L’été devait incarner la relance dans l’industrie québécoise des effets visuels après les grèves qui ont paralysé Hollywood. Un changement fiscal soudain décrété par Québec a eu l’effet inverse. Les mois de vaches maigres qui se prolongent placent de plus en plus de travailleurs au pied du mur.
Résumé
L’industrie des effets visuels au ralenti Du jamais-vu chez les studios québécois
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE
L’industrie québécoise des effets visuels est frappée de plein fouet par l’impact des grèves à Hollywood et le resserrement d’un crédit d’impôt au Québec.
L’été devait incarner la relance dans l’industrie québécoise des effets visuels après les grèves qui ont paralysé Hollywood. Un changement fiscal soudain décrété par Québec a eu l’effet inverse. Les mois de vaches maigres qui se prolongent placent de plus en plus de travailleurs au pied du mur.
Publié à 2h12 Mis à jour à 5h00
Julien Arsenault La Presse
« Je suis maman monoparentale de trois enfants et là, il faut que je pense à changer de domaine, laisse tomber Meggie Cabral. J’arrive à la fin de mon chômage au mois d’août et je ne peux pas me trouver un emploi. »
L’incapacité à se trouver du boulot, c’est du jamais-vu pour cette gestionnaire de projet qui compte 15 années d’expérience dans le secteur – où la demande a toujours été au rendez-vous. Plusieurs autres travailleurs qui se sont confiés à La Presse se trouvent dans la même situation et anticipent des choix déchirants à venir.
C’est une sorte de tempête parfaite qui déferle sur l’industrie québécoise.
D’une part, les conflits entre les grands studios hollywoodiens et les acteurs ainsi que les scénaristes l’an dernier ont retardé les tournages de séries et de longs métrages, ce qui a fait plonger le volume de travail chez les studios québécois, qui ont multiplié les mises à pied. D’autre part, le gouvernement Legault a plafonné le crédit d’impôt de l’industrie, une mesure annoncée à l’occasion du budget de mars dernier.
PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE
Sans travail depuis plusieurs mois, Meggie Cabral doit envisager de quitter l’industrie des effets visuels pour se trouver un gagne-pain.
« C’était le pire timing qu’il pouvait y avoir, laisse tomber Mme Cabral. On n’a jamais eu le temps de se remettre des grèves. »
Moins généreux
Le changement en question concerne le crédit d’impôt pour des services de production cinématographique (CSPC). Le volet qui fait monter l’industrie aux barricades : désormais, c’est 65 % de la valeur d’un contrat qui est considéré comme une dépense admissible au CSPC, alors qu’il n’y avait pas de plafond auparavant. Ce changement est entré en vigueur le 31 mai dernier.
En vertu des changements, Québec calcule que le taux effectif total de son crédit d’impôt – en tenant compte du soutien fédéral – est passé de 42,7 % à 32,8 %. Il demeure légèrement supérieur à ce qui est offert par l’Ontario (32,5 %), selon les calculs gouvernementaux.
L’industrie rétorque que ce resserrement rend le Québec moins concurrentiel vis-à-vis de la France, du Royaume-Uni et de l’Australie, notamment, où de généreux incitatifs fiscaux sont aussi offerts. Les studios québécois ne remettent pas en question la générosité du CSPC. L’an dernier, cette mesure a coûté près de 340 millions au Trésor québécois, selon le ministère québécois des Finances.
En Ontario, l’impact budgétaire était d’environ 70 millions – presque cinq fois moins élevé – au cours de l’année financière ayant pris fin le 31 mars dernier.
Conscients du contexte budgétaire au Québec, les studios québécois auraient néanmoins voulu avoir le temps de tourner la page sur l’impact des grèves en Californie. On demandait le report du plafond des dépenses salariales au 1er janvier 2025. Ils ne s’opposent pas à des changements au crédit d’impôt, mais ils auraient souhaité s’asseoir avec le gouvernement Legault pour déterminer de quelle façon il pourrait réaliser des économies sans faire avorter la reprise dans le secteur des effets visuels. Jusqu’à présent, le gouvernement Legault garde le cap.
« On dirait que le gouvernement s’est fié aux chiffres d’il y a deux ans sans tenir compte de ce qui était arrivé avec les deux grèves, lance Yann Laliberté. L’industrie n’est plus ce qu’elle était. La situation est vraiment différente. »
Après un congé forcé d’environ cinq mois, ce travailleur de 48 ans a décroché un contrat qui lui procure de la stabilité jusqu’en novembre prochain.
« C’est la première fois que j’ai été sur le chômage aussi longtemps [de décembre 2023 à juin 2024], dit M. Laliberté. Je n’avais pas travaillé du tout. J’ai l’impression que ce que j’ai appris depuis 20 ans ne me sert plus à rien du jour au lendemain. »
Forte contraction
La taille du secteur s’est rapidement rétrécie, d’après les données compilées par le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ). Des 8037 emplois en effets visuels en animation recensés en décembre 2022, il n’en restait que 4663 une année plus tard, un déclin de 42 %.
Cette contraction ne semble pas vouloir s’estomper. Depuis le début de l’année, des studios comme Technicolor, Double Negative et Rodeo FX ont effectué 325 licenciements, d’après les avis envoyés au ministère du Travail.
De quoi décourager Maya Brisebois, qui cherche du travail depuis le 22 décembre, date à laquelle son plus récent contrat s’est terminé.
« On n’a aucune idée de quand ça va repartir, confie-t-elle. Il faut que je regarde mes options. Je vais peut-être devoir changer de carrière. Ça me fait de la peine, mon métier, j’en mange. Je suis en recherche d’emploi tous les jours. C’est presque une job à temps plein. »
Meggie Cabral est dans une situation similaire. Celle-ci a également tenté de faire valoir son expérience de gestionnaire à l’extérieur du créneau des effets audiovisuels. En vain.
« La réalité, c’est que beaucoup de secteurs veulent quelqu’un qui a de l’expérience dans ce domaine, raconte Mme Cabral. Ça devient difficile de trouver du travail dans un autre domaine avec une échelle [salariale] similaire. Je postule chaque semaine. Les entrevues se font rares. »
Reste la possibilité de plier bagage pour aller travailler ailleurs dans le monde où il y a davantage de demande. Certains anciens collègues y pensent, affirme Maya Brisebois. Mais avec une famille, il est difficile d’envisager cette option, ajoute-t-elle. Sans changement, c’est le changement de carrière qui l’attend.
Un crédit plus généreux ailleurs
Si l’industrie des effets visuels a fait les frais d’un tour de vis, Québec s’était montré plus généreux à l’endroit des tournages étrangers. En matière de tournages étrangers, le taux de base du CSPC était plutôt passé à 25 %, une augmentation de cinq points de pourcentage. Le gouvernement Legault avait également relevé à 65 % le plafond des dépenses en matière de production cinématographique et télévisuelle québécoise. Ces deux mesures avaient reçu un accueil très favorable dans l’industrie.
En savoir plus
- 82 000 $
Salaire annuel moyen dans l’industrie des effets visuels
Source : Bureau du Cinéma et de la Télévision du Québec
1998
Création du crédit d’impôt pour des services de production cinématographique
Source : gouvernement du Québec