Densité et étalement urbain

Le casse-tête de la densification urbaine

Il n’y a pas assez de nouveaux logements pour répondre à la demande grandissante en habitation. Des villes comme Granby et Lévis font preuve de créativité pour stimuler leur construction.

Marc-André Sabourin
1 juin 2022


llustration : Catherine Gauthier pour L’actualité

Des logements, la ville de Granby en a besoin, et ça presse ! Le taux d’inoccupation des appartements locatifs y était ce printemps de 0,1 %. À titre de comparaison, il était de 3 % à Montréal en 2021, selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, le seuil où il devient difficile, voire impossible de se loger.

« Ça nous préoccupe beaucoup », dit la mairesse Julie Bourdon, qui, dès le mois de mai, a mis sur pied un comité d’urgence pour s’assurer qu’aucune famille n’allait se retrouver à la rue avec ses meubles le 1er juillet.

La pénurie ne touche pas que le marché locatif. Selon l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec, si l’appétit des acheteurs se maintient, il faudrait quatre fois plus de maisons en vente pour que le marché soit à l’équilibre.

La situation est semblable dans la quasi-totalité des régions, ce qui a contribué à faire exploser le prix médian des maisons individuelles de 22 % en un an : au premier trimestre de 2022, il s’établissait à 415 000 dollars. La construction a beau se maintenir à un niveau historique, « l’offre ne répond pas à la demande », résume Jean-Philippe Meloche, professeur agréé d’urbanisme à l’Université de Montréal.

La solution, sur papier, est simple : bâtir plus de maisons, condos et appartements locatifs. Le gouvernement fédéral, qui souhaite doubler le rythme annuel de construction pour atteindre 400 000 logements neufs par an d’ici 2031, a annoncé une enveloppe de 5,5 milliards de dollars dans son dernier budget afin d’accélérer les mises en chantier résidentielles.

Hélas ! Jean-Philippe Meloche peut énumérer de nombreuses raisons pour lesquelles sortir le chéquier ne suffira pas à résoudre le problème.

Il y a le manque de main-d’œuvre et les difficultés d’approvisionnement en matériaux. Il y a « la protection des grenouilles » et autres enjeux environnementaux qui, bien que légitimes, retardent, complexifient ou empêchent la réalisation de projets. Mais il y a surtout la principale entrave : la réglementation municipale.

« Dans la plupart des régions, il est interdit de construire autre chose que de l’unifamilial, déplore le professeur Meloche. Même pas du multigénérationnel. » Ce n’est pas à coups de maisons à étage, même tassées comme des sardines dans les nouveaux lotissements, que la pénurie va se résorber.

Changer le zonage municipal pour autoriser la construction de multilogements en hauteur, préférablement dans les secteurs déjà occupés pour éviter l’étalement urbain, ne coûterait pourtant rien. Sauf que, politiquement, ce serait du suicide pour bien des maires et mairesses, souligne l’expert. Des tours d’habitation dans un quartier de maisons individuelles à étage, ce n’est pas du goût de bien des résidants.

Même chose pour la conversion de sous-sols en appartements, qui serait, selon Jean-Philippe Meloche, la mesure la plus efficace pour augmenter le nombre de logements « dès demain matin ». Si bien des municipalités ne permettent pas cette avenue, c’est parce que la personne qui loue un sous-sol « n’a pas le même profil que celle qui achète une maison. Souvent, la réglementation est là pour des raisons discriminantes : s’assurer que les riches vivent avec les riches, et que les pauvres restent avec les pauvres. »

La Ville de Granby a opté pour une solution à mi-chemin. En s’inspirant de Vancouver et de Toronto, elle a modifié le zonage l’automne dernier afin d’autoriser la construction d’une « unité d’habitation accessoire » sur le terrain d’une maison existante — imaginez un grand cabanon ou un garage, en réalité un studio habitable à l’année par un parent, ou loué pour générer un revenu d’appoint. « L’objectif est de faire de la densification douce », dit la mairesse Julie Bourdon, qui espère que la mesure permettra d’ajouter des logements rapidement. Aucun citoyen ne s’en est encore prévalu, mais il y a eu quelques demandes d’information.

Si l’incapacité du marché à répondre à la demande continue de pousser les prix à la hausse, cela mènera à une « adaptation douce » des habitudes d’habitation.

Outre cette solution « douce », il existe des efforts plus directs. Granby a fait don en mai d’un terrain d’une valeur de 1,3 million de dollars à l’office d’habitation de la région, qui souhaite y bâtir 90 logements abordables. Elle fournira par ailleurs une aide financière de 1,3 million de dollars pour la création d’une coopérative d’habitation de 28 appartements.

Les groupes qui militent pour le droit au logement revendiquent depuis des années l’utilisation de terrains et d’immeubles publics excédentaires afin que des habitations y soient construites. Et ce, tant au niveau municipal que provincial et fédéral. Le Conseil du Trésor du Canada a récemment entrepris un « examen » pour déterminer si certains édifices fédéraux, moins fréquentés par les fonctionnaires depuis l’adoption de politiques de télétravail, pourraient être convertis en logements abordables. Les résultats se font toujours attendre.

À cela s’ajoute une enveloppe financière de 300 millions, annoncée dans le dernier budget, pour aider les propriétaires immobiliers à transformer eux aussi en appartements des bureaux devenus vacants depuis l’arrivée de la pandémie.

Parfois, changer la vocation d’un immeuble est une avenue semée d’embûches. Par exemple dans le cas de l’usine Bow Groupe de plomberie, à Granby, qui fabrique des tuyaux de plastique. En 2023, l’entreprise déménagera dans le quartier industriel, un lieu beaucoup plus approprié à ses activités que la zone résidentielle où elle se trouve actuellement.

