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Une municipalité « prise en souricière » par la protection des terres agricoles
« On n’a plus de terrains » à développer, déplore le maire de Crabtree, coincé par une réforme de Québec.

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Le maire de Crabtree, Mario Lasalle, affirme qu’il n’a plus de terrains à développer dans sa municipalité.
PHOTO : RADIO-CANADA / THOMAS GERBET
Publié à 4 h 00 HNE
La décision était attendue avec fébrilité par des maires de partout au Québec. La Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) a refusé un projet de développement résidentiel sur des terres agricoles de Crabtree, dans Lanaudière, sous prétexte qu’il existe des terrains disponibles pour construire non pas dans cette ville, mais ailleurs, dans les municipalités voisines. Le maire se demande maintenant où il trouvera de nouveaux revenus.
On a été les cobayes, raconte Mario Lasalle, dans son bureau de l’hôtel de ville. Selon les informations dont nous disposons, et d’après plusieurs observateurs, c’est la toute première fois que la CPTAQ applique un changement législatif fait par le gouvernement de François Legault, en décembre 2021.
À l’heure actuelle, si une municipalité souhaite retrancher du territoire agricole pour y faire du développement résidentiel, elle doit démontrer qu’il n’existe pas de terrains disponibles en dehors de la zone agricole chez elle, mais aussi dans les municipalités voisines de sa MRC.

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Cette carte de la municipalité montre que 92,6 % de la municipalité de Crabtree est en zone agricole. La demande d’exclusion couvrait environ 1 % de ce territoire.
PHOTO : RADIO-CANADA
À Crabtree, il n’y a plus de réel potentiel de développement résidentiel suffisant pour répondre aux besoins de l’accroissement de la population au cours des prochaines années, constate la CPTAQ dans sa décision. Cela ne l’a toutefois pas empêchée de refuser la demande, car il y a des terrains disponibles ailleurs dans la MRC de Joliette (plus de 300 hectares).
Sauf que bâtir de nouvelles résidences ailleurs ne rapporterait pas un sou à Crabtree.
Couper les services, hausser les taxes ou ajouter des étages
Maintenant, on fait quoi?, demande le maire, qui rappelle que tout coûte plus cher. On est pris en souricière, parce que notre principal revenu, ce sont les taxes foncières.
Les taxes foncières, c’est selon les logements et les propriétés qu’on a. Et là, on n’a plus d’augmentation de ça. […] C’est notre qualité de vie qui est attaquée.
Une citation deMario Lasalle, maire de Crabtree
Alors que la municipalité de 4164 habitants s’apprête à présenter son nouveau budget, le maire évoque une augmentation des taxes et des coupes dans les services de loisirs.
Il n’écarte pas l’idée, à terme, de fusionner avec une autre municipalité pour réaliser des économies d’échelle dans l’administration. La solution idéale, on va travailler pour la trouver, mais on ne l’a pas encore trouvée, explique-t-il.

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Le projet rejeté par la CPTAQ consistait à retirer 33 hectares de la zone agricole, soit 47 terrains de football, pour y réaliser un développement résidentiel de 308 logements. La moitié de ces logements auraient été situés dans des immeubles de six ou huit unités.
PHOTO : RADIO-CANADA
La solution de remplacement à l’étalement urbain, c’est la densification, ou l’agrandissement par en dedans, en quelque sorte. À ce sujet, Crabtree a déjà agi en bâtissant des immeubles multilogements de quatre étages, parfois à la place de maisons unifamiliales.
On sait que la municipalité de Crabtree a fait des grands efforts et on la félicite, reconnaît le directeur du service Aménagement et Environnement à la Fédération de l’Union des producteurs agricoles (UPA) de Lanaudière, Charles Bergeron, qui était dans la partie adverse lors des audiences devant la CPTAQ.
Selon l’UPA, il faudra construire plus de ces immeubles, même en milieu rural. Si on veut cesser l’étalement urbain, je pense qu’on n’aura pas le choix, dit M. Bergeron.

