Fait-on la guerre à l’auto ?
On ne parle pas de politique à table ? Dialogue fait exactement le contraire cet été. Autour d’un verre ou d’un café, nous avons invité des personnalités d’horizons variés à confronter leurs idées en discutant d’enjeux marquants des derniers mois. Premier service : la guerre à l’auto.
Résumé
Parlons politique Équilibrer le « cocktail de mobilité »
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Nicolas Ryan
Les enjeux de transport ont une fois de plus marqué les derniers mois. Que ce soit dans la capitale, dans l’est de Montréal ou à Gatineau, le « mot commençant par T » – le tramway – a beaucoup fait parler. Au même moment, des élus municipaux mènent de front un combat avec Québec pour dénouer l’impasse du financement du transport collectif. Et même si le gouvernement investit massivement dans le réseau routier, certains estiment qu’on mène une guerre à l’auto.
Publié à 5h00


Hugo Pilon-Larose La Presse
Les Québécois vivant loin des grands centres et des banlieues sont dépendants de leur voiture pour se déplacer. Dans tous les débats concernant le financement du transport collectif, parle-t-on assez des besoins de ceux qui n’y ont pas accès ?
Nicolas Ryan : Chez CAA-Québec, nous représentons 1,3 million de membres. En écoutant les débats sur le transport, certains nous écrivent parce qu’ils ont l’impression de se faire dire que c’est une mauvaise chose de posséder une voiture. Notre posture est que l’automobile fait partie d’un cocktail de mobilité. On s’est aussi positionné en faveur d’un réseau structurant de transports en commun à Québec, ce qui a fait crier des membres. Mais en les sondant, 81 % d’entre eux étaient aussi en faveur. La polarisation des débats est de plus en plus large, mais la masse critique des gens est rationnelle et capable de faire la part des choses.
Jacques Demers : À la Fédération québécoise des municipalités, on représente l’ensemble des MRC du Québec. On appuie le transport collectif partout où c’est possible de le faire, mais ce n’est pas toujours la solution. [Dans ma région à Magog], on a fait le test avec [une ligne d’autobus]. Pendant une année, la moyenne des personnes à bord, sur environ 30 kilomètres, était d’une personne. La réalité, c’est que même si on avait doublé ou triplé le service, on n’était pas en train de régler une problématique.
Marie-Soleil Gagné : C’est un sujet qui me passionne parce que je travaille pour Accès transports viables, qui fait la défense des droits des utilisateurs des transports actifs et collectifs. Je ne suis pas une fille de ville. Je viens de la Gaspésie. Mais en tant que néo-urbaine, je vois les iniquités territoriales en matière de transport, malgré le fait que c’est écrit dans les politiques gouvernementales qu’on veut offrir des options de mobilité à tous les citoyens, peu importe où ils vivent. Or, ce n’est pas le cas. [Où j’ai grandi], on est fortement dépendant de l’automobile pour se déplacer, sans quoi on peut être confiné chez soi.
Concernant l’exemple que vous donnez, Monsieur Demers, d’un autobus qui s’avérait pratiquement vide dans votre région, après avoir constaté que le projet n’atteignait pas sa cible, quelles ont été les prochaines étapes ?
Jacques Demers : Ce qu’on a fait, c’est de nous concentrer aux endroits [où il y avait des besoins]. Dans cette MRC, on s’est rendu compte qu’il y avait quelque chose à faire avec la ville de Magog pour les jeunes qui se déplacent vers [les établissements scolaires]. Il faut habituer les jeunes à prendre les transports en commun. Sinon, dès qu’ils commencent à aller au cégep ou à l’université et qu’ils achètent une auto, on les échappe.
Marie-Soleil Gagné : L’éléphant dans la pièce, c’est qu’on a tendance à vouloir appliquer les mêmes solutions en matière de transport collectif dans les secteurs ruraux ou périurbains que ce qu’on fait dans les villes. Il y a d’autres options qu’un autobus qui reste vide, comme le covoiturage, le transport à la demande ou la mutualisation des parcs de véhicules des services municipaux. Une voiture est dans un stationnement 95 % du temps. On a un bon parc d’automobiles au Québec. On est rendu à plus d’une par personne. Manifestement, il y a matière à partager.
Dans le monde municipal, envisagez-vous ce type de solution ?
Jacques Demers : En matière de covoiturage, presque tous les villages ont installé des stationnements identifiés pour le faire, mais ils sont très peu utilisés. On a cru à ce modèle-là, on a essayé de le mettre en place, mais c’est compliqué de partager. Sur nos véhicules municipaux, il y a [des enjeux d’assurance]. Ce n’est pas vrai que tu peux juste laisser quelqu’un utiliser le véhicule sans qu’il y ait de frais. Ça coûte très cher et c’est difficile à gérer.
