Le gouvernement des États-Unis a récemment adopté de nouvelles normes de gestion des PFAS. Une décision qui suscite l’intérêt de plusieurs experts, dont la conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, Marie-Hélène Bourgault. “C’était une décision qui était très attendue, souligne-t-elle. Ils ont reçu 120 000 commentaires [lors de la consultation], ce qui est énorme.”
Les États-Unis imposent un seuil de 4 ng/l pour les PFOS et PFOA, deux molécules “plus préoccupantes”. Ce seuil a été établi en considérant certains enjeux utilitaires, comme la capacité de mesure des appareils. “Les seuils, qu’on appelle les objectifs de santé, sont beaucoup plus bas”, explique Mme Bourgault.
De son côté, le Canada n’a pas encore officialisé de norme.
Résumé
Des dépotoirs rejettent des contaminants éternels dans les rivières avec l’aval de Québec
Le bécher de gauche contient de l’eau traitée rejetée dans la rivière. La couleur tire sur le jaune. À droite, on voit de l’eau provenant d’un dépotoir avant qu’elle ne soit traitée.
Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies
Publié à 4 h 00 HAE
De l’eau usée fortement contaminée aux composés perfluorés (PFAS), surnommés « contaminants éternels », est rejetée dans les rivières par plusieurs dépotoirs au Québec. Une pratique qui, bien que jugée fortement préoccupante, est tout à fait légale. Au fait de la situation, le gouvernement du Québec n’impose aucune norme pour ces contaminants aux gestionnaires des lieux d’enfouissement technique.
C’est le cas à Cowansville où une concentration de PFAS de 4725 nanogrammes par litre (ng/l) a été mesurée en 2020 dans un échantillon d’eau rejetée par le lieu d’enfouissement technique (LET) dans un fossé qui se déverse dans la rivière Yamaska Sud-Est.
Cette concentration est 157 fois plus élevée que le critère de 30 ngl/l proposé par Santé Canada pour l’eau potable. Les gestionnaires des dépotoirs n’ont pas à respecter cette cible ni aucune autre pour les PFAS. Le gouvernement du Québec, de son côté, ne leur impose pas d’exigence pour le traitement de ces contaminants éternels reconnus pour leur persistance dans l’environnement.
Le lieu d’enfouissement technique de Cowansville déverse environ 100 millions de litres d’eau traitée par année dans un fossé qui se déverse dans la rivière Yamaska Sud-Est.
Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies
Le professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal, Sébastien Sauvé, juge que la situation est intolérable. On peut débattre de la limite maximum [de la somme totale des PFAS mesurée dans l’eau] dans les rejets d’eaux usées. Ça pourrait être le double que celle pour l’eau potable, trois ou quatre fois plus, mais c’est clair pour moi que 100, 150 fois de plus que pour l’eau potable, c’est inacceptable! On cause des problèmes.
On est dans des niveaux qui sont très élevés. On génère des problèmes.
Une citation de Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale, Université de Montréal
Impacts possibles d’une exposition prolongée au PFAS
- Réduction de la réponse immunitaire aux vaccins;
- Augmentation du cholestérol;
- Augmentation du risque de cancer du rein;
- Baisse du poids de naissance.
Par ailleurs, les recherches qui évoluent très rapidement tendent à confirmer certains impacts sur la santé d’une exposition prolongée aux PFAS. À la fin de 2023, le Centre de recherche international sur le cancer a émis ce qu’on appelle une monographie, une classification du PFOA et PFOS. Le PFOA est considéré comme cancérigène et le PFOS est possiblement cancérigène, explique la conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, Marie-Hélène Bourgault.
Source : Institut national de santé publique du Québec
En plus des impacts sur la santé humaine, ces contaminants sont dommageables pour les autres espèces vivantes. Quand on rejette de l’eau usée dans un cours d’eau, cette eau peut percoler, elle peut contaminer la nappe phréatique, l’environnement, explique M. Sauvé.
Des fortes concentrations pour 8 dépotoirs étudiés
Le gouvernement du Québec sait depuis plusieurs années que certains dépotoirs rejettent dans les rivières de l’eau de lixiviation fortement contaminée aux PFAS. Le lixiviat, c’est un mélange d’eau, de pluie et de liquide qui percole au travers des déchets et qui crée, en d’autres mots, du jus de poubelle.
