Ville de Québec espaces piétonniers

Résumé

La rue Saint-Jean est-elle sécuritaire?

Par Pascale Lévesque, Le Soleil

8 mai 2025 à 04h00|

Mis à jour le8 mai 2025 à 06h11

Xavier Bernier-Prévost, directeur général de la Société de développement commercial du Vieux-Québec considère que les mesures de protections des piétons du Vieux-Québec sont insuffisantes. (Pascale Lévesque/Le Soleil)

À l’approche de la saison où ses principales artères touristiques deviennent piétonnes, Québec a-t-elle pris tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité de ses citoyens et visiteurs?


En avril, ne te découvre pas d’un fil; en mai… ferme la rue et laisse les piétons en profiter!

C’est exactement la scène qui s’est déroulée le week-end dernier sur la rue Saint-Jean, dans le Vieux-Québec, marquant le coup d’envoi de la piétonnisation estivale — d’abord les fins de semaine, puis bientôt toute la semaine. Et l’initiative ne se limite pas à ce secteur: Grande Allée, le quartier Saint-Roch et la rue Saint-Paul se joindront éventuellement à la fête.



Mais si les rues fermées aux véhicules laissent présager un été piéton bien vivant, bien gourmand et surtout bien festif, des questions de sécurité persistent et s’intensifient.

Et les tragédies causées par des attaques aux véhicules bélier ne font rien pour apaiser ces interrogations.

  • Quatre victimes à Osaka, au Japon la semaine dernière.
  • Onze morts à Vancouver à la veille du scrutin fédéral.
  • Quatre jours plus tôt, près d’une école primaire de Jinhua, en Chine, un chauffard fauchait à mort neuf élèves et 5 adultes.
  • Quatorze victimes également dans la foule rassemblée pour le Nouvel An, dans le Vieux Carré de La-Nouvelle-Orléans.
  • À Magdebourg, en Allemagne, six personnes tuées quand une BMW a foncé dans le marché de Noël le 21 décembre 2024.
  • Et 38 innocents furent assassinés à Zhuhai, en Chine, le 11 novembre dernier quand un ex-mari, insatisfait du partage du patrimoine lors de son divorce, a conduit sa voiture sur une piste d’exercice similaire à celle des Plaines d’Abraham.

Cet inquiétant recensement ne fait état que des attaques au véhicule-bélier ayant tuées plus de cinq personnes dans les… six derniers mois.

Plus près de chez nous, rappelons les tragédies de Saint-Jean-sur-Richelieu (deux militaires happés, dont un à mort, par un chauffard islamiste radicalisé), de Toronto en 2018 (dix morts motivés par la misogynie), de London en 2021 (quatre décès attribuées à l’islamophobie) sans oublier les deux enfants fauchés devant une garderie de Laval et les quatre décès à Amqui, deux drames survenus en 2023.

Des commerçants inquiets

«Ça se rapproche. C’est vraiment ce que j’ai ressenti en voyant ce qui s’est passé à Vancouver, surtout que j’étais là deux jours avant», exprime Xavier Bernier-Prévost.

Le directeur général de la Société de développement commercial (SDC) du Vieux-Québec — qui avait déjà confié ses inquiétudes au Soleil en juillet dernier — renchérit quant à la timidité des mesures mises en place à Québec pour prévenir ce genre de drame, une insécurité ravivée par l’actualité de 2025 partagée par les membres de la SDC qu’il représente.

«On s’entend que la rue Saint-Jean n’est aucunement protégée», lance Patrice Auclair, directeur de Boulay Bistro Boréal et partenaire du Bedeau, une adresse gastronomique située à quelques pas sur la même artère.

«Il y a bien des petites barrières de métal qui bloquent, disons, grosso modo, mais un véhicule pourrait facilement les éviter en montant sur le trottoir et faucher tout le monde, c’est certain. Même la barrière elle-même: un VUS passerait au travers.»

Saint-Jean, la grande oubliée

Jean-François Barré, propriétaire du Pub St-Alexandre et du Murphy’s, presse la Ville d’agir. «Si elle veut vraiment embellir la rue Saint-Jean, qu’elle remplace ses blocs de granit laids, ses lampadaires désuets et qu’elle répare les pavés qui font ressembler la rue à un champ de bataille. Ça fait des années qu’on demande des bollards pour protéger les piétons, mais on nous disait que c’était trop cher ou mal adapté… alors qu’ils sont maintenant installés ailleurs. Saint-Jean est l’artère piétonne la plus fréquentée, mais elle reste la grande oubliée. Il faut un plan concret, et vite.»



