Résumé
Le monde est face à un président hors la loi
PHOTO BEN CURTIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
La Maison-Blanche, jeudi
[
Yves Boisvert La Presse
](La Presse | Yves Boisvert)
Six semaines plus tard, il faut réaliser qu’on n’est pas devant un « style » de président différent. C’est la nature même de la présidence qui est en cause. Et donc de ce que représentent les États-Unis dans le monde.
Publié à 5 h 00

Ce n’est pas l’idéologie de Donald Trump qui le distingue de tous ceux qui l’ont précédé depuis 250 ans.
C’est la nature même de la présidence américaine qui a changé profondément. J’ai parlé de l’installation progressive d’une présidence criminelle. Chaque jour nous en rapproche.
Le monde est face à une présidence hors la loi. Donald Trump ne se sent lié ni par les lois internes ni, encore moins, par les engagements internationaux de son pays.
L’affaire des droits de douane montre qu’il ne respecte pas sa propre signature. Mais c’est bien plus qu’une guerre commerciale que veut amorcer Donald Trump. C’est l’intégrité même du territoire canadien qui est remise en question.
Après le Telegraph de Londres la semaine dernière, le New York Times faisait état vendredi de menaces du président américain au sujet de la frontière canado-américaine. Dans ses conversations privées avec Justin Trudeau, Trump remet en question la validité du traité de 1908 fixant la frontière entre les deux pays.
C’est tout à fait cohérent avec son projet d’annexion du Canada comme « 51e État » par la force économique.
S’il y a un principe sacré en droit international, c’est bien celui de l’intégrité territoriale. L’autre étant celui de l’égalité juridique entre États souverains. Si deux pays se disputent sur une frontière, ils peuvent en référer à la Cour internationale de justice.
Ou faire comme la Russie, violer les traités, faire fi du droit international et s’emparer de territoires par la force.
Si l’Europe a connu sa plus longue période de paix depuis 1945, c’est parce que l’on a respecté un certain État de droit. Ce qui inclut l’interdiction d’agrandir son territoire par la force. Mais aussi la menace d’utilisation de la force.
Les guerres commencent souvent par la remise en question des frontières. C’est un prétexte classique : un État veut redresser une injustice passée et reconquiert ce qu’on lui a « volé ».
Incroyablement, Donald Trump est en train de bâtir le récit des États-Unis comme « victimes » du Canada.
Incroyablement, puisque sur 8891 km, cette frontière est la plus longue et la plus paisible entre États.
Nos grands-pères se sont battus côte à côte sur les plages de Normandie. Des soldats canadiens sont morts pour avoir participé à la coalition de l’OTAN contre les talibans après l’attaque du 11 septembre 2001 sur les États-Unis.
Et ce pays ne serait plus notre allié tout d’un coup ? Pour un oui ou pour un non ?
« La seule clarté, c’est qu’il [Trump] a dit à de multiples reprises que son but, c’est de faire s’écrouler l’économie canadienne pour ensuite pouvoir parler d’annexion », a dit Justin Trudeau après son discours historique de mardi.
Ce n’est plus seulement une alliance qui meurt. C’est un ennemi qui naît.
Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier un pays hostile, menaçant votre territoire.
L’Europe est en train d’absorber la même tragique réalité.
À l’interne, Donald Trump fait fi aussi des lois et de la Constitution. Quand les juges accordent des injonctions, il les attaque. Elon Musk commence à faire campagne pour la destitution de juges qui ont rendu des décisions lui déplaisant.
L’atmosphère de menace est tellement lourde que le Barreau américain a produit une lettre pour dénoncer l’attaque tous azimuts contre l’État de droit, des juges aux procureurs.
Trump a installé ses avocats personnels aux postes-clés du département de la Justice. La procureure générale, Pam Bondi, a dit qu’elle allait débusquer les procureurs qui « détestent » Donald Trump et les remplacer. Comprendre : ceux ayant participé aux dossiers impliquant Trump ou les insurgés du 6 janvier 2021. Déjà, des procureurs d’expérience ont été démis, d’autres forcés de démissionner. Les « juges-avocats-généraux » de l’armée, de la marine et des forces de l’air ont été limogés sans raison. Ce sont eux qui valident la légalité des actions de l’armée et entreprennent des poursuites contre les militaires délinquants.
Cette mainmise partisane de la Maison-Blanche sur ceux qui appliquent les lois est sans précédent également.
Pendant ce temps, le président est en train de créer une « réserve de cryptomonnaies » aux États-Unis, au grand plaisir des bonzes de cette industrie très souvent louche, parfois criminelle. Tiens donc, des enquêtes fédérales ont été abandonnées. Comme par hasard, Trump lui-même a mis en marché une cryptomonnaie.
Les menaces contre les critiques internes sont intenses. Elon Musk, avec son réseau social et ses sbires, n’est pas seulement le grand financier de Trump. Il est son troll en chef. Gare à qui s’écarte de la ligne du parti.
Musk en est rendu à engueuler les membres du Cabinet. Alors que son « département de l’efficacité » multiplie les gaffes, publie des informations mensongères sur la « fraude » et les « économies ». Ils n’ont aucune connaissance du travail des employés de l’État et irritent sérieusement les ministres de Trump.
Et au fait, dans quel cadre légal agit-il ?
Pas grave, il a la permission de Donald Trump. Et Trump écrit ses propres lois.
On n’a encore rien vu, mesdames et messieurs. Parce qu’on n’a jamais vu une présidence aussi ouvertement hors la loi.