Industrie viticole

Discussion et actualités sur l’industrie viticole

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La charge administrative nous fait bien plus mal que la météo »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

Après des gels printaniers dans plusieurs régions et un été très pluvieux, les vignerons québécois ont terminé les vendanges sur une note positive : le millésime 2023 sera bon, voire excellent dans plusieurs domaines.

Publié à 5h00

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Stéphanie Bérubé
Stéphanie Bérubé La Presse

Le temps des réjouissances a été de courte durée : Québec travaille sur un projet de loi qui leur laisse un goût amer. Très amer.

Leur lourd fardeau administratif devait être réduit, fruit de plusieurs promesses faites au cours des quatre dernières années, mais qui ne seront finalement pas tenues, disent les représentants de cette industrie.

« Nous sommes des entrepreneurs, la charge administrative nous fait bien plus mal que la météo, dit le vigneron Louis Denault. La météo, on s’y fait, mais la charge avec ce gouvernement-là, c’est atroce. Ça va tuer l’entrepreneurship au Québec. »

Louis Denault est président du Conseil des vins du Québec. Il a travaillé de près avec Québec. « Ça fait quatre ans qu’on est consultés par des sondages, des réunions, des mémoires », dit-il.

On nous assurait une grande réforme, de grands changements, et ils nous pondent un projet de loi dans lequel il n’y a rien pour nous.

Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

Le projet de loi 17 (sanctionné le 27 octobre dernier) n’a pas fait les manchettes. Son nom : Loi modifiant diverses dispositions aux fins d’allégement du fardeau réglementaire et administratif.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Charles-Henri de Coussergues, de l’Orpailleur

« Les heures que l’on passe en administration, c’est complètement fou », dit aussi Charles-Henri de Coussergues, de l’Orpailleur, qui a fait attendre un peu un inspecteur en environnement qui s’était présenté au vignoble, le jour de notre entrevue.

« Au Québec, poursuit ce vétéran de la vigne, quand tu fais de l’alcool ou quand tu es vigneron, tu dépends de pas mal de ministères : de l’Environnement à celui de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation, en plus de la Régie des alcools, de la SAQ, de la Sécurité publique, du ministère des Finances. On a l’impression qu’ils ne se parlent pas entre eux. »

Les vignerons sont déçus, surpris, en colère, inquiets.

« Personne dans ce gouvernement-là n’a une vision d’avenir pour notre industrie », dit Sébastien Daoust, vigneron propriétaire des Baccantes. « On fait un projet de loi qui impose de nouveaux dédales administratifs et ne répond en rien aux quatre années de revendications que l’on a eues auprès d’eux », poursuit-il.

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Félix Duranceau et Julie Bouchard, du Domaine du P’tit Bonheur

« Il faudrait effacer le tableau au complet de la manière dont on voit et on approche l’ensemble de l’alcool du côté gouvernemental, dit Félix Duranceau, copropriétaire depuis deux ans du Domaine du P’tit Bonheur de Cowansville. On est en 2023, on devrait peut-être revoir cette façon de faire. Nous sommes des entreprises et représentons un secteur agrotouristique extrêmement important. »

Le néovigneron confie qu’il a lui aussi été frappé par la charge administrative imposée à son secteur.

« Ce qu’on veut faire, c’est cultiver le raisin, le vinifier et le vendre, dit-il. C’est ça, le cœur de notre travail, mais on se ramasse souvent à faire de l’administration. »

Pour des raisons de santé, le vigneron a décidé de mettre son entreprise en vente.

Des règlements archaïques

Les politiciens et les ministres qui rencontrent les vignerons sont pourtant porteurs d’espoir et de promesses.

« On se demande qui barre ça », lance Louis Denault, qui confie que le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, a un réel désir que la filière vin se développe.

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Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

On ne demande pas de l’argent, on demande juste de la bonne volonté. De changer des règlements et d’enlever cette lourdeur.

Louis Denault, copropriétaire du Vignoble Sainte-Pétronille et président du Conseil des vins du Québec

Parmi les règles qui compliquent la vie des vignerons, il y a celle qui impose à leur entreprise de faire elle-même la livraison de son vin.

