montréal depuis 2018. À l’occasion d’une série de lancements cet automne, dont une version Lego, La Presse a rencontré le grand responsable du jeu, Alain Tascan, un vétéran de l’industrie qui a contribué à la création des studios montréalais d’Ubisoft en 1997 et d’Electronic Arts en 2003.

Publié à 1h21 Mis à jour à 7h00

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Karim Benessaieh
Karim Benessaieh La Presse

Il y a eu beaucoup de nouveautés pour Fortnite depuis début novembre. Faites-nous un tour du propriétaire.

Il y a un mois, on a ajouté une mini-saison qui s’appelle OG (Original Gang). C’était très demandé par l’audience. Le OG Season a battu tous les records, on a eu 100 millions de personnes qui sont venues en novembre.

PHOTO FRANCOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Le vice-président directeur du développement des jeux pour Epic Games, Alain Tascan

Aujourd’hui [jeudi dernier], on lance Lego, demain Rocket Racing, un jeu de voitures fait par les gens qui ont fait Rocket League, après-demain, on lance Festival, fait par les gens qui ont fait Guitar Hero, plein de jeux musicaux. On agrandit l’écosystème, on connecte de plus en plus de personnes.

Nous nous étions rencontrés en 2018, quand le nouveau studio montréalais d’Epic Games, le premier à l’extérieur des États-Unis, comptait à peine 25 personnes. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Je m’occupe maintenant de tous les jeux Fortnite. On est 300 au Canada, 150 à Montréal.

On fait du Fortnite, on a fait l’acquisition [en 2021] d’ArtStation pour les portfolios d’artistes, de Twinmotion pour l’architecture. On a le leadership de l’intelligence artificielle dans les jeux. On a beaucoup de personnes également sur le moteur Unreal. Ça a continué à grossir.

Nos équipes, ça part de Shanghai, ça se termine à Los Angeles, il y a plein de gens de partout, on est pas mal en mode hybride. Le rôle de Montréal a continué de grandir dans l’écosystème.

En quoi Montréal contribue-t-il à Fortnite ?

Bon, je ne veux pas faire de la fausse modestie, mais je suis responsable du jeu, donc de la direction. Toute l’IA du jeu, la direction, elle est faite ici, mais les équipes sont un peu partout. Pour la direction artistique de Lego, elle est également basée ici, on fait des personnages.

IMAGE FOURNIE PAR EPIC GAMES

Lego Fortnite, lancé au cours du week-end, est une des plus importantes nouveautés de Fortnite depuis son lancement en 2017.

Il n’y a pas d’endroit maintenant où on peut dire : « Tout est concentré ici. » On est plus de 4000 dans le monde. Par exemple, dans l’équipe de Fortnite, la direction de l’ingénierie est à Los Angeles, une des directions créatives est à San Francisco, une partie du design est à Raleigh, en Caroline du Nord. Ce qu’on fait, c’est qu’on se retrouve régulièrement, y compris à Montréal, et c’est là qu’ensemble on décide de la planification de l’année à venir.

Une fois qu’un jeu comme Fortnite est arrivé à maturité, qu’il attire des centaines de millions de joueurs, quels sont les défis ? Essaie-t-on encore de trouver la nouvelle petite touche ?

On n’est pas arrivés à maturité, c’est ça qui est intéressant. Six ans plus tard, on se retrouve à avoir les meilleurs scores, la plus grande audience qu’on ait jamais eue. Comment on a réussi à faire ça ? En continuant à innover, en faisant des partenariats à travers l’industrie du divertissement, du sport, de la mode. Ça nous permet de toujours rester pertinents.

La différence entre un jeu comme Fortnite et un jeu classique, c’est que non seulement on fait une saison tous les trois mois, mais tous les jours, on monitore le jeu, on le modifie ; toutes les deux semaines, on fait une mise à jour. Notre capacité d’apprentissage et de réactivité est incomparable.

Une question pour ceux qui ne connaissent pas Fortnite et qui voient leurs ados y jouer régulièrement : qu’y trouvent-ils ? Pourquoi y a-t-il tant de gens qui y jouent et y reviennent ?

Ce sont des millions de personnes au Canada ! S’ils ne connaissent pas, ils doivent se cacher sous une roche (rires). Je crois que c’est retrouver des amis, quelle que soit la plateforme, une PlayStation, un PC, une Switch, une Xbox, un téléphone, et faire quelque chose qui ne dure pas trop longtemps, où tu peux discuter. C’est une expérience comme les gens le font quand ils vont jouer au golf ou au tennis, ils discutent, se retrouvent. Ce n’est pas vraiment violent : c’est vrai qu’on tire, mais on élimine les personnes, « floush », comme ça. C’est d’être ensemble, de faire une activité, d’en parler, de personnaliser ses personnages. Je peux m’exprimer à travers le jeu, faire des choses interactives et plaisantes.

