REM 2 (Est de Montréal) - Projet annulé

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Pourquoi le REM est plus qu’un moyen de transport en commun local

Et pourquoi le REM de l’Est aurait changé la face de Montréal — pour le mieux. Une analyse de notre collaborateur Taras Grescoe.

Environnement
Taras Grescoe
5 août 2023


Graham Hughes / La Presse Canadienne

Auteur de plusieurs livres, Taras Grescoe est un journaliste montréalais spécialisé en urbanisme et en transport urbain qui donne depuis une douzaine d’années des conférences sur la mobilité durable. Dans son infolettre Straphanger, il raconte ce qu’il observe de mieux et de pire en matière de transport urbain chez nous et lors de ses voyages autour du monde.

Après le récit de mon premier trajet sur le Réseau express métropolitain (REM), qui vient tout juste d’ouvrir ses portes à Montréal, j’aimerais aujourd’hui expliquer pourquoi ce nouveau métro léger automatisé est si important. Non seulement pour Montréal et sa banlieue, mais aussi pour le reste du Canada et — peut-être — pour les États-Unis. (Les premiers jours, il a malheureusement connu des interruptions de service, ce qui signifie que de nombreuses personnes ayant laissé leur voiture à la maison sont arrivées en retard au travail, à l’école ou à un rendez-vous. Pour une agence qui tente de convaincre les banlieusards d’opter pour les transports en commun, ce n’est pas le scénario idéal.)

J’ai quitté Vancouver pour m’installer à Montréal en 1997. Depuis mon arrivée, le métro de la ville, entièrement souterrain, coûteux à agrandir et datant des années 1960, a ajouté exactement trois nouvelles stations à son réseau, ce qui porte le total à 68. (Au cours de la même période, Shanghai a construit de toutes pièces un métro de 408 stations s’étalant sur 802 km, soit le plus vaste au monde.)

La ligne bleue, dernière des quatre lignes de Montréal à avoir été construite, sera bientôt prolongée jusqu’à l’extrémité est de la ville. Coût total de l’ajout de cinq stations : 6,9 milliards de dollars. Soit près de 1,4 milliard de dollars par station. Ce qui est semblable aux coûts (ridiculement élevés) nécessaires pour allonger une ligne de métro à New York (comme la phase 2 du Second Ave. Subway) ou à Toronto, où les 15,6 km de la ligne Ontario devraient coûter 19 milliards de dollars, et seront achevés — peut-être — d’ici 2031.


Carte : CDPQ Infra

Savez-vous combien va coûter la construction de l’ensemble du REM, avec 26 stations et 67 km de parcours ? La même chose que les cinq stations du prolongement de la ligne bleue : 6,9 milliards de dollars. Ce qui revient à 103 millions de dollars par kilomètre (et ce sont des dollars canadiens !), contre plus d’un milliard de dollars américains par kilomètre pour la ligne bleue et la ligne Ontario. En d’autres termes, le REM est une véritable aubaine, en particulier dans le monde hyperinflationniste de la construction de transports ferroviaires urbains en Amérique du Nord.

Pourquoi Montréal en obtient-elle autant pour son argent ? Parce que, curieusement, c’est un fonds de pension, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui est à l’origine de tout cela. La Caisse est l’énorme fonds d’investissement des pensions des employés du secteur public ; c’est la tirelire des employés de la Société des alcools du Québec, des fonctionnaires et des enseignants du secondaire, entre autres. (Avec le Régime de retraite des enseignants de l’Ontario, c’est l’un des plus grands régimes de retraite au monde ; en 2022, la Caisse gérait des actifs d’une valeur de 402 milliards de dollars.) Il se trouve qu’elle est indépendante du gouvernement du Québec et qu’elle n’est donc pas soumise aux cycles électoraux.

Autrement dit, sa filiale de construction d’infrastructures, CDPQ Infra, est capable de penser à long terme, de planifier des travaux en tenant compte de l’ensemble du réseau de transport et de réaliser des projets dans un délai raisonnable. Fait peu connu : la Caisse est le principal investisseur de la très appréciée ligne de métro Canada Line du SkyTrain de Vancouver, qui relie le centre-ville à l’aéroport international de cette ville.

