Regard sur l’immobilier Un autre cas de « Pas dans ma cour »
PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE
Le projet de 111 logements devait être construit tout juste à côté de la gare du REM de Sunnybrooke, actuellement en construction.
Un jeudi sur deux, La Presse propose un retour sur ce qui retient l’attention dans le domaine de l’immobilier résidentiel et commercial
Publié à 0h43 Mis à jour à 6h00
André Dubuc La Presse
La crise du logement n’émeut guère certains citoyens de Pierrefonds qui ont réussi à bloquer l’ajout de 111 logements tout juste à côté de la gare du REM de Sunnybrooke dans un secteur dévitalisé du boulevard Gouin.
« Le projet est complètement abandonné », dit Maxime Laporte, vice-président Développement immobilier chez Quorum, visiblement déçu. Quelque chose qu’on propose qui est en adhésion parfaite avec le PMAD [Plan métropolitain d’aménagement et de développement], la densification, les aires TOD [pôle de transport collectif], la mixité et qui se fait dire non. C’est un exemple assez marquant du phénomène « pas dans ma cour », déplore le promoteur.
Le lot voisin de la gare va ainsi continuer à être occupé par un vieux garage et une petite bâtisse industrielle inoccupée.
ILLUSTRATION FOURNIE PAR QUORUM
Le projet de 111 logements
« S’il y a un PMAD et des villes qui favorisent [la densité aux abords des gares de train], pourquoi revient-il à un promoteur privé, pour un garage complètement désuet, d’aller se battre pendant deux ans pour proposer ce que le gouvernement, le PMAD et tous les organismes proposent ? », se demande-t-il, découragé.
L’échec vient surtout mettre un doute sur la capacité du pouvoir municipal sur l’île de Montréal à autoriser des projets d’habitation dont la société a pourtant un urgent besoin, selon un courtier qui se spécialise dans la vente de terrains résidentiels.
« Pour un client, j’ai regardé un terrain dans le même quartier pour y construire 200 logements. Quand il a vu que le projet de Quorum sautait à la dernière minute après deux ans d’efforts et de dépenses, mon client a préféré regarder à Laval et sur la Rive-Sud. Montréal, pour lui, c’est trop de problèmes, témoigne Daniel Losier, courtier chez Century 21.
L’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro appuyait pourtant le projet de six étages du promoteur Quorum, en vain.
Les gens ne veulent pas de densité à proximité de chez eux. Oubliez ça. Ce n’est pas juste à Pierrefonds, c’est partout pareil. Les gens n’en veulent tout simplement pas.
Stéphane Quesnel, chef de division urbanisme, permis et inspection à l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro
Le fonctionnaire parle en connaissance de cause. Depuis 10 ans, selon ses dires, les trois quarts des projets qui requièrent des modifications au zonage (par l’entremise d’un PPCMOI – projets particuliers de construction, de modification ou d’occupation d’un immeuble) ont été bloqués par les citoyens de Pierrefonds-Roxboro. « C’est un mal généralisé dans bien des municipalités », constate-t-il.
En réaction au taux de rejet élevé, l’arrondissement a changé sa procédure pour consulter en amont la population avant même l’adoption du projet par les élus du conseil. C’est la nouvelle procédure qui a été suivie dans le cas du projet du 9720-9730 boulevard Gouin Ouest, à l’intersection des boulevards Gouin Ouest et Sunnybrooke.
« Avec une campagne de publipostages, on a rejoint 605 foyers qui ont eu accès à la documentation relative au projet regroupée en 4 thèmes détaillés par 17 questions et ouvert aux commentaires des citoyens pendant 30 jours, détaille M. Quesnel.
« De manière générale, 75 % de la population, ce n’est pas des farces, trouvait le projet très bien ou bien, souligne le chef de division. On avait une bonne adhésion. »
Fort de cet appui, le conseil entérine un premier projet de règlement en août 2022, puis un deuxième, le mois suivant. La consultation publique, qui suit, attire une poignée de citoyens, autre signe encourageant.
Arrive le jour du registre. À la surprise générale, 26 citoyens signent le registre demandant la tenue d’un référendum sur le changement de zonage, soit un nombre suffisant pour forcer la tenue d’un scrutin. Le Conseil prend acte des résultats et stoppe net le processus d’adoption du projet.
« Je ne connais pas de conseil qui va en référendum sur un PPCMOI. C’est le même coût que des élections générales », explique M. Quesnel.
« Encore une passe d’argent vite faite par Pierrefonds, qui essaie de tout maximiser dans un espace réduit, a écrit sur la plateforme collaborative de l’arrondissement la citoyenne Suzanna Peterson.
« Six étages, c’est beaucoup trop haut ; deux étages au maximum. Absolument aucune intimité pour les propriétaires sur la rue Andras [face au projet de l’autre côté de la voie ferrée] ! Nous n’avons pas besoin de plus de 111 voitures », écrit-elle.
M. Quesnel en tire la leçon que les villes sont mal équipées pour transposer dans la réalité les orientations gouvernementales en matière de densité en raison du processus d’approbation référendaire. Il fonde de l’espoir sur la loi 16 en vigueur depuis le 2 juillet qui vient restreindre ce pouvoir.
En attendant de connaître ses effets concrets, les automobilistes de Pierrefonds pourront toujours entrer leur voiture au garage de la gare Sunnybrooke du REM.