La Ville veut en profiter pour densifier le quartier en ajoutant jusqu’à 306 logements dans des immeubles à deux étages, ce que permet le zonage. Aucun promoteur n’a encore manifesté son intérêt, mais déjà, lors d’une assemblée publique de consultation en mars, plus de 60 citoyens sont venus faire part de leurs inquiétudes — perte d’intimité, augmentation de la circulation, quartier « défiguré ». Beaucoup auraient préféré un nouveau parc. « Les gens sont d’accord avec le principe de la densification, dit la mairesse. Mais quand ça s’approche de chez eux, ils ont des questions et c’est normal. »

Le phénomène du « pas dans ma cour » peut facilement faire dérailler un projet. « L’importance de l’acceptabilité sociale est souvent sous-estimée », affirme David Leblond, directeur général d’Humaco Stratégies, un promoteur immobilier de Lévis. « Si un projet ne respecte pas le milieu, ça peut occasionner des ralentissements majeurs. »

David Leblond donne l’exemple d’un changement de zonage décrété par la Ville de Lévis, il y a quelques années, qui a inspiré Cocité Lévis, un complexe de 1 200 logements avec bureaux et locaux commerciaux, en bordure du pont Pierre-Laporte. « Dès le jour 1, on avait une consultante dont le rôle était de discuter avec le voisinage pour s’assurer qu’il n’y avait pas de fausse information concernant le projet. Il n’y a pas eu de pression sur personne, et on a réussi à maintenir une relation de bon voisinage. »

Ce chantier de 415 millions, qui a commencé en 2020, devrait se terminer en 2027… si tout se passe comme prévu. L’un des défis de David Leblond est « l’augmentation des coûts de construction », à un moment où la capacité de payer des acheteurs sera limitée par la hausse des taux d’intérêt amorcée par la Banque du Canada. « Arrimer les deux est de plus en plus difficile. »

Si l’incapacité du marché à répondre à la demande continue de pousser les prix à la hausse, cela mènera à une « adaptation douce » des habitudes d’habitation de la population, croit le professeur Jean-Philippe Meloche. Il donne l’exemple de Vancouver, où, malgré les prix vertigineux, la quasi-totalité de la population parvient à se loger. Les Vancouvérois cohabitent, subdivisent des logements, restent chez leurs parents. « On en parle peu, car les gens n’aiment pas ça, mais ça fait partie de la réalité. »

Cet article a été publié dans le numéro de juillet-août 2022 de L’actualité, sous le titre « Tout un chantier ! ».

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Entrevue avec la mairesse de Longueuil, Catherine Fournier, sur la densification

Repenser la densification urbaine à Longueuil

06 juin 2022 - Rémi Leroux,

Élue l’automne dernier sur un programme qui vise « l’exemplarité environnementale » de la Ville de Longueuil, Catherine Fournier, accompagnée de son équipe, a déjà lancé plusieurs chantiers afin de répondre à l’urgence climatique. Rencontre avec la nouvelle mairesse de 30 ans, bien décidée à relever les défis environnementaux d’une grande ville de banlieue.

Les villes de banlieue, qui peinent encore aujourd’hui à contrer l’étalement urbain, doivent adopter de nouvelles approches pour améliorer le cadre de vie de leurs habitants tout en contribuant à l’action climatique. Quelles sont celles que vous privilégiez à Longueuil ?

L’urgence climatique impose aux municipalités d’avoir des approches complémentaires aussi bien sur le plan de la protection des milieux naturels, du verdissement et du développement des transports actifs et collectifs que de la densification de l’habitat. Nous n’avons plus le choix. L’un de nos engagements principaux durant la campagne était la protection de plus de 1500 hectares de milieux naturels.

On le sait, les milieux naturels nous rendent des services écologiques tellement importants, en filtrant notre air, en contribuant à abaisser la température ambiante, en captant les gaz à effet de serre… Préserver les boisés et les milieux humides est le geste numéro un que peuvent poser les villes. Et nous sommes très chanceux, à Longueuil, car même si notre territoire est très étalé, les milieux naturels que nous avons ont une valeur écologique moyenne à élevée.

Le sujet de l’heure, la densification urbaine, semble également incontournable. Comment vous y attaquez-vous à Longueuil ?

Il y a des enjeux importants d’acceptabilité sociale lorsqu’on parle de densification. Elle doit se faire dans le respect des identités locales, de l’identité des quartiers, de l’intégration architecturale. Notre responsabilité, c’est aussi de nous assurer d’avoir les infrastructures pour recevoir cette densification. Dans l’arrondissement de Saint-Hubert, de nombreux triplex ont été construits ces dernières années, ce qui a fait augmenter la population du secteur. Or, cela s’est répercuté sur le débit d’eau potable aux heures de pointe et a créé du mécontentement de la part des habitants.

Les gens pensent souvent que la densification, ce sont de grandes tours de condos. Certains quartiers peuvent s’y prêter, comme le quartier du métro. Mais là encore, si les services et les infrastructures ne suivent pas, ça ne fonctionnera pas. Dans les quartiers déjà bâtis, on peut faire de la densification différemment, de la densification « douce ».

En ce moment, la réglementation des villes n’est pas adaptée et ne favorise pas, par exemple, le logement bi- ou multigénérationnel ou la construction de logements d’habitation accessoires. Pourtant, dans le Vieux-Longueuil, par exemple, il y a des gens qui ont de très grands terrains et qui pourraient construire des logements accessoires, des minimaisons. Ce sont des pistes que nous allons explorer, notamment lors du Sommet pour l’habitation qui se tiendra en août prochain, que je coorganise avec mon collègue et maire de Laval, Stéphane Boyer.

Le nouveau Plan d’urbanisme de Longueuil 2021-2035 a été adopté avant votre arrivée. Il aborde en surface les solutions de densification. Est-ce contraignant ?

On peut faire des ajustements, des changements de zonage, par exemple. Sans refaire l’exercice, qui est un travail de longue haleine, on peut tourner autour, contribuer à l’enrichir pour qu’il soit encore plus fidèle à nos orientations. Accroître l’offre de logements disponibles et favoriser la mixité sociale, densifier le territoire, développer les services et le transport collectif…

Pour moi, l’urgence climatique et la crise de l’habitat ont manifestement des débouchés communs, des pistes de solution partagées, et c’est notre responsabilité de déterminer les plus efficaces et de les mettre en œuvre.

Ce n’est qu’en augmentant et en diversifiant l’offre de transport qu’on fera reculer l’auto solo.
— Catherine Fournier, mairesse de Longueuil

Sur le territoire de votre municipalité, très étendu, le défi du transport collectif est également central…

Nos villes, les grandes banlieues, ont été construites autour de l’auto solo. On souhaite aujourd’hui que les gens aient le choix entre prendre leur auto, leur vélo, les transports en commun, marcher, mais aussi qu’ils réfléchissent à se départir, par exemple, d’une de leurs deux voitures. Ce n’est qu’en augmentant et en diversifiant l’offre de transport qu’on fera reculer l’auto solo.

