Éditorial de Marie-Andrée Chouinard dans Le Devoir
La fin du «tout à l’auto»
Marie-Andrée Chouinard
4 janvier 2024
Éditoriaux
À la faveur des Fêtes, l’équipe éditoriale poursuit sa réflexion sur les défis individuels et collectifs qui façonneront notre monde des prochaines années sous l’angle des solutions, dans la mesure du possible. Aujourd’hui : la mobilité durable.
Si nobles soient-elles, les ambitions du Québec en matière de mobilité durable s’écrasent lamentablement sur le mur de la réalité, où tout n’est que confusion, incohérence et manque de courage politique. Si la lutte contre les changements climatiques est une priorité digne de ce nom, alors les décideurs politiques devront placer vision et cohésion à leur menu. Le défi est colossal, mais l’avenir du Québec en dépend.
Dans le champ stratégique de développement national qu’est la mobilité durable, 2023 a fourni son lot d’incongruités spectaculaires. La palme revient sans contredit au premier ministre François Legault, chantre de la résurrection du troisième lien à la faveur d’une défaite électorale dans Jean-Talon, suivi de près par les concepteurs du nouveau pont de l’Île-aux-Tourtes (reliant la Montérégie et Montréal) qui ont apparemment omis dans leurs plans l’inclusion d’une voie uniquement réservée au transport collectif. « Ce n’est pas normal qu’en 2023 on fasse avec un pont sans voie dédiée au transport collectif », s’est indigné le maire de Vaudreuil-Dorion, Guy Pilon, en marge d’une conférence de presse tenue par la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, début décembre. […] « C’est aberrant et c’est inconcevable. » On ne saurait dire mieux.
Hélas, la lignée des aberrations fut riche l’année dernière, ce qui requerra encore plus de muscle pour gonfler les défis de demain. En désordre, il y eut bien sûr le retour insensé du troisième lien dans les intentions du gouvernement Legault, après avoir pourtant convenu qu’un lien autoroutier entre Québec et Lévis n’était une option ni logique ni économique. Dans la région de Québec, qui cherche comme ailleurs des solutions pour décongestionner la circulation automobile, le projet de tramway a aussi été recalé, même s’il avait dix ans dans le corps et était soutenu par des études convaincantes, sans compter un maire convaincu. Cette idée retourne au stade de l’étude, a décidé Québec, qui l’a confiée à CDPQ Infra.
Depuis son lancement à la fin de l’été, le Réseau express métropolitain connaît une période de rodage marquée par les défaillances et les arrêts de service, sans compter l’insatisfaction engendrée par le bruit causé par le passage des trains — digne d’un sketch dans le Bye Bye — et les ennuis provoqués par… la neige. À Montréal, le réalisme des engagements politiques en matière de transport collectif est gravement hypothéqué : les retards éhontés dans le prolongement de la ligne bleue du métro, rêvé en 1991, et la suspension par Québec des travaux sur la ligne rose, s’ajoutent à une longue liste de déconvenues. Cet automne, les municipalités et Québec se sont colletaillés autour de la responsabilité financière du transport collectif, car les sociétés de transport peinent à présenter des projets d’équilibre budgétaire ; entre autres solutions pour éviter le marasme, elles ont jonglé avec l’idée de réduire les heures de desserte, un projet absurde heureusement remisé.
Le transport collectif devrait pourtant s’inscrire au centre des visées portées par Québec, et par les municipalités, pour affronter notre immense dépendance à l’automobile. Dans la politique de mobilité durable présentée en 2018 sous les applaudissements nourris par le gouvernement de Philippe Couillard, c’était le socle de nos ambitions, avec l’intention de rehausser de 30 % le recours au transport collectif, et de diminuer de 20 % l’habitude de l’auto solo. Qu’en est-il, cinq ans plus tard ? Un bilan exhaustif effectué par Radio-Canada démontre que cette politique à 10 milliards n’a pas contribué à réduire de manière notable l’émission des gaz à effet de serre ni non plus la consommation de pétrole du secteur des transports.
Des experts se grattent la tête : quelle est la vision qui soutient nos choix politiques ? Il semble que la politique de mobilité durable ne soit pas au centre des décisions majeures, et qu’elle soit plutôt encore perçue comme une commodité trônant sur la voie de garage. Au ministère des Transports et de la Mobilité durable, il y en a encore beaucoup trop pour le transport — asphalte, auto, transport des marchandises — et trop peu pour la mobilité durable. En cette ère d’urgence climatique, le rapport devrait pourtant bel et bien être inversé. Rehausser l’accès au transport collectif, diminuer les trajets des citoyens entre le travail et la maison et le recours trop populaire à l’auto solo, telles sont les priorités auxquelles tous les ordres de gouvernement devraient s’attaquer.
Pour mettre fin au « tout à l’auto », il faudra aussi avoir le courage d’adopter des mesures plus musclées, même si elles viennent déranger le confort électoraliste des décideurs. D’abord, juguler l’étalement urbain, qui ne fait que conforter la suprématie du « char ». Ensuite, oser davantage d’options punitives pour l’automobiliste, comme la multiplication des péages routiers dans la ceinture de Montréal ou même le recours à une taxe kilométrique sur l’île. En cette ère d’urgence climatique, les solutions mises de l’avant devront bousculer le confort et l’indifférence. C’est une condition essentielle au véritable changement.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.