De 2019 à 2021, un projet exploratoire du ministère de l’Environnement a permis de mesurer ces contaminants éternels dans plusieurs lieux d’enfouissement technique qui rejettent leurs eaux usées après traitement dans une rivière ou un fossé qui s’y déversent.
Radio-Canada a obtenu les rapports d’analyse datés de juin 2023 pour huit dépotoirs grâce la Loi sur l’accès aux documents. Ils permettent de conclure qu’aucun système de traitement des eaux usées des dépotoirs étudiés ne parvient à éliminer tous les PFAS. La moyenne de la concentration de ces contaminants dans l’eau traitée rejetée est d’environ 2000 ng/l, soit 66 fois plus que la limite visée par Santé Canada pour l’eau potable.
Le ministère de l’Environnement a refusé nos demandes d’entrevue et n’a pas répondu à la question s’il comptait obliger l’élimination des PFAS par les lieux d’enfouissement.
Dans une réponse écrite, il mentionne toutefois avoir l’intention d’obliger le suivi des PFAS pour tous les LET. Une modification réglementaire serait en préparation. Les modifications réglementaires ciblant à permettre un meilleur suivi des PFAS dans les rejets de lixiviat contribueront d’ailleurs à parfaire nos connaissances en la matière, précise-t-on.
Ce n’est pas comme ça qu’on devrait protéger la santé des gens!
Radio-Canada a pu identifier des résidences s’alimentant en eau par des puits privés à proximité de la majorité des huit lieux d’enfouissement technique du projet exploratoire du ministère.
Le dépotoir de Saint-Étienne-des-Grès (en beige sur la photo) est situé non loin de résidences (en bas de la route 155).
Photo : Google Map
Le professeur Sauvé croit que ces citoyens devraient, dans un souci de prévention, faire analyser l’eau de leur puits pour y déceler la présence de PFAS.
Il comprend mal pourquoi le gouvernement n’a pas déjà lancé une vaste campagne d’échantillonnage, surtout depuis qu’il est documenté que des puits à Sainte-Cécile-de-Milton, situés près d’un dépotoir, sont contaminés aux PFAS. Une situation qui a amené récemment la Direction de la santé publique de l’Estrie à recommander à certains citoyens de cesser de boire l’eau.
Des puits, situés près du dépotoir de Sainte-Cécile-de-Milton, sont contaminés aux PFAS.
Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies
La première réaction au niveau gouvernemental, c’est de nier le problème pour éviter de se compliquer la vie.
Une citation de Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal
Sébastien Sauvé croit que le statu quo n’est pas acceptable. Ce n’est pas comme ça qu’on devrait protéger la santé des gens. Il faudrait être systématique, puis mesurer tous les puits qui sont à proximité des sites d’enfouissement, souligne le professeur.
Une demande restée lettre morte jusqu’à présent.
Des prises d’eau potable dans les rivières à près des rejets
Par ailleurs, la Fondation Rivières constate que les prises d’eau potable de plusieurs municipalités, dont Donnacona, Beaupré et Trois-Rivières, sont situées à quelques kilomètres en aval de certains des dépotoirs concernés par le projet exploratoire du ministère. C’est donc dire que l’eau que boivent leurs citoyens provient des rivières qui reçoivent les eaux usées traitées des dépotoirs.
Le directeur général de la Fondation, André Bélanger, concède qu’il y a assurément un effet de dilution avant que l’eau se rende à l’usine, mais il rappelle que les PFAS ont la particularité de s’accumuler dans l’environnement. Il faut cesser immédiatement ces sources de contamination de poisons dans les rivières, souligne-t-il.
C’est un peu inquiétant de voir qu’on pousse à plus tard la solution à un problème dont on connaît déjà la solution.
Une citation de André Bélanger, directeur général, Fondation Rivières
Il comprend mal pourquoi le gouvernement n’agit pas alors que des systèmes de traitement de l’eau contaminée aux PFAS existent. C’est du pelletage en avant d’une solution qui devrait être appliquée immédiatement, presque en mode d’urgence. On semble prêcher par légèreté, martèle-t-il.