En même temps, nous devons composer avec le déficit structurel de financement du transport collectif, surtout après deux ans de pandémie et d’effondrement de la fréquentation. Veut-on simplement remonter la pente prépandémie ou créer de l’offre supplémentaire ? Certains tarifs ont dû être augmentés dans le cadre de la refonte tarifaire de l’ARTM [Autorité régionale de transport métropolitain].

Même si la majeure partie de l’augmentation est assumée par les municipalités, une petite part revient aux usagers. On s’entend que ce n’est pas idéal quand tu veux promouvoir l’utilisation des transports en commun, que ça n’envoie pas forcément le bon signal. Mais la réalité budgétaire est aussi à prendre en compte.

Durant la campagne, vous vous êtes également engagée à dresser un inventaire des gaz à effet de serre (GES) de la Ville de Longueuil…

Longueuil n’a pas d’objectifs de réduction de ses GES. Pour s’en fixer, encore faut-il avoir le portrait précis des émissions que nous générons. C’était un engagement, et la réalisation de l’inventaire est en cours. Nous avons également adhéré au printemps à la campagne internationale « Objectif zéro », qui vise la mise en œuvre d’un plan d’action climatique inclusif et résilient vers la carboneutralité, basé sur les pratiques les plus efficaces désignées par la science.

Nous allons également mettre en place et adopter cette année, grâce à l’appui du Centre québécois du droit de l’environnement, une charte verte qui va définir les droits environnementaux des citoyens, mais aussi la responsabilité de la Ville.

Finalement, en ce qui concerne la participation citoyenne, nous avons créé des comités consultatifs. De nombreuses villes en ont depuis longtemps, mais ce n’était pas le cas de Longueuil. Nous avons en particulier créé le Comité consultatif en environnement, pour lequel nous avons reçu de nombreuses candidatures de citoyennes et citoyens qui ont le goût d’aider la Ville dans ses prises de décision. Cela témoigne de l’intérêt de la population pour les questions environnementales.

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Finalement, la CAQ est revenu sur sa décision et veut maintenant contrer l’étalement urbain. :upside_down_face:

Aménagement du territoire Andrée Laforest veut limiter l’étalement urbain


PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE | Dans sa politique, Mme Laforest dit vouloir « adopter des formes d’aménagement qui permettent de contrer la perte de milieux naturels et de territoires agricoles ».

(Québec) Après s’être fait critiquer par les maires, le gouvernement Legault affirme désormais qu’il veut limiter l’étalement urbain.

6 juin 2022 | Publié à 13h54 | CAROLINE PLANTE | LA PRESSE CANADIENNE

Lundi, la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, a présenté la première Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire.

Celle-ci s’articule autour de quatre axes, et vise notamment à « orienter la croissance urbaine vers des milieux déjà dotés d’infrastructures et de services publics, […] limitant ainsi l’étalement urbain ».

À la mi-avril, le ministre des Transports, François Bonnardel, avait créé une commotion dans le milieu municipal en qualifiant la densification urbaine de « mode ».

Il avait par ailleurs ouvert la porte à des ensembles résidentiels dans la région agricole de Bellechasse avec son projet de tunnel Québec-Lévis.

Le 12 mai dernier, le maire de Québec, Bruno Marchand, a déploré que la Coalition avenir Québec (CAQ) normalise l’étalement urbain. Il l’a accusée de tenir un discours « populiste ».

Selon lui, la CAQ ne prend pas la pleine mesure de l’urgence climatique.

Dans sa politique, Mme Laforest dit vouloir « adopter des formes d’aménagement qui permettent de contrer la perte de milieux naturels et de territoires agricoles ».

Elle vise aussi à « planifier des territoires capables de mieux s’adapter aux conséquences des changements climatiques en favorisant la préservation des milieux naturels et de la biodiversité ».

Son objectif est également d’« accroître l’offre de logements de qualité, accessibles et abordables », et de « diversifier l’offre des moyens de transport, particulièrement les transports collectifs ».

La Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire est le fruit d’un travail de collaboration entre la ministre Laforest et sa collègue, la ministre de la Culture, Nathalie Roy.

Près de 4500 personnes ont participé à la consultation sur l’aménagement du territoire, y compris le milieu municipal, la société civile, des scientifiques, ainsi que des membres des Premières Nations.

Le gouvernement promet de déposer « rapidement » un plan de mise en œuvre de la politique, afin de coordonner les actions des ministères, des municipalités, des MRC et des groupes de la société civile.

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Nouvelle vidéo de la chaîne YouTube Oh the Urbanity!

Discussions of urbanism often devolve into fights between “downtown living” and “suburban (or small town) living”. This misses something big — most city-dwellers don’t actually live “downtown”. They live in dense residential neighbourhoods outside of downtown. We understand the aversion that many people have to “downtown living” because it can feel overwhelming, noisy, and crowded, but urban density does not have to be like that. It can actually be quite peaceful and calming. In this video, we cover our experiences based on living in older, denser parts of Toronto and Montreal.

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Densifier la ville? Oui, mais de manière verte et socialement acceptable

Photo: Josie Desmarais/Métro

Florian Mayneris - La Conversation

18 juin 2022 à 7h00 8 minutes de lecture

Les débats sur l’étalement urbain et la densification au Québec sont continuellement alimentés par de nouvelles prises de position de responsables municipaux et d’experts. Or tout le monde est d’avis qu’il faut considérer l’aspect environnemental et sociétal lorsqu’il s’agit de l’enjeu de la densification. Voici une analyse de Florian Mayneris, professeur agrégé en économie urbaine de l’Université du Québec à Montréal.

Je suis qui, moi, pour dire à une jeune famille: «vu que la mode est à la densification, tu vas aller vivre dans une tour de 12 étages»?

ANALYSE – Cette sortie du ministre québécois des Transports, François Bonnardel, est survenue en avril, lors de la présentation du nouveau projet de troisième lien entre Québec et Lévis. Depuis, il ne se passe pas une semaine au Québec sans que le débat sur l’étalement urbain, c’est-à-dire le développement des surfaces urbanisées en périphérie des grandes villes, et son opposé, la densification, ne soit alimenté par de nouvelles prises de position de responsables municipaux et d’experts.