Donc, si Louis Denault quitte son vignoble de l’île d’Orléans pour aller porter des bouteilles à Montréal, il ne peut pas proposer à un des cinq autres vignerons de l’île d’apporter une caisse, même si elle est destinée au même commerce du Plateau-Mont-Royal. Le voisin vigneron doit prendre son propre véhicule et faire la livraison de sa caisse.

Cette règle devait être abolie à la fin de l’année dernière, puis en début d’année. Ça n’est toujours pas le cas.

On a un permis de production artisanale, alors on doit livrer par nous-mêmes. C’est la caricature du vigneron qui met ses bottes à vaches le matin et monte dans sa calèche pour aller vendre ça au marché Atwater. C’est cute, mais on est rendus ailleurs.

Sébastien Daoust, vigneron propriétaire des Baccantes

Questionné à ce sujet, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a indiqué par courriel que, de son point de vue, « les discussions se poursuivent afin de traduire cette ouverture du gouvernement en un nouveau règlement qui répondra aux attentes de la majorité des acteurs du milieu, incluant les vignerons et des intervenants gouvernementaux ».

Un autre règlement limite le prêt d’équipement entre entreprises.

Si la presse d’un vigneron brise alors qu’il est en train de presser, il ne peut pas apporter ses raisins en vitesse dans un vignoble pas loin pour finir le travail. Idem pour les cuves.

Aux Bacchantes, la récolte a été moins abondante cette année. Sébastien Daoust se retrouve avec trois cuves de 4000 L vides, qu’il aimerait bien prêter à un collègue. Impossible.

Au Vignoble Sainte-Pétronille, Louis Denault a muni son entreprise d’une chaîne d’embouteillage, un investissement majeur. Il ne s’en sert que deux semaines par année, mais le producteur voisin ne peut pas embouteiller ses vins avec l’équipement d’une autre entreprise que la sienne.

« La RACJ nous dit que c’est une question de traçabilité », dit Louis Denault, qui n’adhère pas à cet argument étant donné que la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) suit à la trace le nombre de raisins récoltés, dans chacun des vignobles. Impossible de perdre la trace sur une chaîne d’embouteillage ou dans une cuve.

Les entrepreneurs viticoles ne manquent pas d’exemples pour expliquer à quel point ce type de règlements leur complique la vie et ralentit leur croissance.

« Est-ce qu’il va falloir que l’on fasse une plainte à l’OMC contre notre propre pays parce qu’on est brimés par rapport aux autres ? demande Louis Denault. Il n’y a pas d’autres endroits au monde où on ne peut pas faire de sous-traitance. »

Avec ces restrictions, difficile d’être compétitif, calcule Sébastien Daoust, qui enseigne aussi à HEC Montréal. Mais le jour de notre entrevue, il avait passé la plus importante partie de son temps dans les rues de Montréal à faire des livraisons de son vin, ce qui inclut des heures à tourner en rond pour trouver des places de stationnement.

Pourtant, les vignerons doivent être efficaces, plus que jamais, avec les consommateurs qui boivent moins et qui cherchent de bons prix.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Lorsqu’il est devenu vigneron il y a deux ans, Félix Duranceau, du P’tit Bonheur, a été frappé par la charge administrative imposée à son secteur.

« Au Québec, on est chanceux, le marché est là, dit Félix Duranceau, du P’tit Bonheur. Mais on voit déjà l’effet de la baisse de l’économie directement sur nos ventes. C’est vrai dans le cidre, dans la bière, pour les microdistilleries. Les ventes sont en baisse. »

Selon lui, un consommateur qui mettait dans son panier une cuvée québécoise à 30 $ l’année dernière va être tenté d’opter cette année pour un vin français moins cher.

« On se bat pour la piasse de luxe que les gens n’ont plus ! »

Dans le contexte actuel, Félix Duranceau estime que les consommateurs font avec le vin comme ils font avec la bière : ils retournent vers des valeurs sûres. Et pour le vin, c’est peut-être un petit blanc de la Loire qui coûte moins de 20 $ à la SAQ ou un vin d’Amérique du Sud acheté à l’épicerie. Au détriment des vidal et des rieslings locaux.

