Résumé
La Presse à Washington La justice sous Trump
PHOTO ROBERTO SCHMIDT, AGENCE FRANCE-PRESSE
Le président des États-Unis, Donald Trump, durant son allocution au département de la Justice, vendredi à Washington
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Yves Boisvert La Presse
(Washington) Les États-Unis ont franchi un pas de plus vers l’installation d’un premier régime autoritaire, vendredi.
Publié à 6 h 00
En apparence, ce discours de Donald Trump n’était qu’une version de la même complainte entendue depuis deux ans : la Justice a été instrumentalisée contre lui pour des raisons politiques, la famille Biden est « criminelle », ce que font les médias est « illégal », etc.
Sauf qu’en ce vendredi 14 mars, Trump n’était pas dans un rassemblement de campagne électorale. Il était au département de la Justice, un lieu censé cultiver une indépendance certaine vis-à-vis du pouvoir politique.
Pour Donald Trump, c’était une forme de triomphe : il marchait dans les bureaux où des procureurs ont rédigé des actes d’accusation contre lui. Le bureau du procureur indépendant Jack Smith, qui faisait partie du Département, a mené deux dossiers contre Trump : l’affaire des documents secrets qu’il refusait de rendre et l’affaire de la tentative d’empêcher la certification électorale de 2020. Aucun de ces procès n’a eu lieu.
Et maintenant, ses propres avocats, Pam Bondi et Emil Bove, dirigent le Département. Trump a dû savourer ce moment.
Le message livré aux procureurs devant lui était clair : il faut enquêter sur les médias qui agissent « illégalement », les procureurs ayant mené des dossiers contre lui, et ses adversaires politiques.
Tout cela en disant tourner la page sur des années de « politisation » de la justice et de « corruption ».
Son discours était en fait l’exemple parfait d’un projet de politisation et de corruption de la justice.
Parlant des grands réseaux de télé et des grands journaux, il ne s’est pas contenté de dire qu’ils sont biaisés. Leur couverture est « illégale », a-t-il dit.
« Il faut que ça arrête, je ne crois pas que ce soit légal, ça doit être illégal. Ils sont le bras du Parti démocrate. […] J’ose espérer que vous pourrez y faire voir, a-t-il dit aux procureurs. Les gens qui nous ont fait ça devraient aller en prison. Ils sont corrompus et ce qu’ils font est illégal. Nous allons exposer les criminels et ce sera légendaire. »
Ceux qui ne prenaient pas au sérieux ses menaces de vengeance devraient se raviser.
Quelques jours avant ce discours, une procureure d’expérience a été congédiée pour avoir refusé de recommander une grâce pour Mel Gibson. L’acteur a été condamné en 2011 pour des actes de violence conjugale et ne peut posséder d’arme à feu depuis. Une loi restreint la possession d’arme pour les personnes condamnées pour ce type de crime spécifiquement.
Après avoir signé ce refus, la procureure, Elizabeth Oyer, a reçu un appel d’un haut responsable du Département, qui lui a dit que Gibson est proche du président. Elle n’a pas changé sa décision, conforme aux pratiques habituelles. Elle a été congédiée.
En entrevue dans divers médias, elle décrit une atmosphère de terreur au département de la Justice. Beaucoup de gens ont démissionné, ont été rétrogradés ou carrément mis à la porte pour avoir fait leur travail avec intégrité. On connaît le cas de la procureure de New York qui refusait de signer le retrait d’accusations contre le maire de la ville. Une autre procureure, elle, refusait de signer un mandat pour saisir un compte de banque d’une société ayant reçu une subvention pour la transition énergétique : la preuve était insuffisante. Elle a été écartée.
PHOTO JABIN BOTSFORD, ARCHIVES THE WASHINGTON POST
La procureure Elizabeth Oyer, en 2023
Ça, c’est pour les cas connus. Il y a tout ce qui n’est pas rendu public. Et tout ce qui se prépare. La commande de Trump est claire et elle est relayée avec force : c’est l’heure de la vengeance.
