Résumé
Une épicerie de la haute-ville hantée par une maraîchère de Lotbinière
Par Pascale Lévesque, Le Soleil
2 mars 2025 à 04h00
Léa Charest, la maraîchère de la Ferme hantée de Lotbinière installe chaque semaine son petit marché dans le supermarché IGA Deschênes du quartier Montcalm à Québec. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Depuis cinq ans, chaque semaine, beau temps, mauvais temps, Léa Charest quitte sa ferme de Lotbinière et parcourt 75 kilomètres jusqu’au IGA Deschênes du quartier Montcalm à Québec pour y vendre ses pousses et ses légumes. Un marché dans le supermarché qui a conquis les citadins en quête croissante de produits frais et locaux.
Dimanche soir. Le camion de Léa est stationné devant l’entrée de l’épicerie du chemin Sainte-Foy. À l’intérieur, entre les citrons et les cantaloups, elle a installé ses caisses de radis, de mélanges de laitues, de carottes, d’oignons et de fines herbes. Les pousses de tournesol sont en abondance, tout comme ses marinades maisons et sa fameuse choucroute.
«On fait ça depuis 2020, on n’a jamais raté une seule semaine, et petit à petit, c’est devenu un happening!» lance l’agricultrice qui a grandi dans les rues de l’arrondissement avant d’être happée par la vocation maraîchère et de déménager en campagne.
Léa Charest la maraîchère de la Ferme Hantée de Lotbinière installe chaque semaine son petit marché dans le supermarché IGA Deschênes du quartier Montcalm à Québec. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Inspirée par les paniers
«Disons que j’ai été fortement inspirée par les paniers des Jardins Bios Campanipol de Sainte-Geneviève-de-Batiscan auxquels ma famille était abonnée, ce sont eux qui m’ont enseigné les rudiments du métier.»
Pour Léa, l’authenticité est au cœur du succès de son petit marché.
«Ça s’appelle la certification des mains gercées de terre, doublée de celle du vrai échange, dans le blanc des yeux», dit celle qui connait tous ses clients par leur nom. Des échanges qui, en prime, repoussent la solitude.
Frédéric Leblond est un fidèle du kiosque de la Ferme Hantée. Ce soir-là, il a fait expressément le détour pour venir chercher son mélange préféré de laitues et pousses préparé par la maraîchère Léa Charest. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Une routine bien rodée
La routine de la Ferme Hantée [Quel jeu de mot, quand même!] du rang Saint-Eustache, à Lotbinière en Chaudière-Appalaches, est bien rodée, mais aussi celle des habitués qui accourent pour remplir leur panier. Frédéric Leblond a fait un détour après une journée passée au Tournoi pee-wee, juste pour mettre la main sur son sac de laitues mixtes préférées.
«Je magasine ici parce que c’est un produit local, frais, pis y’a rien de mieux, insiste-t-il. C’est délicieux. C’est sain, c’est santé, et c’est surtout tellement bon que c’est ce qu’on sert quand on reçoit de la visite!»
Même chose pour Claude, un expat de France qui était las d’avoir principalement des carottes américaines à croquer en hiver. Avec Léa, il est sûr d’avoir du choix.
«Elles sont de super bonne qualité!» lâche-t-il en les mettant dans son chariot.
Claude, un expat français, est sans cesse en quête de fraîcheur dans ses emplettes. Pour lui la présence de la Ferme Hantée est une occasion de diversifier son panier. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Une relation commensale
Léa gère et note les ventes, alors que les transactions se font à la caisse du supermarché qui se prend une redevance de 20 % sur le prix en échange de l’espace et de l’accueil fourni.
«C’est une formule avantageuse, dit la fermière qui a déjà eu sa propre épicerie dans Limoilou. Pour nous, comme maraîcher, c’est assez simplifié. Et à ne pas sous-estimer: on a un toit qui nous protège des intempéries!» Tout comme de l’extrême chaleur en été.
C’est un vrai succès. Une bonne centaine d’affamés pragmatiques se massent au comptoir de la fermière qui gère l’affluence comme Pierre Houde qui commente un match de hockey.