Pour des raisons de clarté et de concision, les propos ont été reformulés.

En savoir plus

  • 26 milliards US
    Revenus estimés du jeu Fortnite entre 2018 et 2022

Sources : Business of apps, demandsage

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L’industrie du jeu vidéo connaît un moment difficile, les mises à pied s’accumulent mondialement, mais un peu de positivité sur ce qui nous attend comme jeux indépendants conçus au Québec:

Un petit faible pour cette bande-annonce de Été d’Impossible et ses paysages montréalais, de nombreux du Mile-End:

On fait des jeux indépendants fantastiques au Québec. J’ai terminé le jeu de rôle Sea of Stars récemment, fait par un studio de Québec. Le jeu est inspiré des JRPG 16 bits (pensons Secret of Mana ou Chrono Trigger sur Super Nintendo), et c’est plus qu’un hommage nostalgique réussi pour ceux ayant grandi pendant cette période, c’est un jeu dont la qualité se compare aux classiques, à mon avis.

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Le studio Behaviour Interactif supprime des dizaines de postes à Montréal

Cela représente moins de 3 % de ses effectifs.

Un grand espace de bureaux ouverts.
Behaviour Interactif a été fondé il y a plus de 30 ans.
PHOTO : BEHAVIOUR INTERACTIF

Stéphanie Dupuis
Publié le 19 janvier à 12 h 53 HNE

Behaviour Interactif, l’éditeur du populaire jeu vidéo d’horreur Dead by Daylight, a supprimé une quarantaine d’emplois à Montréal, ce qui met fin à la lune de miel du studio indépendant, qui est passé d’un à six établissements en moins de deux ans.

Nous avons changé la portée de plusieurs de nos projets pour nous ajuster au marché. Cela a entraîné des changements dans les besoins en personnel.

— Marie-Eve Boisvert, vice-présidente des communications de Behaviour Interactif

Quand cela arrive, nous préférons toujours réassigner les [personnes] sur d’autres projets, mais cela n’a malheureusement pas été possible dans ce cas-ci, a précisé Marie-Eve Boisvert à Radio-Canada, ajoutant que Behaviour Interactif demeure en excellente santé financière.

L’entreprise a multiplié les annonces en grande pompe ces dernières années, avec l’ouverture d’un nouveau bureau à Toronto et le rachat de studios aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Mais voilà qu’elle met fin à cette prolifique ascension avec le licenciement de 39 personnes à ses bureaux du quartier Mile End, et d’une personne à Toronto.

Le studio emploie plus de 1350 personnes à travers le monde, dont la majorité fréquente le bureau montréalais.

Sa principale source de revenus repose sur son jeu d’horreur Dead by Daylight, fort d’un vaste bassin de quelque 50 millions de joueurs et joueuses à l’échelle mondiale. Une collaboration avec le populaire personnage de jeux vidéo Alan Wake sera déployée pour ce titre en janvier.

Un personnage de jeu vidéo s'apprête à piller un territoire.
Dans « Meet Your Maker », les joueurs et joueuses peuvent créer des mondes ou détruire celui des autres.
PHOTO : BEHAVIOUR INTERACTIF

L’entreprise diversifie de plus en plus son catalogue avec le lancement en 2023 de Meet Your Maker, un jeu vidéo de stratégie et de tir à la première personne.

Les industries technologiques sont mises à mal depuis le début de l’année 2024, avec plusieurs annonces de suppressions de postes. L’entreprise qui signe le moteur de jeu Unity, qui compte un studio à Montréal, a annoncé supprimer 25 % de ses effectifs au début du mois.

Autre suppression de postes

Le groupe Embracer supprime 97 postes au sein d’Eidos-Montréal

Réception du studio Eidos-Montréal.
Le studio Eidos-Montréal a été acquis par Embracer en 2022.
PHOTO : RADIO-CANADA / SIMON RAIL LAPLANTE

Stéphanie Dupuis
Publié à 13 h 18 HNE
Mis à jour à 14 h 28 HNE

Le studio Eidos-Montréal, qui a notamment signé le jeu primé Marvel’s Guardians of the Galaxy, est la plus récente victime de la vague de licenciements qui frappe les industries technologiques. Le groupe suédois Embracer, qui a acquis le bureau en 2022, a mis la hache dans 97 postes lundi.

https://twitter.com/EidosmontrealFr/status/1752027975258624335

Eidos-Montréal en a fait l’annonce dans une publication sur X (ex-Twitter). Le studio évoque le contexte économique, les défis de l’industrie et la restructuration globale annoncée par Embracer parmi les raisons qui le forcent à agir de la sorte.