« La seule réponse acceptée en ce moment est “oui” », a dit Oyer.
Autre passage extraordinaire du discours de Trump vendredi : les médias ne devraient pas avoir le droit de critiquer les juges. Cela les intimide et les influence.
Il parlait des critiques contre la juge Aileen Cannon, qui a décrété la fin de la procédure contre Trump dans l’affaire des documents secrets parce que le procureur spécial avait été nommé illégalement, d’après elle. Trump, qui l’a nommée, en a fait un long éloge avant de dire qu’elle avait été très courageuse. Ce devrait être illégal de critiquer les juges, a-t-il dit. L’idée n’est pas nouvelle : le juge Clarence Thomas tient ce discours depuis deux ans. Le doyen de la Cour suprême a de bonnes raisons personnelles : les médias ont exposé l’implication politique de sa femme Ginni dans la contestation de l’élection de Joe Biden et la pluie de cadeaux dont le couple a été l’objet de la part d’un ultrariche.
Mais évidemment, aucun média n’est allé aussi loin dans ses critiques d’un juge que Trump lui-même. Tous ceux qui lui ont donné tort dans les nombreux procès de toutes sortes qu’il a perdus ont été inondés de ses insultes : corrompu, tricheur, malhonnête, etc. À tel point qu’il a fallu lui interdire d’intimider le personnel de la cour sur les réseaux sociaux.
Ceux qui reçoivent des menaces de mort en ce moment sont les juges rendant des ordonnances contre les décrets de Trump ou les actions illégales du groupe d’Elon Musk. Musk utilise X pour les intimider et demander leur destitution.
Un élu républicain du Tennessee a publié une liste de ces juges avec leur photo.
On devine l’effet toxique multiplicateur des réseaux sociaux. La peur est bien réelle dans la magistrature, et c’est de là qu’elle vient.
La situation est telle que l’Association du Barreau américain est intervenue le 3 mars sur un ton très grave pour dénoncer l’atmosphère d’intimidation qui pèse sur le système judiciaire, tant contre les juges que contre les avocats.
« Nous ne pouvons tolérer un système où le gouvernement tente de retirer des juges simplement parce qu’ils prennent des décisions qui leur déplaisent. Considérant l’augmentation du nombre de menaces physiques contre les juges, nous considérons cela comme des efforts clairs d’intimidation des juges et de nos tribunaux. »
Trump, par ailleurs, a signé deux décrets visant nommément deux grands cabinets ayant le tort de représenter Hillary Clinton et Joe Biden, ainsi que des avocats ayant travaillé pour le procureur indépendant Jack Smith.
Un régime autoritaire a besoin pour fonctionner d’inspirer la crainte aux contradicteurs.
Ce discours de Trump du 14 mars marque le début d’une nouvelle étape : les chiens sont lâchés contre les « ennemis ».
Résumé
Département de la Justice Trump dénonce les médias et ses opposants dans un discours
PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, AGENCE FRANCE-PRESSE
Le président américain Donald Trump s’adresse aux médias avant son départ pour Mar-a-Lago
(Washington) Le président américain Donald Trump a déversé vendredi sa rancune sur les médias critiques et ses adversaires politiques dans un discours depuis le département de la Justice, largement refaçonné depuis son retour à la Maison-Blanche.
Publié hier à 18 h 53
Selim SAHEB ETTABA Agence France-Presse
Pendant toute la campagne électorale, Donald Trump a assimilé les poursuites pénales à son encontre à une persécution ourdie par le département de la Justice de son prédécesseur Joe Biden.
« Ils ont espionné ma campagne, lancé une multitude de canulars et d’opérations de désinformation », a-t-il déclaré, remontant dans ses griefs à sa première campagne victorieuse, en 2016.
Ils ont violé la loi à une échelle colossale, persécuté ma famille, mon équipe et mes partisans, perquisitionné ma résidence de Mar-a-Lago, et fait tout ce qui était en leur pouvoir pour m’empêcher de devenir président des États-Unis.
