Histoire et archéologie

La lettre certifiée de Jeanne Mance révèle la force de frappe des Iroquois face aux colons

Acculée et barricadée, Jeanne Mance implore l’aide de la France contre les Iroquois.

Une lettre ancienne.

Un extrait de la lettre de Jeanne Mance à Paul de Chomedey de Maisonneuve

Photo : Archives du Séminaire de Québec

Publié le 23 janvier à 4 h 00 HNE

De nouveaux documents d’époque exceptionnels reliés à Jeanne Mance (1606-1673) éclairant sur la création de Montréal confirment que les Iroquois étaient sur le point d’anéantir la colonie française par leurs tactiques guerrières.

L’heure est grave en Nouvelle-France. Nous sommes vers 1653 et les raids répétitifs des Iroquois forcent Jeanne Mance à appeler la métropole à l’aide. Dans une lettre qui lui est attribuée et aujourd’hui certifiée comme authentique, la cofondatrice de Montréal implore Paul de Chomedey de Maisonneuve d’envoyer une centaine de colons-soldats pour empêcher les Autochtones de remporter la guerre.

Cette lettre est une découverte majeure, lance en entrevue téléphonique Paul Labonne, le directeur général du Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal. C’est lui qui, après une enquête minutieuse dans les fonds du Séminaire de Québec, a pu identifier Jeanne Mance dans les documents en question.

La lettre de Jeanne Mance fait partie d’un corpus que l’on croyait disparu à jamais depuis l’incendie de l’Hôtel-Dieu en 1695, précise le directeur. On y découvre dans les propres mots de la cofondatrice de Montréal les raisons qui la poussent à demander le soutien armé de la France.

Les Iroquois après la défaite qu’ils firent des Hurons étant devenus beaucoup plus orgueilleux et insolents qu’ils n’avaient encore été, recommencèrent à nous incommoder et à nous attaquer si souvent et si fréquemment qu’ils ne donnaient point de relâche.

Une citation de Extrait de la lettre de Jeanne Mance, environs 1665

La colonie traverse en effet des jours très précaires. Les Iroquois, alors alliés des Anglais, viennent de remporter la rude bataille qu’ils menaient contre les Hurons. Ils lorgnent dorénavant Montréal, qu’ils seraient sur le point de faire tomber.

À l’époque, la colonie barricadée est véritablement en crise. Les attaques menées par les Autochtones demeuraient incessantes et, sans l’aide accordée par la Couronne, Montréal aurait tout simplement été rayée de la carte, raconte M. Labonne.

Afin de sauver la colonie des barbares et furies insolentes, qu’elle qualifie ainsi dans sa missive, Jeanne Mance est d’ailleurs prête à payer les frais de voyage à partir d’une somme octroyée par la mécène Angélique Faure Bouillon. Le montant de 22 000 livres est faramineux pour le 17e siècle : c’est l’équivalent d’un million de dollars aujourd’hui.

Jeanne Mance fait face à la force de frappe des Iroquois. Ces derniers vont concentrer leurs efforts de guerre sur Montréal, notamment pour des raisons commerciales qui seront à l’origine de nombreux conflits avec les Français, renchérit Paul Labonne.

Selon Taiaiake Alfred, chercheur et conseiller principal sur la gouvernance autochtone à l’Université McGill, la lettre est d’une grande importance historique puisqu’elle confirme ce que les Mohawks savaient déjà de leurs ancêtres iroquois, les Haudenosaunee, et des relations conflictuelles qu’ils entretenaient avec les premiers colons français.

On constate à la lecture de la lettre que les Français se sentent totalement abandonnés et que la plupart d’entre eux sont même prêts à retourner chez eux, de l’autre côté de l’Atlantique, explique au bout du fil Taiaiake Alfred, auteur de plusieurs ouvrages sur l’identité et l’histoire autochtones, notamment le remarqué It’s All about the Land.