La décision difficile de nous séparer de 97 personnes parmi nos équipes de développement, de l’administration et des services de soutien a été prise.

— Un porte-parole d’Eidos-Montréal

Fondé en 2007, le studio montréalais est passé aux mains du mastodonte du jeu vidéo Embracer en 2022. La transaction comptait aussi le studio Square Enix Montréal, qui a fermé ses portes un mois après avoir été rebaptisé Onoma et avoir changé d’identité de marque.

Parmi les grandes réalisations du studio, on compte Marvel’s Guardians of the Galaxy, couronné jeu de l’année aux Prix du jeu canadien, mais aussi pour la meilleure narration aux Game Awards, considérés comme les Oscars du jeu vidéo. Le studio a également sous son aile les séries à succès Tomb Raider et Deus Ex.

À son 15e anniversaire, en 2022, Eidos-Montréal comptait des effectifs de quelque 500 membres. Ces données remontent toutefois à avant son acquisition par le groupe Embracer.

Vague de licenciements

Eidos-Montréal n’est pas le seul studio à avoir annoncé la suppression de postes depuis le début de l’année. Behaviour Interactif, qui a pignon sur rue dans le quartier Mile End, à Montréal, a annoncé se départir de 40 personnes – dont une dans son bureau torontois.

En novembre 2023, Ubisoft Canada avait annoncé la suppression de 98 emplois au Canada, dont la majorité à Montréal.

D’autres entreprises technologiques ont annoncé des licenciements dont on ne connaît pas encore les répercussions dans leurs bureaux au Canada, dont Microsoft et sa branche de jeux vidéo, ainsi que Google et Unity.

Selon le site Layoffs.fyi, ce sont près de 25 000 personnes qui ont perdu leur emploi dans 94 entreprises liées à la technologie depuis le début de 2024.

En prime avec une annulation d’un nouveau titre dans la série Deus Ex, en pré production depuis deux ans.

Toujours le même cycle avec ces entreprises. Quand l’économie va bien, ça s’arrache le talent pour avoir l’air d’être en croissance et de créer de la richesse. Quand l’économie ralenti, on met le monde dehors pour avoir l’air de contrôler les dépenses et recentrer la business. Dans quelques années, l’économie ira mieux, il n’y aura aucun jeu d’une série phare à vendre sur le marché, et on s’arrachera de nouveau les développeurs pour lancer le développement d’un nouveau titre, en se plaignant du manque de main d’œuvre et d’expérience.

C’est toujours une décision difficile de mettre les gens dehors. Mais étrangement, on ne considère jamais l’alternative de simplement garder son monde pendant la tempête et de s’assurer un produit à vendre, même si c’est une main d’œuvre qui sera inévitablement retrouvée en nombre, car ces entreprises vivent que pour la croissance en bout de ligne.

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Pendant un instant j’ai cru que l’avionneur brésilien Embraer supprimait des postes à Montréal lol

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Je pense que les compagnies profitent un peu de cette vague et de l’excuse de la situation économique pour se débarrasser un peu des employés jugés moins efficaces. Avec les recrutements en masse pendant la covid, il n’est pas étonnant que des studios souhaitent se départir de certains membres.

À mesure que tout le potentiel de l’IA devient plus clair dans l’élaboration de scénarios, la création d’œuvres d’art, la création de voix pour les personnages, la programmation de comportements complexes des personnages de jeux, il y aura probablement des licenciements massifs dans ce domaine. La douleur ne fait que commencer.

Je ne pense pas que l’IA soit rendue assez performante pour avoir un impact sur les emplois du jeu vidéo. Peut-être que ça viendra mais on est encore loin. Elle n’est pas en mesure d’aider ni en code ni en arts les développeurs, elle est surtout bonne pour faire de petits projets.

Reportage à l’émission radio Ça nous regarde

:headphones: Mises à pied massives dans l’industrie du jeu vidéo : Philippe de Montigny https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/ca-nous-regarde/episodes/804225/rattrapage-mardi-30-janvier-2024/9

Ça continue

13 postes coupés à Montréal

42 postes abolis chez Beenox

Les studios de Beenox, à Québec en hiver.
Les studios de Beenox, à Québec.
PHOTO : RADIO-CANADA / ÉRIC CAREAU

Raphaël Beaumont-Drouin
Publié à 10 h 06 HNEMis à jour à 15 h 40 HNE

Les studios de Beenox à Québec et Montréal n’ont pas été épargnés par les compressions dans les rangs de Microsoft : 42 employés de l’entreprise ont perdu leur poste la semaine dernière.