Donald Trump, président des États-Unis
Il faisait référence aux poursuites fédérales qui le visaient pour rétention de documents classifiés après son départ de la Maison-Blanche en 2021.
Donald Trump a rendu un hommage appuyé à la juge Aileen Cannon, qui a annulé cette procédure pour vice de forme, saluant son imperméabilité aux accusations la visant dans les médias.
Il s’est alors lancé dans une virulente diatribe contre les médias qui le critiquent, leur reprochant de faire pression « illégalement » sur les juges.
« C’est une véritable ingérence, à mon avis, et ça devrait être illégal, c’est probablement illégal », s’est exclamé le milliardaire républicain, qui a fait de la dénonciation des médias sa marque de fabrique depuis son irruption dans l’arène politique.
« Département déstabilisé »
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche le 20 janvier, de nombreux responsables du département de la Justice et du FBI, la police fédérale, ont été remerciés, poussés au départ, ou ont démissionné.
Mais il est allé un peu plus loin vendredi dans son discours. « Nous allons chasser du gouvernement les agents véreux et les forces corrompues », a-t-il assuré, se promettant de « révéler au grand jour » leurs agissements, sans autre précision.
Fin janvier, le procureur général de la Justice par intérim a limogé plusieurs responsables ayant travaillé avec le procureur spécial Jack Smith, qui avait instruit les deux procédures pénales fédérales contre Donald Trump, abandonnées à la suite de son élection.
Il avait estimé « ne pas pouvoir se fier à eux pour appliquer loyalement le programme du président à cause de leur rôle significatif dans les poursuites » contre lui.
Parmi les premiers actes de Donald Trump, la clémence présidentielle accordée à la totalité des assaillants du Capitole le 6 janvier 2021 a particulièrement ébranlé l’institution. Il a ainsi rayé d’un trait de feutre la plus vaste enquête jamais menée par le département de la Justice.
Il a également placé trois de ses avocats personnels à des positions stratégiques du département et nommé à sa tête Pam Bondi, qui a participé à sa défense lors de son procès en destitution au Sénat en 2020.
Les discours présidentiels au département de la Justice sont rares en raison de la relative indépendance nécessaire à ce département pour garantir l’État de droit face au pouvoir exécutif. Le dernier remontait au second mandat de Barack Obama, le 17 janvier 2014.
Parmi les invités au discours de Donald Trump figurait une mère dont le fils adolescent a péri du trafic de fentanyl – un opioïde cause d’une grave crise sanitaire aux États-Unis – et celle d’une jeune femme tuée par un immigré en situation irrégulière.
Dans une lettre ouverte à Pam Bondi le 3 mars, les membres démocrates de la commission judiciaire du Sénat ont déploré cette focalisation sur l’immigration clandestine, se disant « alarmés par les récents changements qui ont significativement déstabilisé le département de la Justice et rendu l’Amérique moins sûre ».
Ils ont jugé « irresponsable et dangereux de détourner des responsables du département de la Justice et du FBI de leurs missions premières et de leurs domaines d’expertise pour appuyer les projets d’expulsions massives de l’administration Trump ».
Résumé
La paralysie de l’État fédéral évitée Le Sénat américain adopte un budget provisoire
PHOTO ALEX WROBLEWSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
Sans adoption d’un texte avant minuit dans la nuit de vendredi à samedi, la paralysie budgétaire serait décrétée.
(Washington) Les États-Unis ont évité vendredi de justesse la paralysie de l’administration fédérale, grâce aux voix concédées à contrecœur par quelques sénateurs démocrates à un texte budgétaire voulu par Donald Trump.
Mis à jour hier à 18 h 39
Robin LEGRAND Agence France-Presse
Le budget provisoire, adopté quelques heures avant le délai limite de minuit, étend le financement de l’État fédéral jusqu’en septembre. Il comprend de nouvelles réductions des dépenses de l’État fédéral, déjà ébranlé par les nombreux limogeages de fonctionnaires entrepris par le milliardaire républicain et son allié Elon Musk.