À deux doigts de remporter la bataille

Le Mohawk, membre de la communauté de Kahnawake, souligne que sans l’arrivée de régiments comme celui de Carignan-Salières aussitôt dépêché en Nouvelle-France en 1665 pour mettre un terme aux raids iroquois dans la vallée du Saint-Laurent, le cours de l’histoire aurait probablement été tout autre.

Ce n’est pas la volonté qui a permis aux Français de rester sur le territoire et de développer leur colonie, mais la chance, l’argent et l’appui militaire, souligne le chercheur. D’un autre côté, grâce à une stratégie guerrière complexe, on constate que les Iroquois ont nourri un véritable désir de déloger les colons, et ce, au péril de leur vie.

Le principal objectif des Haudenosaunee était de déloger les colons français de la région. On réalise qu’ils ont été à deux doigts d’y parvenir, ce qui aurait probablement mis en péril l’existence même d’une présence française en Amérique du Nord.

Une citation de Taiaiake Alfred, historien et auteur

L’époque est cruciale en ce qui concerne l’histoire du Canada, rappelle-t-il. Les colonies françaises et anglaises se multiplient, les alliances entre les Blancs et les Autochtones sont menées parallèlement à l’accaparement des territoires. C’est là que tout se décide et les empires européens ont bien compris que, sans la force et les armes, ils n’y parviendraient jamais.

Malgré l’issue du conflit – les guerres iroquoises prennent fin avec la Grande Paix de Montréal, en 1701 –, le Mohawk se dit fier du combat de ses ancêtres et de l’attachement qu’ils avaient pour la défense de leur terre.

D’une perspective autochtone, les Premières Nations ont subi l’arrivée des Européens comme une invasion. Le récit national enseigne que c’était inévitable, que les Européens étaient là pour gagner. Les batailles acharnées menées par les Haudenosaunee prouvent le contraire, que rien n’est écrit à l’avance.

Le chercheur regrette toutefois que sa communauté n’ait pas été consultée durant les recherches qui ont été menées pour identifier les documents d’archives, dont le testament de Jeanne Mance. Cette histoire ne concerne pas seulement la fondation de Montréal, elle concerne également le passé de notre peuple et les politiques militaires adoptées par le pouvoir colonial pour tenter de nous éradiquer.

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Décoder les manuscrits de la Nouvelle-France

La possibilité de lire aisément la masse de documents manuscrits de la Nouvelle-France fait rêver les mordus d’histoire et de généalogie. De nouvelles interfaces logicielles, qui font appel à l’intelligence artificielle, permettent aujourd’hui de transcrire, avec un faible taux d’erreurs, le menu récit du début de la colonie.

Image d'un document de la Nouvelle-France.

Un document datant de la Nouvelle-France est préservé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Photo : Radio-Canada

Résumé

Décoder les manuscrits de la Nouvelle-France

La possibilité de lire aisément la masse de documents manuscrits de la Nouvelle-France fait rêver les mordus d’histoire et de généalogie. De nouvelles interfaces logicielles, qui font appel à l’intelligence artificielle, permettent aujourd’hui de transcrire, avec un faible taux d’erreurs, le menu récit du début de la colonie.

Image d'un document de la Nouvelle-France.

Un document datant de la Nouvelle-France est préservé par Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Photo : Radio-Canada

Publié à 4 h 00 HAE

À première vue, on ne comprend rien. C’est illisible. Une écriture cursive, des graphies particulières et des termes de l’époque. Bienvenue dans les manuscrits de la Nouvelle-France! Tous les historiens et les généalogistes vous le diront : plonger dans les documents de cette période est une grande source de frustration parce que déchiffrer et transcrire le contenu de ces écrits est exigeant et demande un temps fou.

On estime qu’il y a environ 1,5 million de pages relatives aux archives de la Nouvelle-France dans le seul réseau de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ), souligne Rénald Lessard, spécialiste de la Nouvelle-France et archiviste coordonnateur au sein de la vénérable institution québécoise.

C’est le bloc d’archives le plus important sur le premier empire colonial français en dehors de la France.