Ces congédiements touchent 29 travailleurs basés à Québec et 13 à Montréal selon la plus récente liste d’avis de licenciements collectifs rendue publique par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS).

Beenox est une filiale d’Activision, qui appartient à Microsoft. La multinationale a refusé de répondre aux questions de Radio-Canada.

Selon nos informations, c’est le département d’assurance qualité chez Beenox qui serait principalement touché par ces compressions.

Dans un courriel envoyé au ministère, l’entreprise invoque des « changements organisationnels » pour justifier ces licenciements.

On apprenait la semaine dernière que Microsoft comptait supprimer 1900 emplois dans ses filiales de jeux vidéo Activision-Blizzard et Xbox.

Vue extérieure des studios de Beenox dans le quartier Saint-Roch à Québec.
Les studios de Beenox sont situés dans le quartier Saint-Roch à Québec.
PHOTO : RADIO-CANADA / ERIC CAREAU

Les employés de Beenox à Québec ont notamment travaillé sur plusieurs jeux de la saga Call of Duty, dont les titres Warzone et la nouvelle version de Modern Warfare III.

Microsoft a enregistré un chiffre d’affaires de 62 milliards $ pour la période de septembre à décembre 2023.

Période difficile

L’industrie du jeu vidéo traverse une période difficile : plus de 6000 travailleurs de l’industrie ont perdu leur emploi depuis un mois.

C’est un secteur en pleine restructuration, selon, Romuald Jamet, professeur en socioéconomie de la culture à l’Institut national de recherche scientifique (INRS). Beaucoup d’emplois ont été créés durant la pandémie car il y avait beaucoup plus de joueurs et donc y’avait beaucoup d’entretien des réseaux à faire. C’est donc normal aujourd’hui que ces entreprises commencent à se restructurer.

Une autre piste d’explications serait l’essor de l’intelligence artificielle, selon lui.

Y’a beaucoup de postes de créateurs et de developpeurs qui sont en train de partir. [Les logiciels] Chat GPT-4 ou 3 sont utilisés aussi pour faire des lignes de codages, ils sont utilisés pour produire des décors, ce qui prenait auparavant énormément de ressources humaines. Cite-t-il.

Je serais très très étonné que ChatGPT soit un motif de licenciement de développeurs dans les studios. Que ces derniers soient frileux d’embaucher en raison des développement de l’IA, d’accord, mais elle ne permet tout simplement pas assez de gains pour le moment pour pouvoir se départir d’effectifs.

This is unsurprising. The Activision Blizzard King acquisition was always going to lead towards layoffs.

There are positions that became redundant with the parent (Xbox or Microsoft) being capable of assuming those roles: accounting, compliance and audit, corporate information and communication technologies, legal counsel, marketing to name a couple.

What I have not seen is the composition of those layoffs.

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De se que j’ai vue, c’est principalement :

  • Un jeu complet cancel chez Blizzard ou presque tout le monde ont été licencié. (250 employées).
  • Pas mal de monde dans les divisions esports de Blizzard et Activision.
  • Réduction massive des équipes de support clients (C’était principalement a Huston pour NA et ça va être dans des pays ou c’est moins cher (Je crois avoir vue que presque la totalité du soutient EU va être out source aussi, mais ça je suis moins sure)) ainsi que QA.
  • Beaucoup de perte niveau lore, story et level design pour Overwatch.
  • Réduction à seulment 2 employé pour la section lore archivist de WoW.

pour Beenox il est mentionné que c’est la section QA qui c’est fait principalement couper.

Le Président de Blizzard c’est aussi fait montrer la porte.

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Dans le Devoir, il est question de 11 500 licenciements en 2023 à l’échelle mondiale et juste pour janvier 2024, c’est 6 000.

Texte complet : Le monde du jeu vidéo entre licenciements et épuisements

Le monde du jeu vidéo entre licenciements et épuisements


Photo: Agence France-Presse
« Ça devient trop difficile de se battre individuellement, chacun pour soi, dit Antoine. Il faut se regrouper, se protéger et rétablir l’équilibre des pouvoirs. »

Stéphane Baillargeon
24 février 2024
Culture

Dans cette nouvelle contribution à la série sur le thème de la main-d’oeuvre dans le secteur de la culture, Le Devoir aborde les défis particuliers du secteur du jeu vidéo, cette fois du point de vue des employés.