Malgré leur majorité de 53 sénateurs sur 100, les républicains avaient besoin de l’appui de huit membres de l’opposition pour obtenir la majorité nécessaire.
Si les sénateurs démocrates étaient unanimes pour dénoncer le contenu de cette proposition, dix d’entre eux ont finalement cédé pour permettre le passage du texte, grâce au revirement de leur chef, Chuck Schumer.
PHOTO ELIZABETH FRANTZ, ARCHIVES REUTERS
Le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer
Le sénateur new-yorkais avait affirmé mercredi que son camp était uni contre le texte. Mais il a finalement annoncé le lendemain qu’il voterait, à titre personnel, pour permettre son adoption, en raison de son inquiétude face aux conséquences d’une telle paralysie.
L’éviter représentait « le meilleur moyen de minimiser les dommages que l’administration Trump fera subir au peuple américain », a-t-il déclaré vendredi dans un communiqué avant le vote.
« Tronçonneuse »
Car une paralysie des services fédéraux aurait signifié le chômage technique pour des centaines de milliers de fonctionnaires, un trafic aérien perturbé, ou encore des retards à prévoir dans le versement de certaines aides alimentaires.
Une situation impopulaire aux États-Unis, que démocrates comme républicains – dans le meilleur des mondes – souhaitent éviter.
« Aussi mauvais soit le texte de loi », une paralysie des services fédéraux donnerait à Donald Trump et à Elon Musk « les clés de la ville, de l’État et du pays », a ajouté Chuck Schumer, qui s’inquiète des prérogatives supplémentaires conférées à la Maison-Blanche en situation de « shutdown ».
Pour le sénateur démocrate Dick Durbin, « au moment où Donald Trump et Elon Musk y vont à la tronçonneuse dans les effectifs de l’État fédéral et gèlent de manière illégale les dépenses fédérales, la dernière chose dont nous avons besoin, c’est de plonger notre pays davantage dans le chaos et la tourmente ». Il a donc aussi décidé de permettre l’adoption du texte républicain.
Mais à gauche, les appels à laisser cette paralysie survenir s’étaient multipliés ces derniers jours, dans le but de montrer une véritable opposition à Donald Trump et à son programme.
« Faux choix »
Le choix de Chuck Schumer a ainsi provoqué de vifs remous au sein de son parti, et une centaine de manifestants ont protesté vendredi matin devant son domicile new-yorkais, selon une journaliste de l’AFP.
Nancy Pelosi, l’ex-présidente démocrate de la Chambre des représentants, a résumé vendredi le dilemme auquel son parti était confronté.
L’élue californienne a dénoncé dans un communiqué « un faux choix » entre une paralysie de l’État ou un « chèque en blanc » à l’administration Trump, qui constitue « une attaque dévastatrice contre le bien-être des familles américaines ».
Les démocrates craignent en effet qu’un financement temporaire, plutôt que pour l’année fiscale entière, ne dilue le pouvoir du Congrès dans l’élaboration du budget, car il donnerait plus de liberté à l’exécutif pour choisir quelles dépenses réellement effectuer.
L’élue démocrate Rosa DeLauro a aussi qualifié le texte proposé par les républicains de « chèque en blanc à Elon Musk », tandis que le sénateur Mark Warner, réputé pour ses positions modérées, avait annoncé qu’il voterait « non », se disant contre cette « idée de donner les clés à Trump et Musk sans contrainte ».
Donald Trump avait en revanche adressé ses félicitations à Chuck Schumer « pour avoir fait ce qu’il fallait, en prenant son courage à deux mains ».
Jeudi, il avait rejeté la responsabilité d’un potentiel shutdown sur les démocrates, affirmant qu’en cas de paralysie, ce serait « de leur faute ».