Résumé
Québec veut jeter de l’essence sur le marché de l’habitation
PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE
France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation, en entrevue dans les bureaux de La Presse

Maxime Bergeron La Presse
Ceux qui espéraient une pluie de milliards ou une avalanche de nouveaux logements sociaux seront déçus par la Stratégie québécoise en habitation, qui sera dévoilée ce jeudi.
Publié à 2h30 Mis à jour à 5h00

J’en ai obtenu les grandes lignes, et ça ressemblera plutôt à ceci : une série de mesures, certaines musclées, d’autres moins, pour accélérer la construction.
Pour prendre une image simple, c’est comme si le gouvernement Legault voulait jeter un bidon d’essence sur les braises tièdes du marché de l’habitation.
Comment ?
Il y aura un appel d’offres d’ici quelques jours pour construire 500 logements « hautement préfabriqués » en 18 mois. Un premier projet-pilote avant d’ouvrir plus grand le robinet.
Québec souhaite convertir en habitations plus d’une centaine d’immeubles et de terrains gouvernementaux inutilisés, partout sur le territoire.
Une forme de « bonus » sera offerte aux villes les plus efficaces dans l’allègement de leur réglementation.
Et enfin, le gouvernement fera plus de place aux nouveaux modèles de financement pour le logement social et abordable.
Cette stratégie était réclamée de toutes parts depuis des années, entre autres par les groupes communautaires. L’accouchement aura été long.
Le travail a commencé sous l’ancienne ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, et s’est poursuivi après l’arrivée de l’actuelle ministre France-Élaine Duranceau. Ce qui a changé, entre-temps, est que le gouvernement Legault a – enfin – reconnu l’existence d’une crise du logement dans la province.
La nouvelle stratégie « ne réglera pas tout », admet France-Élaine Duranceau en entrevue, mais elle servira de « feuille de route » pour s’attaquer aux « maux » identifiés depuis le début de son mandat.
Une nouvelle cible de mises en chantier a été établie : il faudra construire au bas mot 560 000 logements d’ici 2034, estime-t-elle. C’est 115 000 de plus que les prévisions récentes.
L’objectif sera de ramener le ratio d’habitation par ménage à ce qu’il était avant la pandémie, soit 1123, contre 1104 aujourd’hui. Des chiffres peu évocateurs pour la moyenne des ours : ça signifie en gros que la demande dépasse largement l’offre.
France-Élaine Duranceau l’a répété depuis deux ans, non sans soulever une bonne dose de controverse : les vieilles façons de faire ne fonctionnent plus. C’est pourquoi elle a mis au rancart l’ancien programme de construction de logement social AccèsLogis, remplacé par le Programme d’habitation abordable Québec (PHAQ).
Sans entrer dans tous les détails, le PHAQ exige plus de rapidité dans le démarrage des projets. Et la ministre demandera encore plus d’efficacité à partir de maintenant.
On veut vraiment que chaque dollar investi aille au bon endroit, au bon partenaire, et que ça livre. Je pense qu’en habitation, il n’a pas nécessairement toujours manqué de l’argent, il a juste manqué peut-être de vision, puis de rigueur, et c’est ça qu’on vient recadrer.
France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation
Aucune nouvelle somme n’est accolée à la stratégie, seulement des budgets déjà annoncés. Cet aspect soulèvera sans aucun doute bien des critiques. Des investissements de 3,7 milliards sont prévus d’ici cinq ans et de nouvelles ententes avec Ottawa pourraient faire augmenter cette somme, avance la ministre.
Chose certaine : une forme de concurrence commencera à se dessiner entre les villes qui souhaitent attirer des projets de logement financés par Québec.
Les municipalités ont obtenu des « superpouvoirs » au début de l’année après l’adoption du projet de loi 31 sur le logement, déposé par la ministre Duranceau. Elles peuvent entre autres déroger à leurs propres règles d’urbanisme afin d’accélérer les mises en chantier.
La balle est dans leur camp pour se démarquer, dit en somme la politicienne.
Québec entend « féliciter [les municipalités] qui sont efficaces et qui font les choses différemment ». Comment ? « Dans les aides financières, dans les outils financiers qu’on va mettre en place, ça va être pris en considération, cet aspect-là. »
France-Élaine Duranceau m’a donné l’exemple récent du projet Unitaînés, piloté par le philanthrope Luc Maurice. Ce projet de 10 résidences pour aînés à faibles revenus, financé en partie par le PHAQ et totalisant 1000 logements, a été lancé dans des villes prêtes à offrir des terrains et à écrémer leurs processus bureaucratiques1.
IMAGE FOURNIE PAR MISSION UNITAÎNÉS
Une esquisse des immeubles prévus dans 10 villes québécoises par Mission Unitaînés.
Un modèle à suivre, estime la ministre. « Unitaînés l’a très bien fait. Ils ont dit : on va dans les villes où ça va aller vite et où les difficultés vont être aplanies. Ça ne veut pas dire de ne respecter aucun règlement, ça veut dire de mieux collaborer. »
En rafale, deux autres éléments ressortent, selon moi, de cette stratégie.
D’abord, cette intention de miser à fond sur la construction modulaire m’apparaît comme une bonne idée. Le Québec compte déjà plusieurs entreprises de pointe dans cette industrie, mais l’accent avait beaucoup été mis jusqu’ici sur les maisons unifamiliales.
Un appel de propositions sera lancé la semaine prochaine pour attirer des consortiums, formés d’architectes, d’entrepreneurs généraux et de fabricants de « préfab ». Ils devront soumettre des projets intégrés, pour construire une première tranche de 500 logements un peu partout dans la province en moins de 18 mois.
Québec entend vite commander 500 unités supplémentaires. Et si le projet est à la hauteur des attentes, les vannes pourraient s’ouvrir bien davantage. Un moyen intéressant pour doper rapidement l’offre de logements.
L’autre volet inédit est la mise à disposition de bâtiments et terrains gouvernementaux inutilisés. Un exercice de recensement a été mené dans plusieurs ministères et organismes depuis un an, au terme duquel plus de 100 propriétés ont été identifiées.
En vertu d’un article enfoui dans le projet de loi 31, Québec pourra céder, gratuitement ou à bon prix, ces immeubles à des organismes qui les convertiront ensuite en habitations. Cela pourrait faciliter bien des projets. D’autant que l’achat d’un terrain représente souvent un morceau non négligeable dans un montage financier.
Déceptions, applaudissements, débats corsés : cette nouvelle stratégie québécoise sera examinée sous toutes ses coutures dans les prochaines semaines.
1. Lisez la chronique « 1000 logements, 10 immeubles, un seul modèle »