Si un jeu vidéo était créé sur les emplois dans l’industrie du jeu vidéo, la version 2023-2024 de cette mise en abyme se déroulerait dans un univers, sinon pré-apocalyptique, au moins sous très forte tension.

Plus de 11 250 licenciements ont été enregistrés à l’échelle mondiale l’an dernier, en trois grandes vagues (janvier, juin, novembre), selon le site Videogamelayoffs.com. Zhaoxi Guangnian (Nuverse) a remercié plus de 1000 personnes ; Epic Games, créateur de l’immensément populaire Fortnite, 830 employés ; Unity Technologies, plus de 1165 professionnels en plusieurs saignées néfastes. Le couperet est tombé sur certaines compagnies actives au Canada et au Québec, dont Ubisoft, Digital Extremes, Bioware, Lumi, Blackbird Interactive, Rovio, Sega, Adglobe, CyberConnect2 et Phoenix Labs.

La nouvelle année a amplifié les renvois. Rien qu’en janvier, 6000 nouveaux licenciements ont frappé le secteur. À elle seule, Activision Blizzard, filiale de Microsoft, a supprimé 1900 postes dans ce secteur mondialisé ; Unity, 1800. Et le service de diffusion spécialisé Twitch, propriété d’Amazon, au moins 500 autres, soit presque autant que Riot Games (530). Le studio Eidos de Montréal, acheté par le groupe suédois Embracer en 2022, a licencié 97 personnes fin janvier. Fin 2022, le même groupe avait acheté et vite fermé le studio Square Enix Montréal.

Ce ressac suit la période faste d’embauches pendant la pandémie. Les confinements stimulaient le recours au divertissement sur écran et les recrutements pour satisfaire la demande, réelle ou espérée. Le retour à une sorte de normalité expliquerait en partie la difficile période actuelle.

L’explication par le repli semble plausible aux yeux de Charles (un prénom d’emprunt), un designer de jeux mobiles qui a réclamé l’anonymat, comme tous les employés interviewés pour cet article. « La pandémie a frappé […], alors le secteur s’est mis à embaucher beaucoup. Sauf que les gens sont retournés au travail, à leurs habitudes. Et maintenant, les compagnies se débarrassent de leurs employés », dit-il.

Charles est du nombre. Il a été remercié de son travail à la fin 2023. Il travaillait dans le domaine depuis une quinzaine d’années, et il n’est pas encore certain d’y retourner. « Ce qui est ironique, parce que j’ai de l’expérience et que les studios se plaignent de manquer d’employés expérimentés. Sauf que les personnes expérimentées coûtent plus cher… »

Il note aussi que les licenciements entraînent de nouveaux départs volontaires de salariés déprimés et craintifs. Dans le dernier studio où travaillait Charles, il reste la moitié du personnel de 2019. Le secteur emploie tout de même encore environ 14 000 personnes dans plus de 300 studios au Québec.

Fondamentalement capitaliste

Timothé, artiste spécialiste en effets spéciaux, reconnaît l’évidence des embauches et débauchages récents tout en les contextualisant. « Cette explication — disons, organique — du secteur qui gonfle de manière artificielle avec la pandémie et se replace maintenant me semble un peu naïve, dit-il. Il y a quand même des explications qui viennent des stratégies globales d’accumulations et d’acquisition effrénées par de grands groupes internationaux en misant sur des promesses de retour rapide sur investissement. Quand le rendement n’est pas à la hauteur, on coupe. Ça fait augmenter la valeur de l’action à court terme. Au bout du compte, ce sont les employés qui paient. On les embauche, on les licencie. »

Une autre employée, Karine, qui travaille en design de jeu, résume la situation de manière plus englobante : « C’est une industrie très techno, qui a une aura progressiste, mais qui est avant tout fondamentalement capitaliste. »

La grande purge engendre des situations « collectives et personnelles déchirantes », résume Antoine, concepteur de jeu dans un studio montréalais. Et « la présence au Québec de nombreux travailleurs recrutés à l’étranger amplifie les situations dramatiques, dit-il. Les personnes avec un permis de travail ont trois mois pour se retrouver un emploi après un licenciement. Après, elles doivent quitter le Canada. C’est une grande source de stress. »

Certains des employés interviewés militent au sein de Game Workers Unite (GWU) Montréal, fondé en 2018. L’organisme regroupe des gens de l’industrie du jeu vidéo à Montréal qui s’activent bénévolement à promouvoir la syndicalisation du secteur. Le site de GWU est on ne peut plus clair sur les raisons de cette volonté de syndiquer les employés : « Les histoires d’abus et de licenciements massifs sont fréquentes ici. Ça suffit ! »

Contritions de travail

Les témoignages alignent les avantages concurrentiels de leur industrie « jeune et moderne », de « la constante et stimulante évolution technologique » à « la belle émulation créative », en passant par son ouverture et son accessibilité. Ils ne masquent pas pour autant ses désavantages tout aussi importants.