Une citation de Rénald Lessard, archiviste coordonnateur à BANQ

Une partie de ces documents originaux a été numérisée et mise en ligne par BANQ. Bien qu’un court texte résume le contenu de ces documents, on est encore loin d’une transcription complète et détaillée de chacune de ces pages. En conséquence, une grande partie des archives de la Nouvelle-France ont été vues, mais elles n’ont pas nécessairement été lues.

Photo de Rénald Lessard.

Rénald Lessard est archiviste coordonnateur à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

Photo : Radio-Canada

Maxime Gohier codirige avec son collègue Léon Robichaud le projet Nouvelle-France numérique. Tous deux professeurs d’histoire, l’un à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), l’autre à l’Université de Sherbrooke, ils rêvaient depuis longtemps d’un outil qui permettrait de mettre en parallèle des documents d’archives et leur transcription, tout en ayant la possibilité de les partager.

Je fouillais sur Internet, puis à un moment donné, je tombe sur le site web de Transkribus*,* se rappelle Maxime Gohier. Transkribus est un nouveau logiciel développé en Autriche par la coopérative Read. Le système met à profit des techniques d’apprentissage profond et d’intelligence artificielle pour transcrire des séries de documents anciens.

Je venais de découvrir un peu le Saint-Graal que les historiens cherchent.

Une citation de Maxime Gohier, professeur d’histoire à l’UQAR

Le logiciel permet d’accéder à des modèles génériques de reconnaissance et de transcription de manuscrits, mais il permet aussi de développer des modèles plus spécifiques pour la transcription de textes particuliers, comme ceux de la Nouvelle-France.

Photo de Maxime Gohier, de l'UQAR.

Maxime Gohier est professeur d’histoire à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Photo : Radio-Canada

Des historiens, des professeurs, des étudiants et des généalogistes spécialisés en paléographie ont graduellement corrigé les épreuves du logiciel pour lui apprendre à reconnaître des graphies particulières, des lettres, des nombres, des abréviations ou des termes de l’époque.


Bannière Découverte.

Au projet Nouvelle-France numérique se greffe un projet de science participative. Pierre Dubois a cofondé avec André Morel les Gardenotes, un regroupement de paléographes fascinés par les documents anciens.

Photo de Pierre Dubois.

Pierre Dubois est paléographe et cofondateur des Gardenotes.

Photo : Radio-Canada

Ce sont, pour la plupart, des généalogistes qui ont développé une grande aptitude à lire des documents manuscrits de l’époque. Grâce à leur expertise et à leur participation bénévole à l’entraînement des modèles, la performance de lecture du logiciel de transcription s’améliore.

On arrive avec un taux d’erreur de 5 % environ. C’est spectaculaire! Même nous, on n’y croyait pas au départ.

Une citation de Pierre Dubois, paléographe, cofondateur des Gardenotes

Une fois que la capacité de transcription du modèle est optimisée, à l’aide d’environ 200 pages d’entraînement, on peut lui soumettre des milliers de pages du même auteur avant que la transcription complète ne s’effectue en un clin d’œil.

C’est là qu’on tombe dans la haute performance. Un notaire a pu laisser un greffe de 15 000 à 20 000 pages qu’on peut transcrire à 5 % d’erreurs. C’est extraordinaire!, s’exclame le professeur Maxime Gohier.

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Des personnages oubliés

Avec la transcription de milliers de pages vient la capacité de réaliser des recherches dans les textes et de redécouvrir des morceaux de la grande et de la petite histoire de la Nouvelle-France, de voir surgir des personnages oubliés de l’histoire.

Ça change tout. La vieille méthode de travail est complètement révolutionnée, s’enthousiasme Dominique Deslandres, professeure d’histoire à l’Université de Montréal.

Photo de Dominique Deslandres.

Dominique Deslandres est professeure d’histoire à l’Université de Montréal.

Photo : Radio-Canada

Elle s’intéresse aux documents du premier tribunal de Montréal. Elle est à la recherche de femmes et d’esclaves dans les procès civils et criminels. À sa grande surprise, elle a découvert, dans le premier registre d’audience, une certaine Marie Pournin, étroite collaboratrice de Jeanne Mance à l’Hôtel-Dieu.

