Accueil mitigé de la piétonnisation de la Plaza St-Hubert
Jessica Nadeau
Le Devoir « Jusqu’à maintenant, ça va bien. Mais c’est sûr que le sujet de la piétonnisation, ça peut être un sujet polarisant », admet Mike Parente, président de la Société de développement commercial de la Plaza St-Hubert, estimant qu’il est un peu tôt pour faire un bilan. Photo: Adil Boukind
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Deux semaines après le début de la première piétonnisation estivale de la Plaza St-Hubert, les commerçants réservent un accueil mitigé à la mesure, qui entraîne son lot de passants, mais pas nécessairement plus de clients.
« Tamales, empanadas, venez goûter ! » lance Hugo Saldona, tentant d’attirer les rares passants dans son petit kiosque, installé devant la foire alimentaire latina sur la Plaza St-Hubert. « Ça commence bien, il y a plus de clients qui voient notre commerce », s’emballe le propriétaire du restaurant Las Trajineras. Certains jours sont plus tranquilles, constate-t-il toutefois. C’était le cas mardi après-midi, lors du passage du Devoir.
Devant son commerce de livres et d’objets usagés, un vieil homme dort sur une chaise en bois. Une femme fait semblant de s’intéresser à des gilets pour hommes sur un présentoir avant d’en glisser un dans son sac, sans que personne y prête la moindre attention. Des gens à pied, à vélo, à trottinette passent devant les robes de bal scintillantes et les commerces de valises, les bijouteries et une parfumerie. D’autres luttent contre l’humidité pesante en faisant une pause dans les placotoirs ou sur une terrasse. Un mélange hétéroclite rassemblé sous le signe de la lenteur.
Photo: Adil Boukind Le DevoirHugo Saldona et sa partenaire d’affaires Estefania Antonio Vildeda devant leur restaurant Las Trajineras, sur la rue Saint-Hubert« Le fait qu’il n’y ait plus de voitures, c’est vraiment bien, les enfants peuvent jouer », affirme Bhagya Ramachandra, qui relaxe sur un banc couvert pendant que son fils de sept ans s’amuse près d’un jeu de marelle peint au sol.
« Je vis ici. Je trouve ça vraiment génial, la liberté de mouvement, dit Sandy Perron. Mais je n’ai pas d’auto, alors je suis un peu biaisé », ajoute-t-il, sourire en coin.
Lise Perreault, qui fait son pèlerinage sur la Plaza chaque fois qu’elle est en visite à Montréal, apprécie, elle aussi, la nouvelle « tranquillité » des lieux sans voitures.
Mais tous ne sont pas de cet avis. Traversant la rue lentement, appuyée sur son chariot d’emplettes qui ne contient que sa sacoche, Françoise Synette, qui habite dans le quartier depuis 50 ans et qui dit être « connue comme Barabas dans la Passion », ne cache pas son désaccord avec la piétonnisation de la rue. « C’est stupide ! lance-t-elle. Ce sont les voitures qui nous font vivre ! Et regardez, là. C’est quoi, ça ? Des vélos, des planches à roulettes. C’est pas ça qui va faire vivre les commerçants. J’aime pas ça. J’aimais mieux comme d’habitude. »
Photo: Adil Boukind Le DevoirUne cycliste avec son enfant sur la Plaza St-HubertPlus de passants, mais moins de clients
Du côté des commerçants, l’accueil est plutôt mitigé, a pu constater Le Devoir. « Pour moi, ce n’est pas bon, mais ce n’est pas grave, il faut penser aux voisins aussi. Les terrasses et les cafés, ça marche mieux. Et c’est quand même beau, ce qu’ils ont fait avec les bancs et tout », soutient Steve Akoyan, propriétaire de la boutique 1re Avenue Joseph Ribkoff, qui vend des vêtements de soirée, avec un étage réservé aux robes « haut de gamme ».