La question des horaires revient comme un leitmotiv. « Sur papier, on travaille sept ou huit heures par jour. Mais en réalité, il y a beaucoup de studios où les gens peuvent faire jusqu’à 60 heures et plus par semaine, surtout en période de crunch, dit Karine. La pression et la demande sont extrêmement fortes quand on arrive en bout de course de production. On fait donc beaucoup d’heures supplémentaires non payées. »

Les conditions de travail varient d’un studio à l’autre. « Énormément de studios font de la sous-traitance : ils font exécuter par d’autres des bouts de travail, explique Antoine. En général, dans les studios sous-traitants, les conditions sont bien pires. Au bas de l’échelle, on parle de “ferme” de testage. Les employés bossent sur appel, sans horaire fixe. Ils sont payés au salaire minimum, ou un peu plus, et les contraintes légales sont extrêmement lourdes parce que les employés travaillent sur des prototypes sur lesquels ils ne peuvent partager aucune information. »

Les clauses de confidentialité et de non-concurrence sont omniprésentes et contraignantes. Et mènent à des abus, selon les commentaires recueillis. Le travail se fait souvent sans reconnaissance.

Le secteur est aussi décrit comme très hiérarchisé. Il existe bel et bien des studios fonctionnant comme des coopératives, avec des rapports égalitaires, mais les autres, surtout les grandes entreprises, ont adopté une structure pyramidale qui fait cascader les décisions de haut en bas, disent les militants de GWU. « La culture sur le plan horizontal reste souvent plaisante, mais la hiérarchie marquée fait qu’il peut être difficile d’obtenir de l’écoute — par exemple quand un employé veut dénoncer des situations de harcèlement, résume Timothé. Le blocage se fait bien sentir. Une omerta s’installe. »

Les rapports avec les clients des produits compliqueraient aussi la vie des salariés. Ils se plaignent de harcèlement de la part des joueurs sur les réseaux sociaux, là encore sans toujours obtenir le soutien de leurs entreprises.

Vers une syndicalisation du secteur ?

Les militants de GWU souhaitent donc syndiquer le secteur pour mieux y encadrer les rapports de force. Ils soulignent en passant que l’industrie a été créée avec le soutien financier de généreux programmes de l’État, lequel pourrait exercer des pressions, ne serait-ce que pour faire respecter les lois du travail au Québec.

« Ça devient trop difficile de se battre individuellement, chacun pour soi, dit Antoine. Il faut se regrouper, se protéger et rétablir l’équilibre des pouvoirs. » Il souhaite pour les employés licenciés d’ici les mêmes compensations que celles obtenues par les syndicats aux États-Unis après les licenciements chez Sega et Microsoft (Zenimax-Blizzard).

Les employés de Keywords Studios en Alberta sont devenus à l’été 2022 les premiers au Canada à se syndiquer. Les relations de travail ont ensuite empiré. Après un an de tentatives pour négocier une première convention collective, la direction du studio a licencié les 16 employés, qui ont répliqué par du piquetage et des plaintes auprès du bureau des relations de travail de la province.

« On estime qu’il est trop tôt pour présenter leurs manoeuvres comme un échec, dit encore Antoine en terminant. Ils sont en grève et ils ont gagné une cause devant l’Alberta Labour Board, qui établit un précédent important pour les travailleurs à distance. »

ça continue

Fin des crédits d’impôts

Les crédits d’impôt versés à l’industrie du jeu vidéo, du secteur des technologies de l’information et des effets spéciaux ont coûté environ 850 millions à Québec en 2023, selon Québec. Les changements annoncés devraient lui permettre de récupérer 365 millions de dollars par an.

Texte complet : Le budget Girard pourrait nuire à l’industrie du jeu vidéo au Québec

Le budget Girard pourrait nuire à l’industrie du jeu vidéo au Québec

Des personnes travaillent à l'ordinateur dans un espace de bureaux ouvert.
À elle seule, l’entreprise française Ubisoft emploie le tiers des travailleurs de l’industrie québécoise du jeu vidéo.
PHOTO : RADIO-CANADA / DENIS WONG

Stéphanie Dupuis
Publié hier à 16 h 34 HAE

Les studios de jeux vidéo du Québec, particulièrement les petits, devront se serrer la ceinture dans les prochaines années avec le nouveau budget du gouvernement de François Legault, qui revoit à la baisse des crédits d’impôt pour ce secteur.