Les causes de l’étalement urbain et ses conséquences environnementales intéressent les chercheurs de nombreuses disciplines, allant de la géographie aux sciences naturelles, en passant par l’architecture et la sociologie. Les économistes ne sont pas en reste.

Spécialiste des questions d’économie urbaine à l’ESG-UQAM, je suis d’avis que la morphologie de la ville et ses aménagements sont primordiaux pour maximiser les bénéfices environnementaux de la densification des villes et s’assurer que celle-ci ne se fasse pas en excluant les ménages les plus modestes.

Les autoroutes sont un facteur d’étalement urbain

La relation de causalité entre la construction d’autoroutes et l’étalement urbain est l’objet de nombreuses études. Est-ce que les nouvelles autoroutes relient les villes à des zones périurbaines où la demande résidentielle est déjà forte, ou alors la construction d’autoroutes crée-t-elle elle-même une demande résidentielle croissante en périphérie des grandes villes?

Les travaux des quinze dernières années montrent que les autoroutes sont bien une cause de la périurbanisation (urbanisation qui s’étend au-delà de la périphérie des villes). Ce lien de causalité a été démontré aux États-Unis, en Chine, en Espagne et dans plusieurs autres pays européens.

En effet, si le prix au pied carré des terrains et des logements diminue au fur et à mesure que l’on s’éloigne des centres-villes, ces derniers sont souvent riches d’emplois, de services et d’infrastructures récréatives pour les ménages.

Ainsi, lorsque les transports entre les centres-villes et leur périphérie sont longs et coûteux, de nombreux ménages préfèrent rester en centre-ville quitte à payer leur logement plus cher ou à en prendre un plus petit. Lorsque le coût (monétaire et en temps) pour rejoindre le centre-ville diminue, grâce à la construction d’autoroutes par exemple, il devient au contraire envisageable de quitter le cœur des villes pour jouir de logements plus grands et/ou moins dispendieux.

Or, il importe de mentionner que les autoroutes ne réduisent pas nécessairement la congestion, raison pourtant fréquemment invoquée pour justifier leur construction (et le troisième lien ne fait pas exception), car en matière de transport routier, l’offre crée souvent sa propre demande. Autrement dit, les nouvelles routes incitent à de nouveaux déplacements de la part de ménages déjà dotés d’une automobile ou de ménages nouvellement équipés.

La densification réduit l’usage de l’automobile

Au contraire de l’étalement urbain, la densification permet de réduire la dépendance à l’automobile des ménages. Une revue de littérature récemment publiée par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) montre que les études théoriques et empiriques convergent et démontrent que les villes plus denses favorisent les modes de transport plus soutenables.

À cela plusieurs raisons : les réseaux de transport public y sont plus développés, car leur rentabilité y est aussi plus élevée; la pratique de la marche et du vélo y est plus facile en raison des distances plus courtes à parcourir et de la morphologie urbaine plus adaptée à ce type de déplacement; enfin, l’usage de l’automobile y est moins attractif compte tenu des difficultés de stationnement qui augmentent et de la vitesse de circulation qui diminue avec la densité.

Ainsi, en favorisant des modes de transport plus durables, la densité permet-elle de diminuer les émissions polluantes?

Empiriquement, plusieurs études (sur les États-Unis et la France, entre autres) montrent que le nombre de kilomètres parcourus et la quantité de carburant consommée par les ménages sont plus faibles dans les villes les plus denses, bien que la baisse soit parfois modeste.

Le rôle de la morphologie des villes

Ce faible impact de la densification sur les émissions polluantes s’explique en partie par le fait qu’au-delà de la densité de population, la morphologie des villes et leurs équipements sont des déterminants importants de la mobilité.

Plus spécifiquement, la mixité des quartiers limite le recours à la voiture, puisqu’elle permet de raccourcir les déplacements entre le domicile, le travail et les lieux de consommation et de loisirs. De même, la baisse de l’utilisation de la voiture a toutes les chances d’être amplifiée si la densification s’accompagne de la mise en place d’une offre de transports en commun attrayante pour les résidents.

Une étude portant sur la ville de Barcelone montre d’ailleurs que plus que la densité de population en tant que telle, ce sont les caractéristiques qui lui sont associées qui expliquent la plus faible empreinte carbone des zones denses : c’est en rapprochant les lieux résidentiels des centres d’activité et en éloignant les ménages des axes routiers que la densification permet de réduire l’usage de la voiture et les émissions polluantes qu’il engendre.

Ainsi, densifier les villes en construisant des tours dans des quartiers résidentiels éloignés des bassins d’emploi et des zones récréatives et commerciales, comme cela est prévu à Saint-Bruno-de-Montarville, a peu de chance de permettre des gains significatifs d’un point de vue environnemental.

Planifier la densification pour la rendre efficace et acceptable

L’étude de l’OCDE mentionnée plus haut rappelle par ailleurs que la densification des villes permet de réduire d’autres sources de pollution. Lesquelles ? La préservation de certains milieux naturels en dehors des villes, la plus grande efficacité énergétique des bâtiments (les immeubles à condos étant généralement plus efficaces que les maisons unifamiliales) et la réduction des coûts des services publics en raison des économies d’échelle associées aux infrastructures qui les sous-tendent font partie des nombreux avantages des villes denses.

Mais, là encore, certains écueils sont à éviter. En termes d’émissions polluantes, un maillage dense d’immeubles de quelques étages comme à Paris peut s’avérer préférable à des quartiers de gratte-ciel comme à Manhattan. Bien qu’elle préserve la nature en dehors de la ville, la densification se fait parfois au détriment des espaces verts au sein des villes. La densification par la mixité des usages peut être source de pollution sonore. Enfin, en augmentant la demande de logements sur un périmètre restreint, la densification peut conduire à une augmentation des prix de l’immobilier et exclure de la ville les ménages les plus modestes si une offre de logements abordables n’est pas prévue.

Les promoteurs immobiliers, principalement guidés par des objectifs de profitabilité, sont peu susceptibles de veiller aux diverses dimensions qui permettent d’assurer que la densification donne le plein potentiel de ses bénéfices environnementaux. Les associations de résidents peuvent être tentées de bloquer certains projets de densification, perçus comme des nuisances. Quant aux pouvoirs publics, ils ne peuvent pas à eux seuls faire les investissements nécessaires pour une densification vertueuse du point de vue environnemental et acceptable du point de vue social.

