Densité et étalement urbain

À dix dans un logement de trois chambres


Musée McCord Domaine public
Une famille prend la pose en 1914.

Alexis Riopel
Pôle environnement
8 juillet 2023
Société

Vivre de manière plus durable, c’est possible. Le siècle dernier regorge d’exemples qui pourraient maintenant inspirer notre transition écologique. Dans sa série L’histoire à l’envers, Le Devoir sonde la mémoire de ceux qui ont connu ce monde plus sobre en énergie et en ressources.

Le jeune Denis Vézina n’avait pas besoin de chercher bien loin pour trouver des compagnons de jeu, dans le Villeray des années 1960. Sa famille — deux parents, quatre enfants — vivait dans un 5 ½ à l’étage supérieur d’un triplex. Dans ce bâtiment, qui comptait trois logements, habitaient au total 6 adultes et 14 enfants… « Pis dans le bloc d’à côté, c’était la même affaire ! » lance-t-il.

Densifier les milieux de vie permet d’éviter l’étalement urbain, de préserver les écosystèmes, d’offrir des services de proximité, de renforcer le tissu communautaire, de développer le transport collectif, de se déplacer à pied et à vélo, etc. Pour y arriver, l’équation est simple : héberger plus de gens en occupant moins d’espace.

Notre société sait comment faire. Il y a quelques décennies à peine, les Québécois vivaient plus nombreux qu’aujourd’hui dans de plus petites résidences. Ils ne s’y résignaient pas de leur plein gré : pour la plupart des familles, une relative pauvreté était en cause. Et puis, le clergé poussait les bons catholiques à enfanter à répétition. Examiner ces moeurs — sans pour autant appeler à un retour en arrière — montre que vivre dans plus petit, c’est possible.

Le premier logement où vécut M. Vézina, né en 1958, était encore plus exigu que le second. Il garde des souvenirs diffus de ce 4 ½ constitué d’un salon, d’une cuisine et d’une chambre double. Le jeune Denis partageait une demi-chambre avec ses deux soeurs : lui dans une bassinette, elles dans un lit superposé. Ses parents couchaient dans l’autre demi-chambre, de l’autre côté d’un rideau. « Je pouvais quasiment sauter dans leur lit », dit-il. Et son frère dormait sur le divan du salon. L’appartement entier ne devait pas faire plus de 700 pieds carrés, estime-t-il.

Tous à la même enseigne

La famille de Denis Vézina n’était pas particulièrement pauvre. « C’était le lot de tout le monde », explique-t-il, ajoutant que bien des familles de Villeray étaient plus nombreuses que la sienne. Il se souvient encore du curé, qui passait de maison en maison sur sa rue pour « voir ce qui se passe ». « La procréation était la priorité numéro un, et après on se débrouillait pour faire manger les enfants et les envoyer à l’école », affirme le sexagénaire.

Odette Saint-Pierre, née en 1953, vivait pour sa part à McMasterville, une petite ville de la Montérégie, en périphérie de Montréal. Ses parents avaient huit enfants. Évoluant dans un « milieu modeste », la famille Saint-Pierre habitait un appartement loué, dans un duplex jumelé. Il y avait trois chambres à coucher complètes et une petite pièce pour le dernier bébé en date.

« C’est sûr qu’à 10 personnes, on était tassés », raconte Mme Saint-Pierre. Les quatre filles dormaient dans la même chambre. « Des fois, le party prenait, relate-t-elle. On faisait pas mal de bruit pis de trouble… » Elle en garde donc de bons souvenirs, même si, à l’époque, la famille aurait bien aimé avoir plus d’espace. « Mes parents n’avaient pas beaucoup de sous, naturellement, avec huit enfants. »

La troupe devait obéir à une chorégraphie bien précise pour que chacun puisse avoir accès à la salle de bains. « On était “cédulés”, le matin. Quand on se préparait pour aller à l’école ou aller travailler, c’était chacun son tour. Un sortait, l’autre rentrait, on était “timés”. » Aujourd’hui, fait-elle remarquer, les ménages moins nombreux disposent de deux ou trois salles de bains. « Les familles rapetissent, les maisons grossissent. Nous autres, on s’est toujours débrouillés », résume-t-elle.

Dans les années 1970, son père a aménagé le sous-sol pour que les adolescents puissent inviter des amis, écouter de la musique et danser. Dans les années subséquentes, les enfants ont quitté le nid familial, chacun à leur tour, mais leurs parents sont restés là. La mère de M me Saint-Pierre a habité ce même logement pendant plus de 50 ans, jusqu’à ce qu’elle emménage dans une résidence pour personnes âgées.

Favoriser l’entraide

À la campagne, on comptait aussi beaucoup d’habitants dans chaque maison. Louise Poisson, née en 1945, a grandi à Saint-Norbert-d’Arthabaska, un petit village de 1000 habitants près de Victoriaville. Elle habitait « une grande maison », pour les normes de l’époque, située au-dessus du magasin de son père, qui tenait une petite quincaillerie, un atelier de ferblanterie et la caisse populaire. La demeure comptait sept occupants : la jeune Louise, ses deux soeurs, ses parents, sa tante et sa grand-mère.

La grand-mère de la fillette était partiellement paralysée ; elle demeurait donc alitée. L’assemblage de différentes générations sous un même toit favorisait l’entraide. « Je passais beaucoup de temps avec ma grand-mère, se rappelle Mme Poisson. Les dimanches après-midi, quand mes parents allaient faire un tour de voiture, je restais à la maison avec elle. » Lorsque grondée, l’enfant pouvait trouver consolation auprès de sa tante ou de la matriarche.

La cohabitation pouvait aussi être source de tensions. La tante de Mme Poisson ne faisait pas que vivre dans la maison familiale : elle travaillait aussi avec son frère au rez-de-chaussée. Ces deux-là se comportaient comme un vieux couple. « C’était infernal, dit celle qui est aujourd’hui septuagénaire. Ma mère se trouvait parfois isolée. Je ne trouvais pas ça drôle du tout. »

La jeune Louise accompagnait parfois son père qui allait changer des fournaises à l’huile dans les domiciles de la région. « C’étaient souvent de grosses familles, de six ou sept enfants, qui n’étaient pas toujours aussi bien logées que nous. » Les trois filles Poisson passaient leur temps avec les six voisines, qui vivaient sur une ferme. La marmaille courait dans les champs et conduisait les vaches vers la traite. « C’était une belle époque. On ne demandait pas la permission pour aller jouer avec nos amies. »

En 1968, après avoir oeuvré pendant quatre ans comme enseignante à l’école primaire, la jeune femme quitta son village pour étudier la philosophie à Montréal. Elle s’installa avec une copine dans un logement d’une chambre, où chacune disposait d’un lit à une place. « On ne trouvait pas toujours ça évident… On était dans la jeune vingtaine, on avait des chums. Ce n’était pas idéal, disons. » La plupart de ses compagnonnes de l’université vivaient dans des conditions similaires.

La situation allait rapidement évoluer dans les décennies suivantes. De 1950 à 2000, la taille du ménage québécois moyen est passée de 4,6 à 2,4 personnes. Au cours des années 1980 et 1990, la construction de maisons unifamiliales a supplanté celle d’appartements. Dans le parc immobilier actuel, les logements des années 1960 sont d’une superficie moyenne de 100 m2, alors que ceux bâtis récemment font 150 m2. Grosso modo, les Québécois vivent donc deux fois moins nombreux qu’il y a 60 ans, dans des logements 50 % plus grands.

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