Une simple barrière de métal amovible manuellement protège l’artère piétonne à ses extrémités. (Frédéric Matte/Le Soleil)

Les touristes remarquent les lacunes

Si Québec a la chance d’être visitée par de nombreux étrangers, ces derniers sont les premiers à remarquer le manque de protection dont les piétons souffrent chez nous.

«Ce sont surtout les touristes, qui ont déjà vu ou vécu ce genre de drame ailleurs dans le monde, qui nous en parlent. C’est rare, mais c’est arrivé. Nous, on a toujours un peu le sentiment que ça se passe ailleurs qu’à Québec. D’habitude, on n’est pas pire… mais on ne sait jamais»

— Patrice Auclair, directeur de Boulay Bistro Boréal

Pour Xavier Bernier-Prévost, chaque événement comme ça rend la menace plus tangible, plus réelle.

«Si des gens capables de poser ce genre de gestes existent à Vancouver, à Toronto, à Amqui… il y en a sûrement ici aussi », estime-t-il.

Un phénomène malheureusement récurrent

Bref, ce n’est pas un phénomène passager. Il y a même une page Wikipédia qui recense à ce type de drame: des attaques au véhicule-bélier sont répertoriées depuis les années 1930. Elles frappent partout dans le monde et ont en commun de pouvoir survenir n’importe où, pour toutes sortes de motifs ou parfois sans motif clair.



Ces drames rappellent au directeur de la SDC du Vieux Québec que nul endroit n’est protégé à 100 %.

«Québec n’est pas à l’abri. On a eu l’attaque au sabre dans le Vieux-Québec, l’attentat à la mosquée… On ne peut plus se dire que ça n’arrive qu’ailleurs, ajoute-t-il. Plus ce genre d’événement là arrive, plus ça peut donner des idées à certains», s’inquiète Xavier Bernier-Prévost.

Des mesures inutiles, des réponses qui tardent

L’été dernier, Le Soleil avait montré les photos des barrières qui ceinturaient la rue Saint-Jean piétonne à Eric Buchlin, analyste en sécurité et ancien membre du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale française.

Sa réflexion avait été sans équivoque. «Ça ne sert à rien ce qu’ils ont mis là, constatait-il en pointant du doigt l’important retard de Québec par rapport aux meilleures pratiques européennes et américaines. Un véhicule qui déciderait de foncer dans la foule pourrait le faire aisément. C’est préoccupant. On a pourtant eu la preuve que c’est possible avec ce qui s’est passé à Nice.».

Interpellée à ce sujet, au surlendemain des événements de Vancouver, la ville de Québec a finalement répondu à quelques questions du Soleil, via courriel, huit jours plus tard.

François Moisan, directeur des relations publiques à la Ville de Québec, assure que le nombre d’effectifs déployés par les partenaires de la Ville est suffisant pour garantir la sécurité lors d’événements comme les fermetures de rue.

«Plusieurs policiers sont sur le terrain pour faciliter la circulation et maintenir l’ordre. Nous travaillons en collaboration avec le Service de police, le Service de protection contre l’incendie, les services ambulanciers et d’autres partenaires afin de maximiser l’efficacité des interventions en cas de besoin.»

— François Moisan, directeur des relations publiques à la Ville de Québec

Il ajoute que la Ville s’inspire des méthodes internationales pour garantir des standards de sécurité élevés.

«Nous gérons des centaines d’événements chaque année, ce qui nous a permis de développer une expertise, même si le risque zéro n’existe pas. Nous mettons en place des plans d’urgence pour prévoir différents scénarios».

Mystérieux projet pilote

«Avec la Ville, une rencontre est prévue début juin pour faire le point sur la saison estivale, indique Xavier Bernier-Prévost. Mes collègues d’autres SDC sont déjà préoccupés. On reste inquiets, mais c’est clair qu’on s’attend à une vigilance renforcée du SPVQ cette année. Là, on est rendus à l’étape où la Ville doit nous présenter son plan pour sécuriser la rue piétonne. Est-ce qu’on parle de bollards rétractables, de dispositifs de protection ou d’autre chose? C’est ce qu’on veut clarifier.»



La Ville de Québec vient d’ailleurs de conclure un contrat pour l’acquisition de barrières antibélier au coût de 109 000 $.

Elles s’ajouteront à l’arsenal de sécurité de la ville et du SPVQ qui, à l’approche du sommet du G7 au printemps 2018, avait fait l’achat de herses mobiles anti-véhicule-bélier auprès de la firme israélienne Mifram Security dans un contrat de gré à gré pour la somme de 34 354 $. Des barrières qui n’ont jamais été déployées depuis le G7, selon les informations recueillies par Le Soleil.

«Le projet pilote qui sera mené sur la rue Saint-Jean à l’été 2025 nous permettra d’évaluer l’efficacité d’un nouvel équipement dans le contexte de Québec et de déterminer s’il serait pertinent de l’adopter à plus grande échelle», explique François Moisan, par courriel.