C’est pourquoi il est important que la densification s’opère par une planification qui implique les élus locaux, les usagers de la ville et les partenaires privés.

Florian Mayneris, professeur agrégé, économie urbaine, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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Chronique sur la densité à l’émission radio Le 15-18

Urbanisme avec Philippe Lupien : La densification


Paris comporte peu de gratte-ciel, mais cela ne l’empêche pas d’être parmi les villes les plus denses au monde.PHOTO : iStock

Le 15-18
Publié le 20 juin 2022

Avec ses quelque 20 000 habitants par kilomètre carré, Paris se classe parmi les villes les plus denses au monde. Barcelone la suit de près, avec 13 000 habitants par kilomètre carré. Ces deux cités européennes ne sont pourtant pas reconnues pour leurs gratte-ciel. Cela montre que la densité ne se traduit pas nécessairement par la construction de tours, selon l’architecte et chroniqueur Philippe Lupien.

D’ailleurs, à Montréal, c’est le Plateau-Mont-Royal qui détient le record de densité, précise Philippe Lupien.

Il explique en entrevue pourquoi les modèles d’habitation plus anciens, comme ceux que l’on retrouve en Europe, offrent une meilleure densité que certains autres modèles plus récents.

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Si la ville est construite de la sorte mur a mur oui on peut avoir une forte densité avec que du 5 étages. Dans le cas de Montréal où il ne reste que des terrains par ci par là, ce ne sont pas batiments de 5 étages qui vont vraiment relever la densité globale.

D’ailleurs on observe à Paris un phénomène de décroissance de la population de la ville centre justement parce qu’il n’y a plus assez de logements et qu’on en construit pas tant que ça. À l’inverse la population de sa banlieue explose et le nombre de tours aussi. Le modèle parisien a ses limites.

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Je suis un peu en retard, mais quant à moi, le fait que les promenades soient sur le territoire de St-Bruno et non St-Hubert/Longueuil m’a toujours paru bizarre. La zone urbaine de St-Bruno étant plutôt de l’autre côté des terres agricoles.

Donc avec cette décision, je considère plutôt que St-Bruno a décidé de densifier St-Hubert.

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C’est pas ça le point. Le but c’est de construire des quartiers denses, ce qu’on est très bien capable de faire même avec le peu de terrains qu’il nous reste (et il en reste beaucoup).

C’est éternellement la même histoire. On peut construire la même densité avec une tour de 50 étages qu’avec plusieurs bâtiments plus petits qui couvrent plus de terrain. La question c’est qu’est-ce qu’on préfère?

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Je ne suis pas en désaccord avec ce que tu dis. Je dis que pour avoir la même densité avec du 5 étages qu’avec du 30 étages il faut beaucoup plus de terrain disponible.

Si Montréal densifie systématiquement tous ses terrain vacants avec du 30 étages (notamment autour des axes de transport) la densité finale sera beaucoup plus importante que si elle se limite à du 5 étages pour le faire.

La seule raison pour laquelle Paris est dense c’est que c’est du 5-6 étages presque partout. Il est faux de dire que Montréal, une ville déjà construite avec du 2-3 étages peut atteindre la densité de Paris en ne construisant pas plus haut que 5 étages. Ça va en prendre des tours et plusieurs endroits s’y prêtent. Recopier le modèle parisien c’est pas assez selon moi. À part si on rase la ville et qu’on recommence.

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Ce que tu dis est vrai seulement si on construit sur la même superficie du 30 étages et du 5 étages. Dans les faits, c’est pas comme ça que ça se passe. Généralement les immeubles plus petits vont avoir tendance à couvrir plus de terrain et être mitoyens alors que des tours de 30 étages ne vont pas être collées les unes sur les autres.

Oui mais il n’y a aucun projet de 5 étages à Mtl qui a une emprise au sol 6 fois plus grande que le Art de vivre de 35 étages ou que le YUL de 38 étages par exemple. La plupart des terrains ne sont pas assez grands pour qu’on puisse avoir une équivalence.

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Si on regarde par exemple les PPU Radisson, Jean-Talon, Panama, qui n’incluent pas la mer de bungalow aux alentours des stations de métro, parce que ce bâti est jugé “mature”, on est bien limité dans la forme que prendra cette densité.

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C’est peut être vrai pour certains terrains individuels, mais quand on a l’occasion de redévelopper un quartier (Bridge-Bonaventure par exemple) la question se pose. Et après, rien ne dit que ça ne peut pas être un mix de différentes hauteurs qui donnent un quartier dense et cohérent.

Les basilaires de ces tours ont cependant souvent tendance à être mitoyens ou fortement rapprochés dans le centre-ville et les quartiers centraux de Montréal. C’est souvent moins le cas en banlieue ou dans d’autres villes nord américaines.

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oh oui définitivement. C’est quelque chose qui est quand même intéressant sur Peel justement.

Sauf que la j’imagine qu’on ne parle pas du centre-ville ici…

Densification Des opposants partout dans l’île

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Rue résidentielle de Montréal-Est, où la mairesse s’est fait élire en promettant de stopper la densification.

Ce n’est pas seulement dans les couronnes nord et sud de Montréal que la résistance à la densification se manifeste. Cette bataille a également lieu dans l’île – dans ses villes de banlieue et même ses quartiers centraux. La Presse fait le tour du dossier… et le tour de l’île.

Publié à 5h00

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Suzanne Colpron

Suzanne Colpron La Presse

Pointe-Claire : « Les gens veulent une banlieue, pas un centre-ville »

Pointe-Claire a gelé un projet de construction de tours résidentielles, pas dans un bois, pas dans une zone humide, mais dans le stationnement du centre commercial Cadillac Fairview Pointe-Claire, à côté d’une station du futur Réseau express métropolitain (REM) et au bord d’une autoroute. Pourquoi ?

La position du maire de Pointe-Claire, Tim Thomas, est limpide : il a stoppé la densification parce que c’est ce que souhaitent les citoyens qui l’ont porté au pouvoir en novembre 2021.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Tim Thomas, maire de Pointe-Claire

« La densification, c’est peut-être pour une autre ville, mais pas la nôtre », déclare-t-il en entrevue avec La Presse.

En 2021, M. Thomas a fait campagne en promettant de freiner la densification. Il a gagné par une maigre avance de 61 voix sur le maire sortant, John Belvedere, qui voulait faire de Pointe-Claire le centre-ville du West Island. Pour lui, les 33 000 habitants que compte sa ville sont amplement suffisants.