Ce qui serait important pour offrir de meilleurs services, c’est d’analyser les déplacements des citoyens. Ils partent d’où, ils vont où ? On l’a fait l’hiver passé avec le mont Orford pour se rendre compte que beaucoup d’utilisateurs sont des jeunes de Sherbrooke. On a mis un lien avec le service d’autobus de la ville. Les samedis et dimanches, du jour au lendemain, on avait plus d’une vingtaine de jeunes dans l’autobus.
Nicolas Ryan : Et ils vont passer le mot à leur gang !
Marie-Soleil Gagné : Le transport et la mobilité, c’est très complexe et ce n’est pas facile de prendre en compte les besoins de tout le monde sans avoir d’angles morts ou de biais. En transport, on a une norme sociale qui est très forte et qui est axée sur l’« automobilité ». Quand même le superministre [Pierre Fitzgibbon] dit qu’il faudrait couper de moitié le nombre de voitures, j’imagine que les membres de CAA-Québec réagissent avec émotion !
Nicolas Ryan : Il y a de l’émotivité, en effet. [Selon un sondage qu’on a mené], 62 % des gens disent détenir une voiture à Montréal. Lorsqu’on [élargit] dans la région métropolitaine, c’est 86 %. On veut amener ces gens-là à changer d’habitudes, mais une écrasante majorité d’entre eux dépendent de leur voiture au quotidien. J’entendais un commentateur sportif récemment expliquer qu’il habite à Repentigny et que le trajet le plus court pour aller au centre-ville de Montréal en transport collectif lui prendrait 2 h 13 min. Alors qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on doit le diaboliser parce qu’il doit utiliser sa voiture pour son travail ?
Marie-Soleil Gagné : Mais qui le diabolise ?
Nicolas Ryan : Va faire un tour sur les réseaux sociaux. C’est méchant, ce qui s’y passe en ce moment. Il y a une polarisation épouvantable. Moi, avec ma famille, je roule avec ma voiture 8000 km par année. Est-ce que c’est beaucoup ? Je ne pense pas. J’ai un petit VUS, trois enfants en arrière, ça ne rentre pas dans un plus petit véhicule. On parle très rarement de l’utilisation qu’on fait de la voiture, mais plutôt du fait d’en posséder une. On va taxer l’immatriculation sans réfléchir si tu fais 45 000 km dans une grosse cylindrée ou 8000 km dans une voiture écoénergétique.
Les propos ont été abrégés et résumés à des fins de concision.
Nos invités
Marie-Soleil Gagné
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
La directrice générale d’Accès transports viables, Marie-Soleil Gagné
Directrice générale d’Accès transports viables, un organisme qui défend les droits des utilisateurs du transport collectif et qui fait la promotion de la mobilité durable et active dans les régions de la Capitale-Nationale et de Chaudière-Appalaches.
Nicolas Ryan
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Le directeur des affaires publiques chez CAA-Québec, Nicolas Ryan
Directeur des affaires publiques chez CAA-Québec, un organisme qui assure la défense des intérêts de ses membres, notamment en matière de sécurité routière et d’infrastructures de transport.
Jacques Demers
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Le président de la Fédération québécoise des municipalités, Jacques Demers
Maire de Sainte-Catherine-de-Hatley, préfet de la MRC de Memphrémagog et président de la Fédération québécoise des municipalités, dont la mission est de défendre les intérêts politiques et économiques des régions.
Résumé
Parlons politique À la recherche des meilleures solutions
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Jacques Demers et Marie-Soleil Gagné
Publié à 5h00


Hugo Pilon-Larose La Presse
J’aimerais qu’on aborde la question du transport interurbain. A-t-on laissé ce secteur se réduire comme peau de chagrin à travers les années ?
Jacques Demers : Quand on regarde les millions qui sont mis au niveau des transports en commun, les 10 grandes sociétés de transport en prennent environ 94 %. Pour les citoyens des autres régions, qui représentent quand même plus de 30 % de la population, il reste 6 % du montant. Est-ce qu’on peut regarder quels sont leurs besoins et évaluer si l’argent est bien réparti ?
Mais est-ce qu’il faudra plus d’argent, dans tous les cas ? Déjà, les sociétés de transport dans la région de Montréal disent que le gouvernement n’en met pas assez sur la table.
Marie-Soleil Gagné : On a connu cette année un recul en matière de financement du transport collectif. Au budget, on est rendu à 29 % pour le financement du transport collectif et 71 % pour le transport autoroutier. Il faut savoir aussi que notre parc autoroutier est immense au Québec. Si on mettait toutes nos routes bout à bout, on serait capable d’aller jusqu’à la Lune et d’en revenir, alors que les plus récentes données notent un déficit [croissant] d’entretien du réseau routier qui s’élève à 20,4 milliards. Ce sont des choix politiques, et nous estimons qu’il y a un déséquilibre en matière de financement. Et je ne vais pas embarquer dans la taxe sur l’immatriculation qui n’a pas été indexée, alors que les usagers du transport collectif se font indexer leurs tarifs chaque année.