Depuis les années 1990, l’industrie vidéoludique a connu un grand essor dans la province grâce, entre autres, à de généreux crédits d’impôt.

Elle reçoit notamment une aide financière de 7,5 % – offre inchangée dans le nouveau budget– afin de produire des jeux vidéo dans la langue de Tremblay.

Un autre crédit, celui pour la production de titres multimédias (CTMM), sert pour sa part à soutenir les emplois. Le ministère des Finances prévoit faire passer le crédit de la CTMM de 30 % à 20 % au cours des quatre prochaines années.

L’écart de 10 % sera désormais non remboursable, ce qui signifie que les entreprises devront payer des impôts au Québec pour en profiter et que celles qui ne sont pas rentables verront leur aide diminuée

Même scénario du côté d’un autre crédit : celui pour le développement des affaires électroniques (CDAE).

L’industrie reçoit 30 % de crédit d’impôt et la partie non remboursable de celui-ci passera progressivement de 6 % à 10 % d’ici 2028.

Effet pervers pour les petits studios

Le souci qu’on a présentement, c’est qu’à moyen terme, entre 2025 et 2028, ces changements vont affecter les entreprises que le gouvernement ne voulait pas toucher, c’est-à-dire les petits studios, affirme Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec.

Pour un studio qui aurait reçu 300 000 $ en crédits d’impôt en 2024, ça voudrait dire une diminution de 56 % d’argent disponible pour réinvestir dans les salaires en 2028, selon nos estimations préliminaires.

— Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec

Sabotage (Sea of Stars), Thunder Lotus Games (Spiritfarer), Red Barrels (Outlast), KO OP (Goodbye Volcano High) sont tous de petits studios indépendants qui ont connu un succès à l’international ces dernières années et qui ont vendu des millions d’exemplaires de leurs jeux.

Si le gouvernement avait pris des décisions semblables il y a cinq ou six ans, ces studios ne seraient plus là, affirme le directeur de la Guilde, dont 228 des 330 membres sont des studios de 10 personnes ou moins.

Pour ce qui est des grands studios de jeux vidéo, qui représentent de 9000 à 10 000 des quelque 14 500 travailleurs de l’industrie au Québec, l’effet du nouveau budget se fera sentir, mais dans une moindre mesure.

D’après des calculs préliminaires de la Guilde, cela représentera de 13 à 15 % de moins d’argent disponible pour réinvestir dans leur studio en 2028.

Les grandes entreprises seront aussi les seules à pouvoir bénéficier du retrait du plafond salarial, établi auparavant à 100 000 $ par la CTMM, une nouvelle mesure annoncée dans le budget du ministre Eric Girard.

Selon Thomas Burelli, professeur au département de droit civil de l’Université d’Ottawa, le gouvernement Legault souhaitait plutôt cibler ces grandes entreprises avec ses nouvelles mesures.

Ce sont 15 entreprises de jeux vidéo au Québec qui touchent 75 % de la valeur du crédit multimédia (CTMM). Et elles ne sont pas contrôlées à partir du Québec, insiste le spécialiste en droit du jeu vidéo, citant des données de 2019 publiées dans un rapport de l’Université de Sherbrooke.

Ça fonctionne, mais est-ce que ça touche vraiment le Québec? Ce sont des entreprises qui ne paient pas d’impôts dans la province, et ça coûte de l’argent.

— Thomas Burelli, professeur en droit

Selon ce même rapport, en 2019, la majorité des entreprises bénéficiant du CTMM (120 sur 196) n’avait pas payé d’impôts au Québec.

D’après Thomas Burelli, ce serait difficile pour le gouvernement de justifier un statu quo sur ces crédits d’impôt dans un contexte de plein emploi et de pénurie de main-d’œuvre. Ce crédit a été mis en place dans un contexte de 10 % de taux de chômage, rappelle-t-il.

Une industrie mise à mal

L’industrie du jeu vidéo connaît des années difficiles, cumulant plusieurs mises à pied, en raison notamment du contexte postpandémique et inflationniste.

Du côté des studios québécois, ce sont surtout ceux détenus par de grandes entreprises internationales qui ont subi d’importantes coupes. Eidos-Montréal, une propriété du groupe suédois Embracer, a récemment supprimé 97 postes, et Beenox, établi à Montréal et à Québec, a subi les soubresauts de restructuration d’Activision-Blizzard, en lien avec son rachat historique par Microsoft en octobre dernier.

