Immobilier résidentiel - Actualités

Chronique de Patrick Lagacé ce samedi

Le duplex d’à côté

Le marché immobilier à Montréal est complètement fou. Et c’est sur le point de rendre Élyse Gamache-Bélisle complètement folle.

Publié le 10 avril 2021 à 5h00
PATRICK LAGACÉ
LA PRESSE

Élyse habite Villeray. Elle y habite depuis 15 ans. Ses racines y sont profondes. « Ça fait 15 ans que je loue dans Villeray, dit-elle, j’achète local, je m’implique dans le quartier. Ma vie est ici. J’ai fait deux enfants, ici. Je marche avec eux jusqu’à l’école, le matin. Mes amis sont ici. Les amis de mes enfants sont ici… »

Non, Élyse n’est pas sur le point d’être « rénovincée ». Mais elle n’est pas folle non plus. Le feu qui s’est emparé du marché immobilier risque de la brûler, elle aussi.

Elle habite un cinq et demie, très bien tenu. Mais c’est petit, à trois. Ses enfants partagent une chambre, ça va, ils sont petits : ça ne pourra pas durer toujours. Déjà, le manque d’espace se fait sentir : « Je ne peux pas garder les jouets de mes enfants, en souvenir, disons. Pas de place. Je jette, je donne… Mon bureau, c’est le salon, qui est aussi la salle de jeu des enfants. »


PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE
Élyse Gamache-Bélisle et ses deux enfants

Élyse, 38 ans, m’a écrit après que le duplex à côté de chez elle a été mis en vente. Un long message, mi-complainte, mi-cri du cœur. Il y a quelques années, elle aurait tenté de l’acheter. Mais le prix demandé est quelque chose comme une autre planète.

« Il est sur le marché à 1 250 000 $. Mais l’agent d’immeubles dit que ça va partir au-delà du prix demandé… »

Pas grave, Élyse en rêve. Comment l’acheter, comment s’assurer d’acquérir ce « bloc » et de sécuriser ses racines – et celles de ses enfants – dans Villeray ? « Je fais des plans, je me dis que je pourrais faire du Uber, la fin de semaine ? » Élyse a un bon emploi, en passant : chez Ubisoft. Elle échafaude des scénarios : « Prendre une deuxième job, une troisième ? »

Elle me raconte son désarroi avec un motton dans la gorge, devant l’école où elle vient de déposer ses enfants. C’est un super quartier, je connais le coin : j’y ai eu un condo de 2010 à 2015, tout près de l’école. Je comprends Élyse d’y être attachée.

Le plus fou, dans tout ça ? Élyse dispose d’une mise de fonds quand même respectable, pour acheter quelque chose : il y a longtemps, elle a racheté l’immeuble de ses grands-parents, dans son coin de pays, à Drummond. « Je pourrais probablement vendre et récolter un profit de 125 000 $… »

Ce ne sera pas assez pour acheter le duplex d’à côté. Oui, je lui ai posé la même question que vous vous posez : pourquoi elle n’achète pas autre chose ? Parce qu’elle n’a pas de fonds de retraite, qu’un duplex pourrait être un peu ça. « Mon père me dit : “Sacre ton camp de Montréal !”… Mais j’aime ça, ici. C’est chez moi. »

Acheter autre chose ? Viens, je vais te montrer la shoebox, dans ma rue, dit-elle. Une shoebox, boîte à chaussures : ce sont des maisons d’un seul étage, toutes petites. C’est à un jet de pierre de chez elle. La pancarte DuProprio trône devant la maison. Je jette un coup d’œil par la fenêtre du salon : ça sent le home staging à plein nez, fraîchement rénové, jamais habité…

— Combien ils demandent, tu penses ?

— Hum… Aucune idée.

— 1,2 million.

J’ai failli m’étouffer. J’ai cru à une méprise, une légende urbaine. Pas du tout, ce soir-là, j’ai vérifié : 1 217 000 $. Ceux qui ont retapé la petite maison l’ont achetée 411 000 $ (prix demandé : 369 000 $) en juin 2019. Le rez-de-chaussée : salon, cuisine, salle à manger. Les deux chambres sont au sous-sol.

Pour 1,2 million, vous dormez au sous-sol. J’espère que les robinets sont en or massif…

J’écoutais Élyse, j’avais de la peine pour elle. Mais j’avais aussi un petit vertige : quelle est la solution ? Si « le marché » décide qu’une maison-boîte à chaussures vaut plus de 1 million de dollars, qu’y a-t-il à faire ? Si des retraités peuvent obtenir 1,2 million pour leur duplex – ou alors 1,4 million –, qui peut leur dire qu’ils devraient vendre à un prix « raisonnable » ?

L’enjeu transcende ici les mères de famille en garde partagée qui veulent rester dans un quartier qui leur ressemble, qui veulent éviter un déracinement à leurs enfants. C’est aussi un enjeu de diversité. Montréal est en voie de devenir une ville qui tasse les non-riches aux marges, quand ce ne sera pas carrément hors de l’île.