Quand j’ai emprunté le REM cette semaine, j’ai été impressionné. Par sa vitesse, ses hauts viaducs, son fonctionnement sans conducteur et le design de ses stations : elles sont très modernes, un mélange de bois et de carrelage, avec beaucoup de fenêtres, ce qui apportera une lumière bienvenue lors des sombres journées d’hiver. Alors que la vitesse maximale du métro de Montréal est de 67 km/h, celle du REM est de 100 km/h. Cela signifie qu’il peut à la fois faire office de métro et de train de banlieue, desservant ainsi des stations éloignées plus efficacement.

Lorsque le REM a été annoncé, je voyais bien que le projet présentait quelques problèmes : une trop grande partie du tracé passait au milieu d’autoroutes, ce qui allait rendre ardue la construction d’aménagements axés sur les transports en commun à proximité des stations. Il y avait également trop de stationnements incitatifs à mon goût. Mais je sais à quel point il est difficile de faire construire une ligne ferroviaire, quelle qu’elle soit, sur ce continent dominé par la voiture, alors je me suis calmé sur les détails et, en tant que défenseur des transports en commun, j’ai fait la promotion de ce projet sur les médias sociaux.


Carte : REM

Puis vint le REM de l’Est. Ce prolongement aurait porté la longueur totale du réseau à 99 km. Il aurait desservi l’est et le nord de l’île de Montréal, y compris les quartiers à faible revenu de Saint-Michel et de Montréal-Nord, qui ont vraiment besoin d’être mieux reliés aux emplois et aux établissements d’enseignement du centre-ville. Le plan prévoyait une ligne surélevée, semblable à celles du réseau SkyTrain, à partir d’une nouvelle station au centre-ville, qui aurait été située entre les lignes de métro verte et orange existantes, sur le boulevard René-Lévesque.

Ce dernier est un hideux boulevard à huit voies, un corridor de bruit et de pollution de l’air. Le projet aurait permis de réduire de moitié le nombre de voies réservées aux voitures et de faire circuler des trains électriques sur des viaducs, sous lesquels les piétons auraient facilement pu passer. (Rien à voir avec les bruyantes voies surélevées centenaires de New York et de Chicago, contrairement à ce que prétendaient les opposants.) À Vancouver, des jardins communautaires ont été aménagés sous des viaducs similaires. En plus de servir de corridors pour la faune et les pollinisateurs, de tels espaces rendent la ville plus verte au lieu de la « déchirer en deux », comme le soutenaient les opposants au REM de l’Est — qui ont finalement tué le projet.

Ils affirmaient aussi qu’il serait horriblement bruyant. Ce à quoi j’ai envie de répondre : ressaisissez-vous et allez visiter des endroits dotés de systèmes semblables. Vous verrez qu’ils sont loin de l’être. Vous savez ce qui est vraiment bruyant ? Huit voies de voitures, de camions et de bus. C’est bien pire qu’un train électrique. Ou encore les trains de marchandises qui circulent sur un itinéraire que la Caisse a dit qu’elle utiliserait, de façon à ce qu’aucun des opposants au projet ne perde une minute de sommeil.


Carte : CDPQ Infra

Le REM de l’Est est malheureusement mort. Qui l’a tué ? Je déteste dire ça, mais c’est la mairesse Valérie Plante et Projet Montréal, un parti élu grâce à un programme protransit. Peut-être n’ont-ils jamais pardonné au REM d’avoir remplacé leur projet chouchou, la ligne rose, une nouvelle ligne de métro qui n’a jamais eu la moindre chance d’être construite, parce que creuser un tunnel souterrain en diagonale à travers l’île aurait coûté des dizaines et des dizaines de milliards de dollars. Mais Projet Montréal a cédé aux opposants et retiré son soutien au REM de l’Est, destiné à devenir une autre pièce à exposer dans le tentaculaire Musée nord-américain des lignes de transport en commun jamais construites.

