Quand l’autocar ne revient pas
PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE
Au cours des dernières années, l’achalandage a diminué sur plusieurs lignes, qui se retrouvent moins bien desservies qu’auparavant.
Résidante de Saint-Georges, en Beauce, Amélie Carrier est atteinte d’une atrophie du nerf optique qui réduit sa vision de loin. Pour son travail de réviseure et d’auteure, elle utilise une télévisionneuse qui grossit les caractères. « Mais pour me déplacer dehors, j’ai une canne blanche, donc je n’ai jamais pris mon permis de conduire. Je ne pense pas qu’ils m’auraient acceptée », dit-elle à la blague.
Publié à 5h00
Ariane Krol La Presse
Depuis que le circuit d’autocar Saint-Georges–Québec a disparu, le 31 mars dernier, elle a moins le cœur à en rire.
« Ça me pèse plus de pas pouvoir conduire », dit celle qui utilisait ce service deux ou trois fois par mois, souvent pour attraper l’autocar vers Montréal. Reste le covoiturage, dont les horaires ne fonctionnent pas toujours.
PHOTO FOURNIE PAR AMÉLIE CARRIER
Amélie Carrier
Quand t’es rendue, à l’âge de 32 ans, à demander à tes parents de t’amener à Québec… Des fois, j’ai l’impression que je perds des acquis que j’avais réussi à gagner.
Amélie Carrier
Lorsqu’Autobus Breton a annoncé l’arrêt de son service interurbain pour la première fois, en 2018, Mme Carrier a lancé une pétition qui a recueilli près de 900 signatures et plusieurs témoignages d’usagers, dont des personnes âgées, des malades et des travailleurs immigrants. Un programme de soutien financé par Québec et les MRC a alors permis de maintenir le service, mais à la fin de 2022, ça ne suffisait plus. Et la nouvelle pétition lancée par Mme Carrier, qui a pourtant récolté plus de 1500 signatures, n’y a rien changé. Le transporteur beauceron a mis fin à ce service qui « n’arrivait plus à s’auto-financer », a-t-il indiqué sur sa page Facebook au printemps.
PHOTO FOURNIE PAR AMÉLIE CARRIER
Amélie Carrier en 2018, après que sa première pétition a contribué à maintenir la liaison Saint-Georges–Québec.
Moins de service
Si aucune autre liaison n’a disparu après Saint-Georges–Québec, plusieurs sont moins desservies qu’avant. Bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles, tous le constatent.
« On a commencé à perdre beaucoup de services depuis la pandémie, et ça ne revient pas », dénonce Sarah V. Doyon, directrice générale de Trajectoire Québec, une association qui milite pour le développement du transport collectif.
À 95 %, les lignes sont reprises. Par contre, pour les fréquences, il y en a moins qu’en 2019.
Luc Lafrance, PDG de la Fédération des transporteurs par autobus
L’achalandage a diminué entre Québec et Montréal et « aussi sur les autres lignes, soit vers l’Abitibi, la Côte-Nord, le Lac-Saint-Jean, la Gaspésie », peut-être en raison du télétravail et des réunions en ligne, avance le président-directeur général de la Fédération des transporteurs par autobus, Luc Lafrance.
À la Commission des transports du Québec (CTQ), le tribunal administratif où les transporteurs doivent soumettre leurs changements d’horaires et de trajets, on le remarque aussi.
Certains ont « diminué le nombre de départs par jour et d’autres desservent certains points moins souvent », observe Me Marie-Andrée Gagnon-Cloutier, conseillère juridique à la CTQ. « Ou, dans de petits villages où moins de gens embarquaient, ils demandent des modifications de permis pour pouvoir ne plus passer là. On voit toutes sortes de modifications […] pour justement essayer de rattraper leur manque à gagner. »
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
La difficulté de se déplacer entre les régions préoccupe les membres de l’Association des transports collectifs ruraux du Québec.
Des trajets qui ne s’arriment pas
Le transport interurbain est pourtant « un besoin partout », souligne le président de l’Association des transports collectifs ruraux du Québec (ATCRQ), André Lavoie. Ses membres sont des MRC qui offrent du transport collectif local, mais la difficulté de se déplacer entre les régions les préoccupe.
« C’est pour ça qu’on parle de systèmes de transport : tout ça serait supposé être interrelié. Ce n’est pas nécessairement interrelié », déplore M. Lavoie.
D’après moi, partir de Matane pour te rendre à Gatineau, t’es mieux de te traîner une tente !
André Lavoie, président de l’ATCRQ
Nous avons fait le test sur le site d’Orléans Express, qui dessert ces deux villes. Le trajet n’était « plus disponible » pour la journée recherchée, indiquait la page des résultats. Un trajet Matane-Gatineau avec Orléans Express était toutefois offert sur le site de vente de billets Busbud. La durée était de 25 h 40 min, avec un arrêt de 11 heures à Montréal. Il n’y avait pas de suggestion de terrain de camping, mais ça pourrait servir, car comme le soulignent des transporteurs sur leurs sites, « certaines gares sont fermées la nuit ».
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE
Les transporteurs, qui sont des entreprises privées, n’ont aucune obligation de s’entendre entre eux pour arrimer leurs services.
Certains déplacements en autocar sont vraiment beaucoup plus longs qu’en voiture, voire impossibles à réaliser dans la journée.
Les horaires des transporteurs étant approuvés par la CTQ, celle-ci peut s’opposer à des demandes de modifications qui empireraient la situation, en rallongeant un transfert de 24 heures, par exemple. « C’est sûr que ça ne peut pas passer comme une lettre à la poste parce que ça soulève des questions pour les usagers », indique la secrétaire de la Commission, Me Hélène Chouinard.
Les transporteurs, qui sont des entreprises privées, n’ont toutefois aucune obligation de s’entendre entre eux pour arrimer leurs services. Certains trajets combinant plusieurs transporteurs infligent donc de lourds délais aux passagers.
« Finalement, on se rend compte que même entre Montréal et Québec, l’offre qu’on a, ce n’est pas glorieux. Et c’est encore moins bon sur les lignes moins payantes. Il faut vraiment repenser la totalité du modèle », plaide la DG de Trajectoire Québec.