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« Les anciens étaient trop pour le développement », estime le maire de 62 ans, passionné de politique, qui a été tour à tour professeur d’université, analyste politique du Conseil privé pour le gouvernement de Jean Chrétien et propriétaire d’un magasin d’antiquités. « We developed the city trop vite », dit-il.

C’est ce qui explique que, lorsque nous l’avons interrogé sur sa vision de l’avenir de Pointe-Claire, il a répondu : « Ma vision est la vision des citoyens, c’est aussi simple que ça. » Et lorsque nous lui avons demandé si, lui, avait une vision, il a répondu : « Pas vraiment, pas vraiment. Je suis un démocrate, je respecte les citoyens. »

« Les gens veulent une banlieue, pas un centre-ville, a-t-il poursuivi. La plupart de nos citoyens voudraient des espaces verts, pas des gros buildings. Cadillac Fairview est propriétaire des terrains. Il a des droits, mais les citoyens ont des droits aussi. Alors, c’est un échange. »

Inaction reprochée

La résolution adoptée en février par le conseil municipal pour bloquer des projets de construction a été remplacée en mai par un règlement de contrôle intérimaire, le « temps de poursuivre la réflexion sur l’aménagement du territoire » et d’accoucher d’un nouveau plan d’urbanisme. Des consultations publiques sont prévues à l’automne.

Le problème, selon le conseiller Brent Cowan, c’est que l’administration municipale traîne les pieds. Dans une lettre ouverte adressée au maire et transmise à La Presse, il déplore l’inaction de la Ville dans ce dossier.

« Sept mois après votre élection, vous n’avez même pas encore fini de définir le tout début du processus qui doit durer deux ans, écrit-il. La seule conclusion qu’on puisse tirer, c’est que votre administration, sans point de départ, ne puisse avoir un point d’arrivée en vue. »

M. Cowan craint que de nouvelles poursuites soient intentées contre la Ville. « Le demi-million de dollars que vous avons prévu cette année pour les frais juridiques n’est peut-être que la pointe de l’iceberg », note-t-il.

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Le propriétaire du centre commercial Cadillac Fairview Pointe-Claire a en effet entrepris en mars des actions en justice contre la Ville de Pointe-Claire. Il allègue que « la volte-face de la Ville […] est contraire à ses promesses et représentations au fil des ans ».

Le promoteur Sotramont songe aussi à poursuivre. La troisième et dernière phase de son projet résidentiel locatif, approuvé dans son ensemble, vient d’être bloquée.

« Zéro réponse »

« Il y a zéro réponse actuellement dans cette ville-là, dénonce Raymond Paré, copropriétaire de Sotramont. C’est assez improvisé, merci. Et on ne parle pas de petits investissements ! »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Brian Salpeter, vice-président principal du développement de l’est du Canada, Cadillac Fairview

« Tout est gelé, confirme Brian Salpeter, vice-président principal du développement de l’est du Canada, Cadillac Fairview. Il n’y a aucune réponse à plusieurs demandes de rencontres avec la Ville depuis le 8 février. C’est la première fois en 57 ans que la Ville refuse de nous parler. »

Le projet de Cadillac Fairview consiste à construire, sur une partie du stationnement du centre commercial, deux immeubles résidentiels locatifs de 25 étages, une tour de 20 étages pour les personnes âgées, une épicerie, des restaurants et une grande place publique de 50 000 pi⁠2, conçue par Claude Cormier, un architecte paysagiste réputé qui a imaginé l’anneau géant qui flotte désormais au-dessus de l’esplanade de Place Ville Marie.

On est à côté de l’autoroute, dans une mer de stationnements, on a le REM juste à côté, on est loin des petites maisons d’habitation. Nous ne viendrons pas, en aucune façon, opprimer les résidants. On n’est pas dans leur bulle. On est juste à côté, voisin des branchements d’autoroute. Le trafic est à côté de nous.

Claude Cormier, architecte paysagiste

« Un privilège »

Danielle Pilette, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, est sensible aux inquiétudes de Pointe-Claire : « On dit aux villes : vous allez faire votre planification urbaine en fonction du REM qu’on vous a imposé. Et vous allez densifier et vous allez changer votre vocation. Alors qu’eux, ils ont préservé jalousement leur vocation jusqu’à présent. Eux, surtout, ne se voient pas comme une ville de masse. Ils sont une communauté. »

D’autres experts interrogés par La Presse ne partagent toutefois pas ce point de vue.

« Pointe-Claire, c’est un cas typique d’élus qui ne comprennent pas les enjeux, qui ont le bonheur d’accueillir une station, mais qui ne permettent pas au quartier de se développer », explique Emmanuel Cosgrove, directeur général de l’organisme Écohabitation.

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal, va plus loin. « Pointe-Claire a un privilège d’avoir une station de REM sur son territoire et ce REM-là, ce n’est pas le REM des gens de Pointe-Claire, c’est le REM des citoyens du Québec d’aujourd’hui et surtout de demain », dit-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal

Donc, il faut trouver des mécanismes pour forcer les municipalités à permettre la construction immobilière dans un rayon d’un kilomètre autour des stations.

Jean-Philippe Meloche, professeur à l’Université de Montréal

Selon Christian Savard, directeur général de Vivre en ville, « le désir de rester une ville de niche est illégitime ».

« Ça constitue un privilège qui ne peut pas être maintenu, affirme-t-il. Une ville, c’est toujours en évolution. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

Et si on veut minimiser l’impact environnemental et l’impact financier, nos villes doivent évoluer et se densifier. Le droit de rester une ville de bungalows éternellement n’existe pas.

Christian Savard, directeur général de Vivre en ville

M. Savard ajoute que le gouvernement de la Colombie-Britannique impose les densités autour des stations lorsqu’il finance un projet de transport collectif. À Vancouver, où une nouvelle ligne de métro est en construction, « c’est une condition à l’attribution des fonds ».

Québec devrait-il faire pareil ? M. Savard croit qu’il ne pourra faire autrement. « Il va falloir l’envisager si on veut que les choses progressent. »

Les points chauds de résistance

PHOTO SIMON GIROUX, ARCHIVES LA PRESSE

Rue du centre de Mont-Royal, ville dont le maire s’est opposé au volet résidentiel du projet Royalmount.