Tout indique que les difficultés ont gagné certains studios détenus par des intérêts locaux, d’après Jean-Jacques Hermans. On a récemment fait une mise à jour plus approfondie et on a remarqué une diminution du nombre d’employés dans les plus petits studios. C’est moins visible, mais ça a tout de même lieu, soutient-il.

Si dans les prochaines années on n’est pas en mesure de trouver des solutions plus concrètes pour les petits studios, ça pourrait [compromettre] ce qu’on a mis 30 ans à bâtir au Québec.

— Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec

Et maintenir ces modifications rendra le Québec et ses entreprises perdants, au profit des provinces voisines ou encore de territoires tels que l’Australie et les pays d’Europe, qui se mobilisent actuellement pour attirer des studios afin de développer leur écosystème local, insiste la Guilde.

Thomas Burelli rappelle que le Québec offrait jusqu’ici certains des meilleurs crédits d’impôt dans le monde En France, le taux de remboursement sur les salaires est de 30 %. Au Royaume-Uni, ça se situe entre 20 et 25 %. Dans le monde en général, c’est de 15 à 20 ou 25 %. Au Québec, entre 30 et 37 %. Mais là, ça va descendre.

Le Québec deviendra ainsi moins intéressant que l’Ontario, mais plus que la Colombie-Britannique, sur cet aspect, selon l’expert.

Il insiste sur le fait que les dépenses en ressources humaines ne constituent pas le seul critère encourageant les entreprises étrangères à s’installer dans la province.

Il note les règles d’immigration, la formation, mais aussi l’accès à la main-d’œuvre, une donnée importante à laquelle répond parfaitement Montréal, qui compte plusieurs universités formant la relève en ingénierie logicielle, entre autres.

Des solutions proposées

Néanmoins, Jean-Jacques Hermans demeure lucide : On n’est pas contre l’idée que les entreprises doivent payer leur juste part.

Il propose notamment de taxer les revenus des studios, lorsqu’il y en a. En effet, une personne qui s’ouvre un studio va mettre de deux à trois ans à publier son premier jeu vidéo et potentiellement faire des profits, une réalité que le gouvernement semble ignorer, selon le directeur de la Guilde.

Ça me semble plus pertinent de taxer les entreprises lorsqu’elles ont des revenus que lorsqu’elles n’en ont pas.

— Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec

L’organisation demande ainsi que le gouvernement rencontre les entreprises afin de se sensibiliser aux impacts de cette décision. Elle affirme également que la province est forte de studios à 86 % de propriété québécoise et que son expertise, reconnue mondialement, a permis de contribuer à hauteur de 1,31 milliard de dollars au PIB du Québec.

Le géant français Ubisoft, qui compte des studios à Montréal, mais aussi à Québec, à Chicoutimi et à Sherbrooke, a dit soutenir la Guilde et analyser l’impact des mesures proposées sur ses opérations.

Nous tenons à rappeler que l’industrie du jeu vidéo est devenue au fil du temps un véritable fleuron pour le Québec. Elle amène une vitalité économique en plus de créer de la richesse partout en région, déclare Antoine Leduc-Labelle, chef des relations publiques d’Ubisoft Montréal.

Le studio montréalais Behaviour Interactif, qui a connu une importante expansion ces deux dernières années, affirme avoir été surpris par la nouvelle, mais dit qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces changements. Le développeur de Dead by Daylight compte rencontrer les membres du gouvernement au cours des prochaines semaines.

Plusieurs studios ont refusé de s’entretenir avec Radio-Canada, la Guilde du jeu vidéo ayant donné la directive de lui envoyer les demandes des médias.

Les crédits d’impôt versés à l’industrie du jeu vidéo, du secteur des technologies de l’information et des effets spéciaux ont coûté environ 850 millions à Québec en 2023, selon Québec. Les changements annoncés devraient lui permettre de récupérer 365 millions de dollars par an.

Le budget annoncé par le gouvernement est le plus déficitaire de son histoire, avec un manque à gagner de 11 milliards de dollars.

réduction, pas la fin.

Je suis d’avis comme PY McSween, le Québec donne trop de crédits d’impôts aux multinationales. Je veux bien croire que ça aide, mais elles devront aussi contribuer à l’économie du Québec de leur propre grès, sans l’aide de l’État. Comme si des compagnies cotées en bourse n’étaient pas capable de survivre sans l’aide de l’État!

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