L’industrie prête à collaborer
Le Conseil des entreprises en technologie environnementale du Québec, qui représente notamment les gestionnaires des lieux d’enfouissement technique, dit que ses membres sont prêts à investir pour éliminer les PFAS lorsque Québec aura donné des indications claires sur les concentrations à respecter. Ce qu’on redemande au ministère, c’est de connaître la concentration et d’établir la norme. Les LET vont se soumettre à ces nouvelles exigences, comme ils le font pour les autres actuellement en vigueur, tranche son directeur général, Kevin Morin.
C’est dans ces bassins de rétention, situés dans le dépotoir de Cowansville, que l’eau est entreposée en attendant sa décontamination.
Photo : Radio-Canada / Thomas Deshaies
Comme industrie, on veut être partie prenante de la solution.
Une citation de Kevin Morin, directeur général du Conseil des entreprises en technologie environnementale du Québec
Il invite aussi les autorités à s’attaquer au problème à la source. Les PFAS sont présents dans plusieurs produits imperméabilisants et objets du quotidien que les citoyens jettent aux poubelles, rappelle M. Morin. Il faudrait peut-être porter une attention à ceux qui mettent en marché ces matières pour éviter qu’en fin de vie, les LET, qui ont la volonté d’améliorer les choses, soient toujours pointés du doigt par la population.
Le président-directeur général du Réseau Environnement, Mathieu Laneuville, abonde dans le même sens. On veut vraiment l’élimination à la source pour qu’on ne fasse pas juste mettre des plasters à gauche et à droite dans notre société.
Son organisme juge que la réglementation au Canada et au Québec assume un retard comparativement à l’Europe et aux États-Unis.
Le professeur Sébastien Sauvé croit, quant à lui, qu’il faut agir sur les deux fronts. La majorité des usages de PFAS peuvent être éliminés, mais on ne peut pas attendre que ça se fasse dans 10 ans. Il faut arrêter d’être exposé, souligne-t-il.
Aussi préoccupant pour les milieux aquatiques
M. Laneuville rappelle que le rejet des PFAS a aussi un impact sur l’écosystème dans la nature. Il réclame, entre autres, une bonification des Critères de qualité de l’eau de surface du gouvernement du Québec pour les PFAS qui servent de guide aux autorités pour imposer des objectifs environnementaux des projets impliquant le rejet d’eaux usées.
Actuellement, il n’y a que deux molécules (PFOA et PFOS) sur des milliers qui sont considérées dans les critères de qualité de l’eau de surface. La majorité des huit dépotoirs concernés par l’analyse du ministère ne respecte d’ailleurs pas le critère pour les PFOS qu’ils ne sont pas tenus de respecter.
André Bélanger, de la Fondation Rivières, trouve intolérable la situation actuelle. C’est épouvantable parce qu’il y a des poissons dans ces habitats, s’indigne-t-il.
Dans une réponse écrite, datée du 7 mars dernier, le ministère de l’Environnement mentionnait que les LET doivent déjà réaliser un suivi de la qualité des eaux. Même si ces suivis ne comportent pas spécifiquement l’analyse des PFAS, ils permettent de vérifier si les activités d’enfouissement et de traitement du lixiviat ont un impact sur l’environnement.
Une nouvelle réglementation aux États-Unis
Le gouvernement des États-Unis a récemment adopté de nouvelles normes de gestion des PFAS. Une décision qui suscite l’intérêt de plusieurs experts, dont la conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec, Marie-Hélène Bourgault. C’était une décision qui était très attendue, souligne-t-elle. Ils ont reçu 120 000 commentaires [lors de la consultation], ce qui est énorme.
Les États-Unis imposent un seuil de 4 ng/l pour les PFOS et PFOA, deux molécules plus préoccupantes. Ce seuil a été établi en considérant certains enjeux utilitaires, comme la capacité de mesure des appareils. Les seuils, qu’on appelle les objectifs de santé, sont beaucoup plus bas, explique Mme Bourgault.
De son côté, le Canada n’a pas encore officialisé de norme.