Parle-t-il de ces herses anti-véhicule-bélier? Au moment d’écrire ces lignes, le porte-parole de la Ville n’avait pas répondu à la question.

Des herses mobiles anti-véhicule-bélier on déjà servi à la ville lors de sommets internationaux. (Erick Labbé/Archives Le Soleil)

Un été compliqué pour les commerces

Jeudi matin, la Ville convie les médias à un point de presse concernant les mesures de sécurisation des déplacements dans le Vieux-Québec–Basse-Ville. Ses représentants assurent que ça n’a rien à voir avec la sécurisation des piétons. Mais certains diront que la question est prioritaire et sont impatients de les entendre sur ce sujet.

Car d’autres aspects interpellent la SDC du Vieux-Québec.

La saison estivale s’annonce plus corsée pour ses membres. «Habituellement, la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) exige que les terrasses même temporaires soient délimitées par une clôture, explique le directeur général SDC du Vieux-Québec. Pendant la pandémie, il y avait une tolérance à Québec. Mais cette année, l’exigence est revenue.»

Un irritant qui s’ajoute à un lot de démarches toujours plus complexes selon lui, et qui amène des enjeux de sécurité supplémentaires. Mise en contexte bureaucratique. Pour obtenir un permis d’alcool sur une terrasse temporaire installée sur rue piétonne, il faut d’abord l’autorisation de la Ville, puis faire une demande à la RACJ.

Certaines exceptions existent selon les villes, notamment dans les secteurs patrimoniaux, où les démarches se corsent. Toute demande de certificat d’autorisation pour un café-terrasse situé dans un site classé, déclaré ou dans une aire de protection passe par la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec (CUCQ).

«Aucun guide n’est fourni pour savoir à quoi s’attendre précisément: il faut soumettre une demande, puis attendre une acceptation… ou un refus. C’est un peu tannant», lâche M. Bernier-Prévost qui rappelle que l’apparence et la qualité de ces aménagements importent aussi.

Quant à l’aménagement standard, sur le site de la Ville, les instructions sont par contre claires. Peu importe la taille ou l’emplacement de la terrasse - qu’elle s’étende dans la rue ou qu’elle se résume à quelques tables collées à la façade — depuis 2022, un corridor de 1,75 mètre doit toujours rester libre sur le trottoir pour le passage des piétons.

Dans la rue, un espace suffisant pour permettre le passage et la manœuvre des véhicules d’urgence doit être laissé libre. Enfin, il est clos au moyen d’une clôture, d’une corde, d’un garde-corps, d’un muret, d’une haie ou de bacs à fleurs amovibles d’une hauteur maximale de 1,2 m.

Le mobilier urbain de la Ville en piètre état

Bref, après une longue promenade dans le Vieux-Québec, Le Soleil a pu constater que la Ville était rigoureuse dans l’application de cette réglementation. En revanche, pour les obligations de respect des normes patrimoniales, Xavier Bernier-Prévost remarque que l’aménagement municipal peut parfois laisser sceptique.

Poteaux qui flanchent, poubelles qui débordent et pavé dépressif font partie du décor habituel. Reste que c’est le soutien de la Ville à l’harmonie de l’artère commerciale que la SDC revendique en priorité.

«Il y a eu des accidents, des clients et serveurs qui sont fait frapper, ajoute Patrice Auclair, directeur de Boulay Bistro Boréal. Malheureusement, par exemple, même si les gens ne peuvent pas rouler à vélo et que même si c’est bien identifié sur les panneaux, ils le font pareil».



Ce lampadaire rue Saint-Jean cante vers la droite. Un exemple du mobilier urbain qui a besoin d’une mise à jour rue Saint-Jean selon le directeur de la SDC. (Pascale Lévesque/Le Soleil)

Rififi entre un rouliplanchiste et un touriste

Le directeur général de la SDC du Vieux-Québec acquiesce. «T’as des skateurs, des cyclistes, des touristes un peu confus qui circulent tous sur le trottoir… Ça crée des situations dangereuses pour les clients sur les terrasses et pour les serveurs avec leurs plateaux. Il y a déjà eu des cas où un skateur a foncé dans un client, ça a dégénéré, et il s’est ramassé des coups de skateboard. Imagine!»

Il propose d’ailleurs, pour régler le problème de planches à roulettes, trottinettes, vélos qui louvoie entre les convives et piétons, que le SPVQ mette davantage à profit ses cadets pour gérer ces situations de manque de civisme. Quoique, à bien y penser, peut-être qu’un peu de vouvoiement pourrait tout régler? Qui sait?