Il y a des mouvements de résistance partout dans l’île de Montréal. Les réflexes du « pas dans ma cour » prennent de multiples formes. Mais ils ont tous un point commun : une crainte des citoyens que la densification bouscule leur environnement et leur mode de vie.

Montréal-Est : la densité revue à la baisse

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est, s’est aussi fait élire en promettant de stopper la densification.

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En entrevue avec La Presse, elle explique : « Oui à la densification, mais surtout à la qualité de vie actuelle des citoyens. J’avais mis dans mon programme, comme premier engagement, que je refaisais le zonage du quartier résidentiel. »

Ce quartier représente 9 % du territoire de la ville de 4000 habitants, largement industrielle. La densité de Montréal-Est est de 315 habitants par kilomètre carré, comparativement à 4881 à Montréal.

PHOTO KARENE-ISABELLE JEAN-BAPTISTE, COLLABORATION SPÉCIALE

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est

L’ancien maire, Robert Coutu, voulait densifier, densifier, densifier. Il voulait atteindre le 5000 de population. Moi, je suis très satisfaite de ce que j’ai aujourd’hui. Très, très satisfaite. Je n’en demande pas plus que ça.

Anne St-Laurent, mairesse de Montréal-Est

Sous son administration, le nombre de logements permis dans les nouveaux projets est passé de huit à quatre, dans plusieurs secteurs.

« On a pris les rues, l’une après l’autre, détaille Mme St-Laurent, qui a fait carrière dans les banques. On disait qu’est-ce qu’il y a sur la rue : du duplex, du triplex, pas de quatre logements, pas de huit logements. Ce qui fait qu’on a zoné ça H1, H2, H3 : unifamilial, duplex, triplex. Chaque rue a été analysée et zonée en fonction de sa situation. On a protégé les rues où il y avait juste de l’unifamilial. »

La densification n’est pas exigée par l’agglomération de Montréal, affirme-t-elle. « C’est demandé. »

Mont-Royal : la résistance de la cité-jardin

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le projet Royalmount en construction, à l’intersection des autoroutes 15 et 40

Peter Malouf, maire de Mont-Royal, avait aussi fait de la densification l’un des éléments centraux de sa campagne.

Une fois au pouvoir, il a signé l’arrêt de mort du volet résidentiel du projet Royalmount, en construction à l’intersection des autoroutes 15 et 40.

« Pour moi, la préoccupation, c’est la circulation, explique-t-il. J’ai demandé aux promoteurs comment ils allaient résoudre ça. Ils m’ont fait une présentation, mais ils n’ont pas l’approbation du ministère des Transports ni de la Ville de Montréal. Tu peux faire toutes sortes de plans, mais si tu n’as pas de permis, good luck ! »

Un autre dossier le préoccupe : le REM. Mont-Royal accueillera deux stations sur son territoire.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Peter Malouf, maire de Mont-Royal

On est une petite ville qui va avoir 550 trains par jour. C’est malade ! Et ils n’ont pas considéré de l’enfouir. Pour moi, c’est inacceptable.

Peter Malouf, maire de Mont-Royal

Prévoit-il densifier autour des futures stations ? « Dans le centre de Mont-Royal, il n’y a pas vraiment de place pour ajouter des résidants, répond le maire. Peut-être dans le périmètre, mais pas dans le centre. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Emmanuel Cosgrove, dirigeant d’Écohabitation

Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation, ne s’étonne pas de cette réponse. « Mont-Royal est une ville où les revenus par ménage sont assez élevés et où il y a une vision urbanistique des années 1950, dit-il. C’était visionnaire comme quartier à l’époque. Mais c’est sûr que les citoyens vont s’opposer aux nouvelles façons de faire. »

Hochelaga : la lutte militante

PHOTO PASCAL RATTHÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Manifestation l’automne dernier contre le projet Canoë, qui prévoit la construction de 1000 logements dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve

La lutte contre la densification se voit aussi dans les quartiers centraux. À Hochelaga-Maisonneuve, par exemple, des militants anti-embourgeoisement s’opposent au projet Canoë, piloté par Rachel Julien.

Cet ensemble de 350 millions, situé sur le terrain de l’ancien centre Pro Gym, mise sur la construction de près de 1000 logements, dont 20 % de logements abordables et 20 % de logements sociaux, des commerces de proximité, des espaces verts et communautaires, un CPE, des rues piétonnes, etc.

« La densification, ce n’est pas juste des tours étagées, rappelle Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec. Ça peut être tout simplement un quartier beaucoup plus compact, pourvu qu’on augmente le nombre de citoyens par kilomètre carré. »

C’est une façon de développer le territoire de façon beaucoup plus optimale, de réduire les distances de parcours véhiculaires, d’avoir un transport collectif plus rentable et intéressant. Il y a beaucoup de mérite à la densification.

Sylvain Gariépy, président de l’Ordre des urbanistes du Québec

Emmanuel Cosgrove, d’Écohabitation, constate par contre que dans certains cas, l’embourgeoisement peut nuire à la densification. « Des demandes de conversion se traduisent par une baisse de la densité de population au mètre carré, explique-t-il. Là où habitaient six personnes auparavant, on peut en trouver deux, maintenant. »

L’impact est d’autant plus sérieux que le processus se fait à sens unique : « On peut convertir le duplex en unifamiliale, mais le contraire n’est pas permis. »

Bridge-Bonaventure : la guerre des hauteurs

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Présentation par les promoteurs du projet de réaménagement du secteur Bridge-Bonaventure, le 31 mai dernier

Le réaménagement du secteur Bridge-Bonaventure, entre le Vieux-Montréal et Pointe-Saint-Charles, fait aussi l’objet d’une opposition citoyenne. Mais il est surtout au cœur d’un désaccord avec la Ville sur la densité.

Le promoteur mise sur la construction de 7500 habitations. De son côté, la Ville de Montréal ne veut y autoriser que 3800 logements.

Les promoteurs, au nom de la densification, estiment que la construction en hauteur permet de réduire les coûts et d’augmenter les espaces verts, tandis que la Ville craint que ces élévations ne soient pas à échelle humaine.