« Mes bons clients ne viennent pas, parce qu’ils ne peuvent pas venir en voiture. Mais ils vont s’habituer et comprendre qu’il y a du stationnement pas trop loin et qu’ils ne sont pas obligés de venir en métro. » Pour tenter d’attirer les passants, l’homme d’affaires a adapté son offre en affichant plusieurs articles mis en solde à moins de 100 $. « Quand tu te promènes, tu ne vas pas acheter une robe à 500 $, tu vas acheter un petit quelque chose à 50 $. »
Il n’est pas le seul commerçant à avoir perdu une partie de sa clientèle régulière depuis l’interdiction de circuler en voiture sur la rue St-Hubert entre Bellechasse et Jean-Talon. « Pour nous, qui sommes une boutique haut de gamme, la piétonnisation, ce n’est pas bon, affirme Mario Mitri, de la Maison Mitri. Nos clients, ils n’aiment pas marcher. Mais on vient de nous donner une carte qui indique l’emplacement des stationnements à proximité. Ça devrait vraiment aider. » Cela étant dit, il reste, lui aussi, bon joueur. Il apprécie les installations « artistiques » de la rue et reconnaît que « c’est bien pour le marketing » d’être vu par autant de passants.
À la boutique La Fiesta Idéal, qui vend des couronnes de ballons et différents accessoires pour des fêtes et des mariages, Karina Monchez constate qu’il y a beaucoup de passants, mais peu d’acheteurs. « Les installations, c’est très joli, mais ce n’est pas avec ça qu’on va avoir plus de clients ou plus de ventes », soupire-t-elle. Les ventes, dit-elle, ont chuté. « Nos clients réguliers, ils viennent de l’extérieur, en voiture. Quand tu commandes une guirlande de cinq pieds, c’est encombrant, tu ne te promènes pas avec ça en métro ou à bicyclette », illustre-t-elle.
Mary Antoinette Abi Hanna, elle, voit une plus grande affluence dans sa boutique de vêtements bon marché. « J’aime ça, il y a plus de clients, dit-elle. Certains achètent, d’autres ne font que regarder, mais c’est positif. »
Un coup de main pour les restaurateurs
Au bar de quartier Le Vestiaire, le serveur Samuel Pouliot se réjouit aussi de la piétonnisation, qui a « amené beaucoup de monde », particulièrement lors de l’événement Plaza Pallooza, qui lançait la fermeture de la rue par une braderie du 4 au 7 juillet. « Ça aide un peu, je pense. On ouvre plus tôt depuis la piétonnisation, affirme le serveur tout en préparant les couverts. Je ne suis pas prêt à dire que ça fait une énorme différence, mais j’en ai remarqué une quand même. »
Un peu plus loin, à La Cale – pub zéro déchet, le chef copropriétaire Gabriel Monzerol dit aimer aussi l’expérience. « On adore l’idée, on est fans depuis le début », dit-il. La gérante, Léa-Maude Labrecque, constate une différence dans la clientèle de jour surtout. « Le soir, ce sont surtout des réguliers, mais le jour, la clientèle est plus diversifiée. Il y a plus d’achalandage et plus de touristes. »
Dans les bureaux de la Société de développement commercial de la Plaza St-Hubert, le président, Mike Parente, estime qu’il est un peu tôt pour faire un bilan, mais assure que l’expérience est positive.
« Jusqu’à maintenant, ça va bien, se réjouit-il. Mais c’est sûr que le sujet de la piétonnisation, ça peut être un sujet polarisant. On a des commerçants qui trippent et qui sont très satisfaits. On a ceux qui sont moins contents, qui disent que ça n’apporte rien. Et on a ceux qui ne sont pas contents, mais qui disent, néanmoins, qu’on a fait un excellent travail parce que la rue est super belle », résume-t-il.
Il est en mesure de constater les positions de tout un chacun chaque fois qu’il sort de son bureau pour marcher sur la Plaza. « Dans une journée, je peux me faire envoyer promener souvent, comme je peux me faire féliciter très, très souvent. Ça dépend des humeurs », conclut-il en riant.