Santé actualités

Les urgences débordent. Les listes d’attente pour les opérations restent longues. C’est entendu, nos réformes ont été des échecs, les unes après les autres, et notre système de santé est pourri, miné par le privé.
Mais est-ce bien le cas ? Ou du moins, tient-on compte suffisamment de l’énorme pression sur le système qui découle de l’alourdissement en raison des patients vieillissants et des nouveaux soins qui ont explosé ces dernières années ?

Résumé

Non, notre système de santé n’est pas pourri

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québec a une proportion beaucoup plus importante d’employés du secteur public en santé qu’ailleurs au Canada, souligne notre chroniqueur.


Francis Vailles
Francis Vailles La Presse

Les urgences débordent. Les listes d’attente pour les opérations restent longues. C’est entendu, nos réformes ont été des échecs, les unes après les autres, et notre système de santé est pourri, miné par le privé.

Publié hier à 19h00

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Mais est-ce bien le cas ? Ou du moins, tient-on compte suffisamment de l’énorme pression sur le système qui découle de l’alourdissement en raison des patients vieillissants et des nouveaux soins qui ont explosé ces dernières années ?

Pour en avoir le cœur net, j’ai décortiqué les données historiques sur le personnel de la santé, entre autres. Et j’ai constaté que tout compte fait, les soins réclamés par les Québécois augmentent plus vite que le personnel mis à leur disposition. Ce phénomène coûteux lié au vieillissement relativise les ratés de notre système.

Voyons voir. Pour le réseau, un habitant aujourd’hui vaut l’équivalent de 1,3 habitant de l’année 2000, par exemple, vu ses besoins plus grands de soins dus à son âge moyen plus avancé. Ces calculs d’équivalence complexes ont été faits par la Chaire de recherche Jacques Parizeau en politiques économiques⁠1.

Globalement, on peut donc dire que la population, passée de 7,4 millions à 8,9 millions d’habitants depuis l’an 2000, vaut en réalité 11,8 millions d’habitants aujourd’hui, en « habitants-équivalents » de l’an 2000⁠. Il faut donc beaucoup plus de personnel par habitant aujourd’hui.

Les conséquences sont claires. Par exemple, le nombre d’infirmières du réseau public est passé de 96 000 en 2013 à presque 107 000 en 2022, selon les plus récentes données de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). Le ratio par 100 000 de population a donc grossi, passant de 1185 infirmières à 1233. En principe, ça devrait aller mieux.

Mais ce ratio de 1185 infirmières de 2013, il recule de 12 % aujourd’hui quand on tient compte de l’alourdissement, à 1038 par 100 000 « habitants-équivalents ».

Même constat pour les médecins. Le ratio pour 100 000 habitants-équivalents a reculé de 13 % depuis 2015, passant de 171 médecins à 149 aujourd’hui⁠2.

Le réseau ne s’arrête pas aux infirmières et aux médecins, me direz-vous. Or, justement, en élargissant l’analyse à l’ensemble du personnel travaillant en santé et en services sociaux – au privé comme au public –, on constate encore une fois que le ratio par habitant-équivalent a reculé depuis le sommet de 2013. Un graphique vaut mille mots.

Le vieillissement n’est pas le seul phénomène extérieur qui fait pression. Le volume de services s’est aussi considérablement élargi. Souvent, c’est le privé qui les assure, mais pas seulement. Et de toute façon, le public en subit les impacts, directement ou indirectement.

« Il n’y a absolument aucun doute que le système offre plus de services qu’auparavant, notamment en raison de la technologie », me dit l’ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette.

Des exemples ? Les services de physiothérapie se sont multipliés et le traitement des allergies s’est raffiné. Autres exemples : il y a 25 ans, on entendait peu parler d’apnée du sommeil, sans compter que l’imagerie médicale était beaucoup moins développée. Et que dire de la santé mentale !

Michèle Boisvert, experte des programmes d’assurance collective chez Mercer, en témoigne : non seulement le coût moyen des médicaments a explosé – qu’on pense à l’Ozempic à 5000 $ par année –, mais aussi l’étendue des services3.