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Crabtree a bâti des immeubles multilogements comme celui-ci dans un effort de densification.
PHOTO : RADIO-CANADA / MARTIN CLOUTIER
Oui, il y a certains secteurs où on est ouverts, mais on ne veut pas défigurer la municipalité, répond le maire de Crabtree. Il y a une limite à la densification.
C’est plus l’acceptabilité sociale qui est difficile à avoir. Personne ne veut un développement de multilogements à côté de sa maison.
Une citation deMario Lasalle, maire de Crabtree
Sur les 600 employés de l’usine Kruger, à peine 150 habitent à Crabtree, selon la municipalité. Une partie des autres seraient intéressés à vivre plus près de leur travail, mais c’est impossible.
Un commentaire de la CPTAQ qui ne passe pas
Le maire de Crabtree et ses collègues de la MRC de Joliette ne digèrent pas les propos tenus par la CPTAQ dans sa décision. Ils ne sont pas tendres, dit Mario Lasalle, qui pense que ce n’était pas leur mandat de faire les commentaires suivants :
La Commission constate que la MRC de Joliette ne semble pas avoir de vision à court, moyen ou long terme concernant le développement résidentiel à l’échelle de son territoire. […] En tout respect, ce n’est pas à la zone agricole de faire les frais d’un manque de planification ou de leadership.
Une citation deExtrait de la décision de la Commission de protection du territoire agricole, en février 2023
C’est une très bonne décision, croit pour sa part l’UPA, car les terres agricoles convoitées par Crabtree sont de bonnes terres, cultivées et cultivables. Les représentants des agriculteurs conviennent toutefois que la fiscalité municipale, c’est un problème, et que celle-ci est mal foutue.
Si toutes les orientations ciblent la planification du territoire sur la base de la MRC, mais que la fiscalité se fait municipalité par municipalité, assurément, il va y avoir un problème.
Une citation deCharles Bergeron, directeur du service Aménagement et Environnement à la Fédération UPA de Lanaudière
Un programme de compensation pour les municipalités qui ne se développent plus
Dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), dont ne fait pas partie Crabtree, il existe depuis 2018 le Programme de compensation aux municipalités rurales, qui permet de soutenir 19 municipalités composées à plus de 80 % de terres agricoles, qui sont limitées dans leur développement au sein du périmètre urbain. Elles reçoivent une compensation financière des autres villes pour les revenus qu’elles auraient obtenus si elles avaient continué à augmenter leur croissance foncière.
Ce programme contribue non seulement à freiner l’empiètement en zone agricole, mais aussi à maintenir un taux de taxation convenable dans les municipalités concernées et à maintenir leur attractivité, dit la CMM. Il a été reconduit avec le soutien du gouvernement du Québec jusqu’en 2025, mais son avenir est incertain pour la suite.
Pas de mur à mur partout au Québec, assure le ministre
Interrogé dans le cadre de la préparation de cet article, le ministre de l’Agriculture du Québec, André Lamontagne, rappelle aux municipalités que la réforme de 2021 est aussi venue renforcer l’obligation de la CPTAQ de prendre en compte les particularités régionales dans ses décisions.

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André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.
PHOTO : RADIO-CANADA / LA SEMAINE VERTE
Ce ne sont pas nécessairement des décisions mur à mur qu’on a, à la grandeur du Québec, dit-il, tout en assurant que son gouvernement, depuis qu’il est au pouvoir, souhaite mettre en exergue cette possibilité-là.
On peut avoir une surchauffe de l’immobilier dans le coin de Sainte-Julie [Montérégie], mais on ne peut pas nécessairement avoir la même chose, à une autre place, dans le fin fond de la Gaspésie, rappelle le ministre.
Autoriser certaines choses à Sainte-Julie, ça peut juste exacerber le problème, tandis que peut-être, d’avoir plus d’écoute pour un projet ailleurs, ça peut faire en sorte que ça peut être bon pour le milieu, et que ça ne vient pas déstabiliser tout l’écosystème.
Une citation deAndré Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
Le gouvernement Legault souhaite changer la Loi sur la protection du territoire agricole, vieille de 45 ans, pour qu’elle soit plus souple pour les municipalités.
On ne vise pas à diminuer le territoire agricole, mais à l’adapter, résume une source qui a participé à la préparation de ce grand chantier. Elle cite les besoins de construire des logements, des écoles ou des garderies qui se heurtent parfois aux exigences de la CPTAQ.
D’un côté, on veut protéger nos meilleures terres, et d’un autre côté, on veut dynamiser notre territoire, explique cette source. En entrevue avec Beauce Média, en mai 2022, le premier ministre François Legault avait déclaré : La priorité pour moi, c’est l’économie et l’acceptabilité des citoyens, et pas seulement de la CPTAQ.
Il y a encore un travail à faire pour ne pas considérer la densité, même légère, comme un défigurement indésirable. Aussi pour faire accepter la réalité que le zonage agricole n’est protégé que par les limites qu’on s’impose.