Je m’en veux. J’aurais dû m’exprimer davantage lorsque les manifestants de l’est de Montréal empruntaient sans vergogne la rhétorique des manifestations des années 1960 contre les autoroutes pour s’assurer que le transport en commun ne s’approchait pas de leurs quartiers dépendants de l’automobile. Ils ont fait en sorte que des quartiers à faible revenu ne bénéficient pas d’un lien rapide vers les emplois du centre de la ville. Je me suis endormi au volant, je suppose (en fait, je tentais de respecter la date de tombée du livre sur lequel je travaillais).

Par peur du changement, des propriétaires égoïstes ont sabordé une ligne de transport en commun étonnamment abordable qui aurait desservi de nouveaux lotissements dans une zone qui en a bien besoin. Des lotissements où leurs enfants et petits-enfants auraient pu avoir l’espoir de s’offrir un jour une résidence à eux. Une crise nationale du logement est en cours, chers opposants, et sa résolution est bien plus importante que votre peur des inconvénients.

Le grand espoir de CDPQ Infra est qu’une fois que les gens auront eu l’occasion d’apprécier le REM, la filiale sera appelée à construire des systèmes similaires dans le monde entier. CDPQ Infra est déjà l’un des trois consortiums en lice pour le projet de train à haute fréquence prévu entre Windsor et Québec. (Si la Caisse remporte l’appel d’offres, le projet aura peut-être un peu plus de chances d’être réalisé de mon vivant, ou du moins de celui de mes enfants.) Le problème est que ce qui rend le Québec unique, le partenariat « public-public » entre le gouvernement et un fonds de pension géant, est regardé de travers dans la plupart des autres provinces canadiennes et pays. Tout comme le fait que la Caisse puisse bénéficier du REM pendant 99 ans avant qu’il ne revienne aux Québécois, alors que la norme dans d’autres pays est plus proche de 35 ans.

L’un des plaisirs de la visite du REM la semaine dernière a été de rencontrer le sympathique Marco Chitti, un expert en transport en commun qui donne des cours à McGill et à l’Université de Montréal. Originaire de Bologne, en Italie, il apporte une vision internationale et avisée au monde dysfonctionnel des transports en commun canadiens.

Impressionné par les stations, il a quand même été un peu sarcastique : « Elles sont agréables, de “classe mondiale”, comme vous dites ici. Très canadiennes et consensuelles. Et bien sûr, le REM est automatisé, à la fine pointe de la technologie, ce qui en fait l’un des systèmes les plus modernes en Amérique du Nord. » Mais il se demande si CDPQ Infra sera en mesure de construire des systèmes pareils au REM en dehors du contexte très particulier du Québec.

« En Italie, il serait illégal pour une entité comme la Caisse de posséder une infrastructure publique pendant 99 ans. La Caisse a essayé en Nouvelle-Zélande, et le gouvernement néo-zélandais lui a montré la porte. Je comprends pourquoi on peut le faire ici, parce qu’on peut prétendre qu’à long terme, ça va revenir dans les coffres des Québécois, ou au moins dans leur fonds de pension. C’est comme si on se payait soi-même, en transférant de l’argent de la poche du transport en commun à la poche du retraité. Au Canada, les gouvernements aiment cela, créer des fleurons de l’industrie. » Marco Chitti doute que d’autres États soient aussi enthousiastes à l’idée de jouer le jeu.

Nous verrons bien. Pour l’instant, je suis heureux de continuer à utiliser le REM. Je soupçonne également qu’une fois que plus de gens en auront fait l’expérience, ils auront hâte de voir ce qui se passera ensuite — surtout lorsque Montréal aura enfin son train vers l’aéroport.

Et j’imagine qu’un bon nombre de manifestants de l’est de Montréal se reprocheront leur manque de vision, alors que leurs voisins se demanderont pourquoi ils se sont laissé flouer par ce qui ressemble à l’aubaine du siècle en matière de transport en commun.

La version originale (en anglais) de cet article a été publiée dans l’infolettre Straphanger, de Taras Grescoe.

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