Sur le trottoir, devant la maison-boîte à chaussures, Élyse m’a dit :

— Tu te rends compte, 1,2 million. Ça vaut pas ça.

— Ça vaut ce que le prochain acheteur va vouloir payer…

— Oui…

Elle m’a parlé du stress, du stress qui lui pèse parce qu’elle craint de perdre son appart, un jour. Son proprio est super gentil, mais s’il décide de vendre dans ce marché de vendeurs, qu’arrivera-t-il ? Sera-t-elle rénovincée ?

— Tous mes amis ont ce stress. Et ceux qui cherchent, ils sont super stressés. Il y a des files de trois coins de rue pour visiter des apparts : imagines-tu leur stress ? Y en a pas, de solution…

Un ange est passé, puis Élyse a repris son soliloque :

— Je fais quoi ? Je m’exile ? Je déracine mes enfants ? Penses-tu que je devrais lancer un sociofinancement ?

Je n’ai rien répondu.

Ce soir-là, par le plus grand des hasards, je suis tombé sur une publication de l’agente d’immeubles qui a piloté la vente de mon condo, en 2015, celui qui est tout près de l’école des enfants d’Élyse. Et j’ai vu mon ancien condo sur sa page.

En 2010, je l’ai acheté 300 000 $ – pour un deux chambres, au deuxième étage d’un triplex, avec un peu de cachet. J’ai fait un profit à la vente de 80 000 $, grâce au renouveau du quartier pendant ces cinq années. Ce profit m’avait semblé, à l’époque, complètement astronomique…

Le condo est aujourd’hui sur le marché à… 559 000 $.

C’est donc dire que le marché a doublé en 10 ans.

Alors, Élyse, pour le sociofinancement, je sais pas trop…

As-tu pensé importer de la coke ?

Je soupçonne, à voir ce marché complètement fou, que pas mal plus de gens qu’on pense ont un sideline de vente de drogue…

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Pour vous faire votre propre idée, c’est de cette shoebox dont on parle dans l’article.

Avec le peu de meubles à l’intérieur, j’imagine que cette maison n’a jamais été habitée après les rénovations… Des meubles loués pour faire du home staging

Plaider pour des logements plus abordables et protéger en même temps les shoebox c’est ce qu’on appelle faire une chose et son contraire. Incohérence totale. Et voilà.

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C’est du vol.

Tu fais un raccourcis en opposant la volonté d’offrir des logements abordables et la protection du patrimoine (même si tu ne verrais pas personnellement de valeur aux shoebox, c’est tout de même l’intention). D’ailleurs Villeray permet l’ajout de logements à cette typologie de maison. Il y en a sur le marché.

La personne qui a flippé le shoebox en question l’a acheté 400k. C’est un prix raisonnable pour une unifamiliale dans un quartier central. Elle aurait très bien pu accueillir une petite famille, sauf que l’arrondissement ne peut pas empêcher un propriétaire de faire des renos superficielles et de la revendre le triple.

On valorise collectivement le flip immobilier. C’est un enjeu important à mon avis.

C’est également la mode d’acheter des duplex ou triplex aux loyers bas pour ensuite fusionner les logements, les rénover et les revendre juste après comme maisons unifamiliales. C’est encore plus alarmant selon moi.

Quand sur un terrain cher il n’y a qu’une shoebox de 2 chambres alors qu’on pourrait facilement avoir 4-5 unités oui ça a une influence sur l’offre de logements et leur abordabilité. À 400k elle était surement dans un état lamentable. Je ne suis pas prêt à jeter la pierre aux flippeurs quand leur action permet de renouveler un parc immobilier vétuste et en mauvais état. Enfin tout n’est pas d’intérêt patrimonial selon moi. Ce n’est pas parce qu’on a des maisons qui ont été construites à une époque pour un besoin précis que l’on doit les garder à tout prix alors que nos besoins en 2021 on changé. Tout cela n’est que frein à la densification des quartiers centraux dans une ville de plus en plus vivante et désirable car étant en pleine renaissance. Ça aussi c’est une cause de la hausse des prix.
La situation économique de Montréal est incroyablement bonne compte tenu de notre histoire. De plus en plus de gens restent au lieu de partir vers l’Ontario ou l’Alberta. De grosses entreprises investissent ici alors que ça ne se voyait plus ! Faut pas croire qu’avec tout ça le prix de l’immobilier peut rester très abordable. En Amérique du Nord les villes abordables sont soit sur un déclin économique avancé ou alors permettent un étalement urbain décomplexé (les villes du Texas par exemple). Nous étions dans le premier cas de figure et ce n’est plus le cas aujourd’hui Dieu merci. Donc il serait temps que la vision de la Ville s’accorde avec notre nouvelle réalité. Empêcher la densification pour sauvegarder des maisons dont la seule différence avec les triplex du secteur est leur petite taille est incompréhensible.