Baisse des ventes de vins québécois à la SAQ

Il y a eu un recul des ventes de vins québécois de 7 % à la SAQ, depuis le début de l’année financière. Cela inclut une baisse de 16 % des rosés qui s’explique par la météo estivale qui nous a moins donné envie de trinquer au rosé, explique la porte-parole de la SAQ, Geneviève Cormier. Cette dernière note aussi « qu’on se compare à une année exceptionnellement haute l’année dernière ». Pour l’année 2022-2023, les ventes des vins Origine Québec avaient augmenté de 19 %.

En savoir plus

  • Du simple au double
    Le Québec a produit 3,1 millions de bouteilles de vin l’année dernière. C’est plus du double de la quantité produite il y a 10 ans, en 2013 : 1,4 million de bouteilles.

Conseil des vins du Québec

« La charge administrative nous fait bien plus mal que la météo » | La Presse<

Autant au Québec comme au Canada, je crois que le prochain gouvernement devrait venir avec une plateforme basée sur l’efficacité de gestion, la simplification et les outils numériques. Le gouvernement lui même a des problèmes de pénurie de main d’oeuvre, je suis prêt à parier qu’on peut réduire l’administration de 10% ou plus sans nuire à aucun service.

Les vignerons devraient pouvoir passer leur temps à faire le meilleur vin possible dans notre rude climat, à trouver des hybrides qui combineront la résistance des vignes autochtones et le rafinement des vignes européennes, et à faire du marketing sur les bons produits pour vaincre les préjugés.
Ils ne devraient pas passer leur temps à répondre aux rêves de quelque fonctionnaire qui ne s’est jamais sali les bottes dans un vignoble.

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La lourdeur administrative à tous les paliers de gouvernements est un frein incroyable au développement des petites et moyennes entreprises au Québec. Je ne comprend pas comment le présent gouvernement, au Québec, n’a pas encore réussi à régler l’ensemble de ces mesures car c’est en plein dans son créneau, l’économie, les régions et le pragmatisme.

Bouteilles vendues en épicerie | Les vignerons québécois paient désormais 40 % à la SAQ


PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

À partir du 1er décembre, les vignerons québécois doivent remettre à la Société des alcools du Québec (SAQ) un montant équivalent à 40,3 % du prix des bouteilles qu’ils vendent en épicerie, afin de régler un litige commercial avec l’Australie. Des vignerons et propriétaires d’épicerie fine accusent Québec, qui avait fait miroiter une aide en 2021, de traîner les pieds.

Publié à 11h26
STÉPHANE ROLLAND
LA PRESSE CANADIENNE

La ponction financière est considérable pour les vignerons qui vendent leurs produits en épicerie, souligne Sébastien Daoust, propriétaire du vignoble Les Vignes Des Bacchantes, situé à Hemmingford, en Montérégie.

Les épiceries fines représentent 40 % de son volume de vente. « C’est sûr que si, du jour au lendemain, on mange la moitié des marges qu’on fait, ça va avoir énormément d’impact », répond l’entrepreneur qui enseigne aussi à HEC Montréal.

Avec cette taxe, il est tout simplement impossible pour un vigneron de faire un profit, ajoute Fred Tremblay, du Vignoble Camy à Saint-Bernard-de-Lacolle. En réaction, son entreprise a tout simplement cessé de vendre ses vins aux épiciers pour se concentrer sur les restaurateurs. « Il faut donner 40 % du prix de vente à la SAQ. C’est clair qu’on ne fait pas 50 % de profit sur les produits qu’on vend. Si je donne 40 %, je suis largement déficitaire. »

La mesure avait été annoncée au printemps 2021 pour dénouer un litige commercial avec l’Australie. Le pays plaidait que les producteurs locaux québécois profitaient d’un avantage concurrentiel en vendant directement leurs bouteilles en épicerie.

Le Québec « a tenu son bout », mais il n’a pas eu le choix de plier en 2021 lorsque les autres provinces ont trouvé un accord, raconte le président du Conseil des vins du Québec (CVQ), Louis Denault. « On savait qu’on était un peu dans le tort, admet-il. On a réussi à garder un accès direct aux épiceries, mais on a accepté de payer une majoration. »

Il reste que Vignoble Camy n’obtient rien contre ce paiement, dénonce M. Tremblay. « En retour, la SAQ, ils ne font rien. Ils ne font pas les livraisons. Ils ne font absolument rien de tout ça. Il faut qu’on fasse le même travail, puis tout d’un coup, on a 40 % moins de revenus. »


PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE
Fred Tremblay

Près de 31 % des bouteilles de vins québécois étaient vendues en épicerie en 2022, selon le plus récent bilan du CVQ. Cette proportion est en croissance depuis que la pratique a été autorisée en décembre 2016.