Nicolas Ryan : En 2021-2022, donc avant que l’immatriculation soit augmentée à Montréal, la contribution des automobilistes au financement des transports en commun étant de l’ordre de 1,46 milliard [notamment] avec l’argent qui est versé au fonds des réseaux de transport terrestre, la taxe spéciale de 3 cents le litre d’essence, la taxe supplémentaire de 45 $ par véhicule immatriculé, qui sera à 155 $ à partir de 2025 [dans le Grand Montréal], et les droits d’immatriculation supplémentaires sur les véhicules énergivores. Tout ça pour dire que l’automobiliste met beaucoup d’argent dans les transports en commun. Est-il ensuite bien utilisé ?
Marie-Soleil Gagné : Tu parles de la contribution des automobilistes au transport collectif, mais les personnes qui utilisent le transport collectif paient aussi pour les routes avec leurs taxes et leurs impôts. Quelque part, je pense qu’il y a aussi une équivalence.
Jacques Demers : Quand j’écoute ça, je me questionne, parce que d’un bord ou de l’autre, l’automobiliste dit qu’il paie trop pour le transport collectif et le citadin répond qu’il paie pour des routes qu’il n’utilise pas. Mais il y a aussi un enjeu d’occupation du territoire. On a décidé au Québec de l’occuper, ce territoire. Les routes ne sont pas juste utilisées par les automobilistes, mais aussi pour aller chercher des ressources naturelles et pour se rendre dans les territoires agricoles.
On aura beau avoir de grands principes, mais si une personne habite dans un endroit où les transports en commun passent une fois le matin et une fois le soir, il va s’acheter une voiture pour se transporter. La journée où on réussira à donner un service aux endroits où c’est possible de le faire, le citoyen va le prendre. Une voiture coûte autrement tellement cher…
Manque-t-on de leadership en ce moment sur les enjeux de transport ?
Marie-Soleil Gagné : Du leadership, oui, mais de la cohésion sociale aussi. D’aller chercher de la cohabitation [sur les routes].
Nicolas Ryan : Il faut trouver les meilleures solutions collectivement.
Marie-Soleil Gagné : On est capables, automobilistes, piétons et cyclistes, de s’asseoir tout le monde ensemble et de trouver des solutions.
Nicolas Ryan : Ceux qui prennent des décisions doivent arrêter de gérer à la petite semaine ou en fonction de l’élection. À Montréal, la mairesse Valérie Plante avait misé sur la ligne rose. Foncièrement, c’est un bon projet. Mais quand tu regardes comment financer tout ça, tu vois que c’est cousu de fil rose… Ça ne marche pas. [Il faut trouver] comment amener ces rêves à la réalité.
Pourquoi, quand on parle de transports en commun, que ce soit sur le Réseau express métropolitain, le tramway à Québec, le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, tout devient émotif ?
Nicolas Ryan : C’est probablement mal expliqué. Des membres m’appellent parfois et ils ne sont pas contents. Souvent, ça parle de tramway et ça parle de taxes, deux sujets qui reviennent. Une personne m’a déjà appelé pour le tramway, pour se rendre compte à la fin de la discussion qu’elle n’était pas pour autant contre un réseau de transport structurant. Elle voulait un métro.
Marie-Soleil Gagné : On ne parle pas du même budget, là…
Nicolas Ryan : C’est ce que je lui ai expliqué. Lors de la construction du métro de Montréal, les débats ont probablement été aussi [vifs]. Aujourd’hui, imaginez si tous ceux qui prennent le métro ressortaient pour se rendre au centre-ville de Montréal en auto. Ça serait catastrophique. Ce qu’on dit à CAA-Québec, c’est le bon mode de transport, au bon endroit et au bon coût.
Doit-on intégrer de nouveaux acteurs, incluant le privé, pour financer tous ces réseaux ?
Marie-Soleil Gagné : Il faut faire attention avec le privé, parce que le transport collectif n’a pas à être rentable. C’est un service public et essentiel.
Nicolas Ryan : On a sondé nos membres, notamment sur la taxe sur la masse salariale. Les organisations qui bénéficient des transports en commun, on pourrait aller chercher un certain pourcentage des bénéfices pour réinvestir dans le système et donner de meilleurs services. Mais on n’entend pas assez souvent ces idées-là. Ce qu’on entend, c’est d’aller taxer l’automobile.
Jacques Demers : Si c’est un devoir collectif de payer les transports en commun, pourrait-on au moins être sur des bases de pourcentage ? De dire que le provincial, c’est tant, les municipalités, c’est tant, le citoyen, c’est un autre pourcentage. À ce moment-là, quand ça monte, ça monte de façon collective. Décidons qui paie quelle partie de la facture et on aura déjà un bout de chemin de fait. Au final, il faut que l’argent vienne de quelque part.
Les propos ont été abrégés et résumés à des fins de concision.