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Je ne vois pas trop l’intérêt patrimonial des shoebox, je pense que c’est le temps de passer à autre chose. Cela dit, elles occupent généralement des terrains petits et exigus, avec un rapport d’occupation du sol élevé. De plus elle ne sont plus aussi nombreuses qu’avant. Je pense qu’on erre à vouloir absolument les protéger, mais je ne suis pas convaincu qu’elles ont un véritable impact sur le marché. Je suis davantage étonné par des cas de blocs entiers de cottages et de bungalow mid-century beaucoup plus gros mais sans avoir nécessairement beaucoup plus de pièces, avec de plus faible CES, à coté même de stations de métro. Pour ce qui est de la densification, est-ce que les quelques shoebox éparpillées dans la ville, sur des rues anonymes, qui ont été converties (ou dont leur proprio souhaite convertir) le sont majoritairement en multilogement? J’aimerais le savoir si quelqu’un à des données là-dessus. J’ai surtout vu des conversions de shoebox en de plus grosses unifamiliales avec plus ou moins le même nombre de pièces, juste un gain de tailles des pièces par l’ajout d’étages.

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La réalité ne se limite pas à ce que tu comprends. Je trouve ça parfois très difficile de discuter.


Pour ceux que ça intéresse, la règlementation de Villeray pour les shoebox permet l’ajout de logements supplémentaires et il n’est pas interdit de démolir des shoebox, loin de là et surtout si elles sont vétustes. À cet effet, juste dans Villeray et uniquement le dernier mois, il y a 3 demandes de démolition de shoebox :

Et 1 dossier dans Rosemont pour ce mois-ci, et deux autres depuis le début de l’année.


Les deux arrondissements ont également recensé et hiérarchisé leurs shoebox. Il n’est pas question de préserver unilatéralement les shoebox, mais plutôt d’identifier les plus exceptionnelles (la minorité d’entre elles) et de préserver leurs caractéristiques. Le propriétaire ici a donc choisi de simplement rénover.

Il y a quelques exemples d’ajout de logement, dont une publicité que j’ai vu passer cette semaine pour un projet dans Villeray. Je le copierai si je la vois repasser. Les promoteurs semblent préférer la démolition des moins bien classés plutôt que l’ajout de logement à l’existant (pour l’instant). Pour les plus belles, il y a un buzz présentement. C’est facile de trouver des articles qui encense les petites maisons rénovées.

:handshake::handshake::handshake:

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Reportage au Téléjournal 18h

Donc principalement une offre qui ne suffit pas à la demande. Of course. Se donner les moyens de construire plus et rapidement serait une solution durable.

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L’impact de la flambée des prix immobiliers
Au Téléjournal 18h

Une petite explication sur la densification des quartiers:

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Moi ma question est la suivante : Quand des rénovations majeures sont nécessaires qu’est qu’on fait ? Mettre un frein à cela risque d’avoir comme effet de pénenniser la vétusté de notre parc immobilier. Ce qui me dérange un peu dans la tendance actuelle c’est qu’on oppose beaucoup pauvres citoyens à méchants capitalistes, souvent dans un but électoraliste. Mais c’est quoi la solution?

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À mon avis, il faut mieux contrôler le processus. Je ne blâme pas les propriétaires de vouloir augmenter la valeur de leurs investissements. Je comprends que les locataires croient qu’ils ont le droit de conserver leur appartement à des augmentations de loyer raisonnables.

Une proposition que j’ai est d’autoriser les propriétaires à convertir certains appartements, ou tout l’immeuble, en logements abordables privés.

Par exemple, un propriétaire a un locataire avec un bail qui date de 10 ans et un loyer inférieur au taux du marché, disons 700 $ pour un 4 1/2 sur le Plateau. Le propriétaire souhaite investir dans l’appartement et facturer 900 $ par mois pour le même appartement. Le propriétaire peut demander un permis de rénovation «logement abordable».

Le propriétaire rénoverait alors l’appartement et garderait le même locataire qui paierait toujours 700 $ par mois, la ville les indemniserait alors mensuellement pour la différence qu’ils auraient changée, dans ce cas, la ville paierait au propriétaire 200$ par mois. Cet accord resterait en vigueur jusqu’à ce que l’augmentation annuelle du loyer du locataire atteigne 900 $, disons dans 5 ans.

Cela permet aux propriétaires d’investir, aux locataires de conserver leur appartement et à la ville de créer des logements abordables facilement.

C’est une idée. Mais on exposerait le contribuable aux potentiels abus de propriétaires qui au lieu de demander 900 demanderaient 1400 par exemple. Je ne sais pas si la ville a les moyens financiers de se lancer dans ça.

Bien entendu, le montant serait convenu par les deux parties. Dans la plupart des cas, je crois que ce serait moins cher que d’acheter ou de construire des logements abordables flambant neufs.

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