Plus de gens utilisent les services des programmes d’assurance collective et ceux qui les utilisent le font plus souvent. Il y a aussi le comportement des assurés : les plus jeunes recourent davantage aux services paramédicaux que leurs prédécesseurs.

Michèle Boisvert, experte des programmes d’assurance collective chez Mercer

Autre phénomène : de nombreux employeurs, sensibles à la santé mentale, ont bonifié leur couverture, faisant parfois passer le plafond pour les remboursements de consultations de psychologues de 2000 à 5000 $. Le pari, c’est que la consultation en amont va faire diminuer les absences pour invalidité.

Et il y a, bien sûr, l’impression de gratuité des services, qui fait augmenter les volumes. « Il y a beaucoup d’incompréhension sur qui paie, un manque d’éducation. Beaucoup de gens se disent qu’ils vont maximiser leur utilisation des services offerts, par exemple pour la massothérapie, sans comprendre que ce sont eux qui paient au bout du compte », me dit Mme Boisvert.

Les données de l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) sont révélatrices. En moyenne, les 6,2 millions de Québécois couverts par une assurance ont réclamé 1035 $ en 2022, presque le double d’il y a 15 ans.

Certes, les médicaments accaparent environ la moitié de cette somme (581 $), mais les soins paramédicaux ont une croissance bien plus rapide.

De fait, la somme réclamée a presque atteint 1,6 milliard de dollars en 2022 pour les physiothérapeutes, psychologues et autres, si bien que la moyenne réclamée par assuré (255 $) est en hausse de 131 % depuis 15 ans, contre 74 % pour les médicaments.

Difficile d’attribuer ces facteurs au méchant secteur privé, par ailleurs. À ce sujet, les données de Statistique Canada sur le personnel de la santé et des services sociaux sont surprenantes.

D’abord, on y apprend que le Québec a une proportion beaucoup plus importante d’employés du secteur public en santé (3549 par 100 000 de population) qu’ailleurs au Canada (2949). Ici, je n’ai pas utilisé le ratio par habitant-équivalent.

Impossible d’expliquer rapidement l’écart de 20 % entre les deux solitudes. Oui, le Québec subit le vieillissement, mais le reste du Canada aussi.

Surtout, on constate que les salariés du public au Québec en santé et services sociaux ont récemment dépassé ceux du privé (auxquels j’ai ajouté les travailleurs autonomes aux fins de la comparaison), une première depuis 35 ans. À l’inverse, la tendance vers le privé s’accélère dans le reste du Canada.

Statistique Canada ratisse large pour ces emplois, faut-il préciser. Ils englobent toutes les catégories de soins (dentisterie, diététique, physiothérapie, soins domestiques, etc.) ou de milieux (public, privé, communautaires, autonomes)⁠4.

Qu’en conclure ? Que notre système de santé, on le lit souvent, a encore bien des problèmes d’innovation et d’efficacité (qu’on pense aux fax, entre autres), c’est clair. Que nos médecins occupent, encore, une trop grande part de la rémunération.

Mais on oublie de considérer l’énorme impact du vieillissement et des nouveaux soins, qui assombrissent le portrait et augmentent les coûts. Et que cette tendance n’est pas près de changer, à voir la courbe démographique, notamment.

Peut-on en tenir compte avant de qualifier notre système de médiocre ?

  1. Un grand merci à Pierre-Carl Michaud, de HEC Montréal, et à son équipe de la Chaire de recherche Jacques-Parizeau en politiques économiques pour ce calcul complexe de la population équivalente.

  2. Dans le cas des médecins, j’ai pu tenir compte du fait que nombre d’entre eux travaillent moins d’heures qu’il y a 10 ans, pour différentes raisons. J’ai calculé le nombre d’équivalents médecins à temps plein grâce aux données sur le sujet de l’ICIS sur la rémunération.

  3. Le traitement avec l’Ozempic est souvent couvert par les assurances collectives pour ceux qui ont des problèmes de diabète.

  4. Les employés du public représentent 59 % des employés du public et du privé, mais 52 % quand on ajoute au privé les travailleurs autonomes.