La coop de propriétaires serait-elle l’antidote à la spéculation immobilière?
Alors que la surchauffe immobilière touche de plus en plus de villes au pays, un nouveau modèle de propriété émerge en Estrie; la coopérative de propriétaires. Un projet pilote qui devrait s’étendre à tout le Québec.
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Serge Vaillancourt, président de la Coopérative de propriétaires du Havre des Pins, devant le premier de cinq immeubles.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
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Michel Labrecque
à 4 h 06
À la Coopérative d’habitation Havre des Pins, des ouvriers construisent le deuxième immeuble alors que le premier a été inauguré en juillet. Au total, il y aura 5 bâtiments de 24 appartements, pour un total de 120 propriétaires.
Nous sommes les premiers qui l’avons fait, avec tout ce que ça représente d’enjeux et de défis, raconte Serge Vaillancourt en rigolant. Inventer un nouveau modèle de propriété n’a pas été de tout repos.
La formule coopérative me convient très bien, affirme Hélène Drolet, qui est, comme tout le monde ici, membre d’un comité associatif qui veille au bien commun. Mais ce n’est pas fait pour tout le monde, c’est pour ça qu’on choisit nos membres, dit-elle.
La Coopérative d’habitation Havre des Pins est située dans un quartier en périphérie nord de Sherbrooke.
Les appartements du Havre des Pins sont vastes, lumineux et comptent de une à trois chambres à coucher.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
L’Idée est née en 2017. On s’est inspiré du modèle des fiducies foncières communautaires américaines, dont une des plus importantes est située à Burlington, au Vermont, dont nous avons parlé en février 2020.
Il y a 2000 coopératives d’habitations au Canada, plus de 1300 au Québec, mais toutes fonctionnaient selon le mode locatif.
Pourquoi l’idée d’une coopérative de propriétaires? Pour donner accès à la propriété abordable et pour conserver cette abordabilité à long terme. Et aussi pour intéresser une nouvelle clientèle au modèle coopératif.
Projet écolo à Waterville
Pour nous, c’était très important d’être propriétaires, dit Catherine Larouche, maman de deux jeunes enfants, qui, depuis janvier, a emménagé avec son conjoint dans la Coopérative d’habitation Des Prés, à Waterville, au sud de Sherbrooke. Auparavant, la famille était propriétaire d’une maison unifamiliale.
La Coopérative d’habitation Des Prés à Waterville a un parti pris écologique. Le terrain reste à aménager.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
La Coopérative d’habitation Des Prés est toute neuve. On y trouve quatre bâtiments certifiés LEED, qui contiennent chacun quatre logements. Alors qu’à Havre des Pins, les jeunes familles sont peu nombreuses, ici elles sont en majorité. Les membres ont très hâte à la fin de la pandémie pour s’inventer un univers collectif.
Au début de la COVID, nous habitions à Toronto avec notre bébé, dans un minuscule logement au prix exorbitant, raconte Anaïs Restais. Et au bout de longues recherches d’un endroit idéal pour la vie de famille, Anaïs, son conjoint Matthias Mellouli et le petit Gaspard ont acheté dans cette coopérative, pour réinventer leur vie.
Anaïs, Matthias et Gaspard. Des expatriés de Toronto qui ont choisi de changer de vie.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
Ici, c’est un vivier de connaissances, dit la graphiste qui ne connaît rien au jardinage, mais a bien hâte d’apprendre de l’expérience des autres. Et de partager ses connaissances. Et surtout, c’est un milieu formidable pour élever un enfant.
Mais quelle est donc la différence entre être propriétaire d’un logement privé et de l’être en coopérative?
D’abord, on est usufruitier, ce qui est une définition plus restrictive de la propriété. La structure reste propriété de la coopérative. Si vous voulez modifier votre plancher, il faut consulter avant d’agir.
Mais la différence est principalement au moment de l’achat et de la revente.
Nous construisons au prix coûtant, donc nos prix sont de 25 % sous les prix du marché privé, résume Guillaume Brien, le grand instigateur de ce projet et directeur général de la Fédération des coopératives de l’Estrie.
C’est plus abordable, mais quand on part, on touche seulement 40 % de la plus-value. Les 60 % qui restent sont majoritairement placés dans une fondation sans but lucratif pour acquérir de nouvelles propriétés.
Le but est que ça reste toujours 25 % en bas du marché privé. C’est ça, le principe de garder l’abordabilité pérenne, ajoute Guillaume Brien.
C’est certain qu’on récoltera moins d’argent que nos voisins [à la revente]. Mais ça s’équivaut, parce qu’on aura moins investi à l’achat. Nous avions des dettes qu’on a pu rembourser en achetant cette propriété abordable. Et on va pouvoir investir davantage dans nos fonds de retraite. Et pas besoin d’épargner pour l’entretien, c’est la coopérative qui s’en occupe.
**Une citation de :**Catherine Larouche, membre, Coopérative d’habitation Des Prés, Waterville
Un village de minimaisons
Un troisième projet de coopérative de propriétaires va bientôt émerger : Le Petit Quartier, 73 minimaisons qui seront construites en 2022 dans l’arrondissement Fleurimont de Sherbrooke. On n’achète pas seulement une maison, on achète un village, dit Marie-Josée Martel, une des fondatrices. Il y a aura beaucoup de choses en commun, des équipements communautaires, une piscine, poursuit-elle.
Voici à quoi devrait ressembler la Coopérative d’habitation Le Petit Quartier.
Photo : Coopérative d’habitation du Petit Quartier
Ce sont des minimaisons, mais pas avec des minimeubles, dit en riant Maryse Goddard, de la Fédération des coopératives de l’Estrie, qui m’a fait visiter la maison modèle. En fait, la superficie varie de 700 à 900 pieds carrés. On peut aménager jusqu’à deux chambres à coucher dans l’étage du haut.
Maryse Goddard est chargée de projet de ces minimaisons.
Photo : Radio-Canada / Michel Labrecque
Sylvie Rochette, une artiste visuelle, croit que la coopérative de propriétaires représente le meilleur des deux mondes. On peut accéder à la propriété tout en partageant avec d’autres.
Mme Rochette croit aussi que ce modèle est un antidote à la spéculation immobilière actuelle.
On a beau faire du profit, mais ça s’arrête où? Tout le monde a besoin d’un toit pour vivre. En ce moment, il y a trop d’exclus.
**Une citation de :**Sylvie Rochette, membre de la Coopérative d’habitation Le Petit Quartier
Un modèle pour le Québec?
Ces trois projets en Estrie vont servir de test pour leur élargissement à l’échelle du Québec. Le gouvernement fédéral, celui du Québec, le Mouvement Desjardins et le fonds d’investissement Fondaction de la CSN ont financé partiellement cette expérience pour en évaluer la pertinence.
Pour le moment, leur évaluation est plutôt positive, dit Guillaume Brien, le maître d’œuvre de cette opération, qui ne cache pas qu’il a dû se battre pour ouvrir des portes au départ verrouillées. D’ici un an ou deux, il y a de bonnes chances qu’on puisse créer des projets partout au Québec.
Son pari : créer des espaces d’habitation qui reflètent les besoins des gens, mais pas complètement soumis aux forces du marché.
En ce moment, les prix pour habiter dans les trois projets oscillent entre 140 000 et 220 000 $. Mais, avec les hausses de prix des matériaux de construction, les prix pour les phases ultérieures vont augmenter. Mais pas autant que ceux du privé.
Michel Labrecque (accéder à la page de l’auteur)
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1793940/coop-habitation-proprietaire-immobilier