« Ce qui crée la valeur des logements, en gros, c’est ce à quoi les logements donnent accès : l’emploi, la consommation, une qualité de vie, explique Jean-Philippe Meloche, de l’Université de Montréal. Il y a des lieux qui offrent beaucoup d’occasions et il faut les partager avec un nombre de plus en plus grand de personnes. Si on n’est pas capable d’augmenter l’offre, éventuellement, la demande continue d’augmenter, et ces logements-là deviennent hors de prix. »

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Sans surprise Danielle Pilette prend position contre les hauteurs et le REM A, et cautionne un développement urbain irresponsable. :melting_face: En sollicitant régulièrement son avis, les médias créent un faux équilibre sur ces sujets, et enhardi les St-Laurent, Grisé-Farand, Malouf et autres défenseurs du nimbyism dans leur arrogance.

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Densifier pour arrêter l’étalement urbain ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« Il n’est pas surprenant que beaucoup de ménages québécois choisissent la banlieue ou refusent un habitat dense », écrit l’auteur.

Depuis longtemps, des institutions insistent sur le fait que l’étalement urbain multiplie les besoins en infrastructures publiques et rend les ménages dépendants de plusieurs automobiles. De plus, des politiciens ou écologistes reconnaissent maintenant que la réduction de l’étalement urbain est essentielle à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Publié hier à 17h00

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Luc C. Gagnon

Luc C. Gagnon Consultant en transport et changements climatiques

Par contre, les solutions préconisées semblent relever de la pensée magique : il suffirait de construire des bâtiments de moyenne et haute densité, un peu n’importe où, pour arrêter l’étalement et réduire l’usage de l’automobile. Cette approche est vouée à l’échec, car elle ne tient pas compte des causes profondes de l’étalement. En voici quelques-unes :

– De nombreuses études ont montré que l’étalement urbain était fortement subventionné (notamment Cahiers du GRIDD-HEC). Au Québec, en tenant compte des coûts des routes, des stationnements publics, de la pollution et des services policiers consacrés aux routes, la subvention nette est d’environ 4000 $ par véhicule par année (pour 15 000 km/an en 2020). Si on applique cette moyenne à un ménage de banlieue lointaine, avec deux ou trois véhicules effectuant un total de 60 000 km par an, la subvention transport est de l’ordre de 16 000 $ par année par ménage. À l’opposé, un ménage urbain reçoit une subvention minime ; il paie donc des impôts qui servent à soutenir ceux qui font l’étalement urbain ;

– Ce bilan ne tient pas compte du fait que l’étalement exige souvent de nouvelles écoles et de nouvelles usines de filtration et d’épuration. En payant pour ces équipements, le gouvernement provincial subventionne l’étalement urbain ;

– La fiscalité municipale, basée sur les taxes foncières, a également un parti pris pour la faible densité. Si on compare un bloc de 40 condos avec 40 maisons unifamiliales, on peut facilement démontrer que chaque condo, par unité, exige 10 fois moins de rues, trottoirs, aqueducs, égouts, éclairage et déneigement publics. Malgré cela, le propriétaire d’un condo paie des taxes foncières semblables à celles des maisons unifamiliales. Une grande proportion de ses taxes permettent donc de donner des services à la faible densité.

Il ne s’agit pas d’accuser les citoyens qui ont choisi la banlieue. Au contraire, ce bilan montre que le choix de la banlieue est un choix rationnel, compte tenu de toutes les subventions.

Voici d’autres partis pris pour l’étalement, que les groupes environnementaux n’osent pas mentionner :

– Dans leur décision d’accorder un prêt hypothécaire, les banques ne considèrent que la valeur de la propriété. Cela signifie qu’un ménage modeste peut obtenir un prêt de 400 000 $ sur une maison unifamiliale de banlieue, qui exigera deux ou trois véhicules. En contraste, l’hypothèque d’un condo urbain de 500 000 $ serait refusée, même si ce choix permet de grandes économies en transport ;

– La vie dans un milieu dense exige que les autorités publiques fassent une gestion des nuisances sonores. Sur ce plan, la performance québécoise est assez mauvaise : aucun programme visant l’insonorisation des logements, pratiquement aucune limite sur le nombre d’animaux de compagnie qui peuvent occuper un logement. Aux États-Unis, de nombreuses administrations de condo interdisent les chiens ; une telle décision est impossible au Québec, selon nos pratiques légales ;

– Depuis 50 ans, tous les gouvernements ont considéré l’accès à la propriété comme un outil d’enrichissement des ménages. Cette option est encore disponible pour les maisons de banlieue, mais elle est devenue presque impossible pour les condos neufs : comme les gouvernements n’ont rien fait pour favoriser la copropriété, presque tous les nouveaux bâtiments de moyenne à haute densité offrent maintenant des « condos locatifs », qu’il est impossible d’acheter.

Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de ménages québécois choisissent la banlieue ou refusent un habitat dense. La lutte contre l’étalement urbain est d’abord un enjeu collectif, qui exige de changer fondamentalement les priorités fiscales et budgétaires. Il faudra notamment augmenter sérieusement la taxe sur le carbone. (Attention pour ne pas confondre les effets d’une taxe, dont le fruit reste ici, avec la situation actuelle qui génère des milliards de dollars de profits aux pétrolières.)

Il faut aussi arrêter de subventionner des extensions routières. En fait, il n’existe que deux modes de transport qui stimulent la concentration du développement : le métro et le tramway, dont les stations permettent un habitat dense, où les citoyens auront un bon service de transport.

Le Québec doit considérer sérieusement l’option tramway, car, pour un budget donné, le tramway permet 10 fois plus de stations que le métro. Partout dans le monde, les réseaux de tramway permettent de densifier les villes et de réduire les émissions de GES. Il y a 1167 lignes de tramway en Europe, contre 0 au Québec.

Pour le transport individuel, plusieurs politiciens et écologistes font la promotion des véhicules électriques, dont les coûts réels varient entre 50 000 $ et 120 000 $. Aux États-Unis, environ 45 % des véhicules électriques appartiennent à des ménages qui ont trois, quatre ou cinq véhicules. L’auto électrique est clairement au service de l’étalement urbain. Et les subventions aux autos électriques représentent une autre subvention à l’étalement, au bénéfice des ménages les plus riches.

Des politiciens mentionnent maintenant la nécessité de réduire l’étalement et d’augmenter la densité. Mais au-delà des belles paroles, il n’y aura pas de progrès significatif sans changement majeur des pratiques fiscales et budgétaires. À quand la révolte des propriétaires de condos urbains, dont le compte de taxes foncières est abusif par rapport aux services reçus ?

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