La Ferme Hantée comme dans… la fermentée. La maraîchère Léa Charest offre aussi des produits de lactofermentation, notamment du kimchi et de la choucroute. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Chaque samedi et dimanche
Tellement que la Ferme Hantée… hante maintenant le IGA chaque jour de fin de semaine! Des clients peuvent même faire des commandes personnalisées qu’ils viennent chercher au IGA, qui rappelons-le, est une bannière du géant de l’alimentation canadien Sobeys.
Si le ballet est presque devenu banal après cinq ans de collaboration, l’idée de l’agricultrice dans laquelle l’épicière Sandra Deschênes a embarqué est spectaculairement inusitée. Voire révolutionnaire, parce que c’est à l’intérieur.
«C’est le père de Léa, Luc Martineau, qui m’a d’abord approchée. Je trouvais ça bien, je trouvais que c’était une bonne idée!» se souvient l’épicière qui en a fait une initiative personnelle.
M. Martineau, un ancien infirmier de 68 ans qui a fait carrière à l’Hôpital du Saint-Sacrement, se décrit comme un hippie en quête de projets de société. Il a embrassé sans hésiter celui de sa fille il y a plus de dix ans et, à le voir rayonner sur les 40 hectares de la ferme de Lotbinière où Le Soleil, l’a rencontré, on comprend qu’il ne l’a jamais regretté.
Située à Lotbinière et s’étendant sur une terre de plus de 40 acres, la Ferme Hantée fait pousser ses légumes et sa verdure dans les champs et en serre durant la belle saison. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Mais les défis sont là. Avec la faillite de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) en décembre dernier et la fermeture de plusieurs points de chute en ville, la collaboration de l’équipe Deschênes s’avère salutaire.
«Ce n’est pas évident pour les petits producteurs comme eux d’écouler leur marchandise et en même temps, c’est quasiment impossible de rentrer dans une épicerie comme fournisseur pour les fermes de cette taille,» argue Sandra Deschênes.
À Lotbinière, la production de légumes, fines herbes et pousses va bon train.
«On fait les sacs le vendredi et on les écoule durant la fin de semaine», indique Luc Martineau, qui profite de la visite pour parler des différentes innovations qui se sont ajoutées au fil des années.
Si les champs et les serres sont actifs en été, en hiver, la verdure se cultive dans plusieurs salles à température contrôlée.
À l’intérieur de la grande de la Ferme Hantée à Lotbinière, on trouve une salle de lavage où on y nettoie les légumes, et plusieurs pièces à température contrôlée consacrées à la culture de verdure, fines herbes et pousses. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
N’empêche que jamais la Ferme Hantée n’aurait le volume suffisant pour alimenter le marché IGA Deschênes si elle devait le faire au-delà de son initiative des week-ends.
«Le point positif, c’est que ça augmente l’offre locale en magasin, plaide l’épicière. Non seulement c’est attendu des clients, mais c’est bien perçu. C’est bon pour l’image.»
Une amie champignonnières se joint à la fête
Dimanche dernier, Iris Chabout, de la champignonnière urbaine Ô Champignon située dans le quartier Saint-Sauveur, accompagnait d’ailleurs Léa en bonifiant son offre avec des barquettes de pleurotes joufflus.
Sandra Deschênes a eu de la vision en prenant l’initiative personnelle d’accueillir une maraîchère dans son épicerie. Les grandes chaînes d’épicerie ont souvent essuyé des critiques pour la piètre mise en valeur des produits d’ici dans leurs étals.
Organisé deux fois par semaine, le samedi et dimanche à la fin de la journée, le petit marché de la Ferme Hantée attire une centaine de clients par occasion. (Pascale Lévesque/Pascale Lévesque)
Si elles ont promptement réagi à la demande locavore provoquée par la pandémie et, plus récemment, par l’hostilité des États-Unis à l’égard du Canada. Ce concept de marché dans le supermarché pourrait devenir salutaire dans facilité d’accès à l’achat local et incidemment, la quête québécoise et canadienne vers une plus grande autonomie alimentaire.
Est-ce que d’autres épiciers pourraient adopter l’idée? Léa Charest croit que oui.
«Tout ce que ça prend c’est un maraîcher à son affaire, un lieu, idéalement avec du stationnement, un toit… et des clients!» conclut-elle.