Des propriétaires d’épiceries fines sont également inquiets des effets qu’aura la majoration sur leur entreprise. Au moment où l’inflation gruge le portefeuille des ménages, Pascale Rémond, cofondatrice de l’épicerie fine Les Minettes à Laval, ne voit pas comment il serait possible de refiler la note aux consommateurs.

« C’est sûr que les clients ne voudront plus acheter des vins avec une augmentation de 40 % sur le prix de la bouteille, répond-elle. Sans aide gouvernementale, c’est sûr qu’il n’y aura plus de vin québécois sur nos tablettes. »

Les Minettes continueront de vendre des vins québécois au même prix durant la période cruciale des Fêtes, car la boutique spécialisée en produits alimentaires québécois a fait des approvisionnements avant la date butoir du premier décembre. À moyen terme, la majoration fait planer une ombre sur l’avenir de l’entreprise. « Ça représente 50 % des ventes de la boutique. »

Dans l’attente d’une aide

Les entrepreneurs interrogés par La Presse Canadienne sont impatients de savoir si le gouvernement Legault les aidera à encaisser le coup.

Lorsque la majoration avait été annoncée au printemps 2021, le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, avait promis de trouver une façon « de limiter le plus possible les effets négatifs. »

Plus de deux ans se sont écoulés depuis. M. Denault avait plaidé auprès du gouvernement pour que les modalités de ce soutien soient connues six mois avant l’entrée en vigueur de la majoration.

« On redoutait beaucoup ce qui arrive présentement, confie le président du CVQ, qui est aussi propriétaire-vigneron du Vignoble Sainte-Pétronille sur l’île d’Orléans. L’inefficacité du gouvernement dans ce dossier-là, c’est atroce. »


PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE
Louis Denault

Au ministère de l’Économie, on assure vouloir collaborer avec l’industrie pour garantir sa compétitivité et limiter une potentielle hausse de prix pour les consommateurs. « Les discussions se poursuivent afin de traduire cette ouverture du gouvernement en nouveaux gestes qui répondront aux attentes du milieu », répond son porte-parole Jean-Pierre d’Auteuil.

Plutôt qu’une aide financière, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) juge qu’il faudrait tout simplement abolir la majoration. Si des restrictions n’étaient pas imposées sur les vins étrangers, les vignerons québécois en seraient aussi exemptés sans contrevenir aux règles du commerce international.

« On est très bon au Québec à mettre trop de taxe et, après ça, essayer de pointer dans les autres directions plutôt que de trouver la problématique de fonds qui est la surtaxation », dénonce son vice-président pour le Québec, François Vincent.

En attendant l’intervention du gouvernement, l’entreprise de Paul Jodin, du Vignoble Saint-Gabriel dans la région de Lanaudière, continue de livrer des bouteilles aux épiciers pour la saison des Fêtes, mais son propriétaire veut y aller avec prudence. « On va être obligé de “breaker un peu”, comme on dit en français, parce qu’on ne sait pas s’il va y avoir une compensation. Puis, la compensation sur le 40 %, vont-ils nous remettre 15 %, 20 % ? »

De la confusion

Certains vignerons trouvent que la communication est déficiente de la part de la SAQ et du gouvernement.

Les membres du CVQ ont reçu de l’information « cette semaine » par l’entremise de leur association qui fait le pont entre la société d’État et les vignerons, explique-t-on à la SAQ.

Les détails sur les déclarations à remplir seront envoyés à la mi-décembre. Le formulaire sera « simple » et « complet », assure la porte-parole de la société d’État, Linda Bouchard. « Il n’y a pas d’intérêt de la part de personne de rendre ça compliqué. »

Il reste que certains vignerons qui ne sont pas membres du CVQ se trouvent dans le noir, constate Mme Rémond. « Encore mercredi (à deux jours de l’entrée en vigueur de la majoration), je parlais à un vigneron qui en avait entendu parler, mais il n’y a pas eu de communication à cet effet-là parce qu’il n’est pas membre », raconte l’entrepreneur qui s’implique dans l’association.

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