En Nouvelle-France, il n’y avait pas d’avocat, les gens se représentaient eux-mêmes. La personne est interrogée, elle explique toutes sortes de choses. Donc, on voit et on entend des personnes qui n’ont laissé aucune autre trace que celle-là dans les archives, ajoute Dominique Deslandres.

Image d'une transcription.

Transcription d’un document d’archives de Bibliothèque et Archives nationales du Québec par le logiciel Transkribus.

Photo : Radio-Canada

Accéder à cette masse de documents manuscrits ouvre aussi la voie à de nouvelles recherches, plus pointues, qui seraient impossibles à réaliser à moins de lire ces documents, page par page.

Ça va nous permettre de travailler plus en profondeur sur des individus, des lieux, des sujets, parfois plus terre à terre, comme la présence de chiens en Nouvelle-France, des choses qui passent sous le radar en temps normal. Les possibilités sont énormes, renchérit Rénald Lessard de BANQ.

Le grand public aura-t-il bientôt accès à ces transcriptions des archives de la Nouvelle-France? Le projet reste à venir. D’abord, il y a un coût lié à l’utilisation de la technologie, rappelle Maxime Gohier, mais c’est également une question de propriété d’images. Certaines sont publiques, d’autres sont privées et, bien que plusieurs soient prêts à les transmettre, il reste encore du travail à faire de ce côté-là.

Le reportage du journaliste André Bernard et du réalisateur Yanick Rose est diffusé à l’émission Découverte le dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.

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Une analyse inédite des sols du musée bâti sur le lieu de naissance de Montréal a permis d’y détecter une faune microscopique très ancienne qui appuie les hypothèses que ses premiers habitants ont pu entretenir des potagers et mener des activités de forge à même le fort qu’ils y avaient construit, entre autres.

Le musée Pointe-à-Callière avait pris les allures d’un chantier pas comme les autres, en novembre 2022. Le lourd plancher-vitrine qui recouvre les fondations du fort de Ville-Marie – premier établissement français dans la région, considéré comme le lieu de fondation de la métropole – avait été retiré pour une rare fois afin de permettre à quelques experts d’accéder aux sols qu’il recouvre.

Résumé

Les micro-organismes apportent un nouvel éclairage sur le Montréal d’autrefois

Des archéologues du musée Pointe-à-Callière et des microbiologistes de l’Université du Québec à Montréal étudient les fondations de la métropole sous un jour nouveau, au moyen du monde microbien.

Une maquette du fort de Ville-Marie.

Cette maquette représente le fort de Ville-Marie, dont une partie des fondations sont visibles à travers le plancher-vitrine du musée Pointe-à-Callière, dans le Vieux-Montréal.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

Publié à 4 h 00 HAE

Une analyse inédite des sols du musée bâti sur le lieu de naissance de Montréal a permis d’y détecter une faune microscopique très ancienne qui appuie les hypothèses que ses premiers habitants ont pu entretenir des potagers et mener des activités de forge à même le fort qu’ils y avaient construit, entre autres.

Le musée Pointe-à-Callière avait pris les allures d’un chantier pas comme les autres, en novembre 2022. Le lourd plancher-vitrine qui recouvre les fondations du fort de Ville-Marie – premier établissement français dans la région, considéré comme le lieu de fondation de la métropole – avait été retiré pour une rare fois afin de permettre à quelques experts d’accéder aux sols qu’il recouvre.

Les archéologues, équipés non pas de leurs habituels balais et truelles, mais d’un marteau et d’un long tube de métal, ont alors prélevé des carottes dans la terre, avec un objectif inédit : analyser les micro-organismes qui ont vécu dans les différentes couches du sol au fil des époques.

M. Van Gijseghem tient un maillet et un tube d'acier.

L’archéologue Hendrik Van Gijseghem et l’étudiante Marjorie Collette ont prélevé des carottes dans le sol sous le musée Pointe-à-Callière en novembre 2022.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

On a d’abord des sols de remblai, qui sont mélangés et apportés d’ailleurs, puis des sols d’occupation, qui témoignent des activités qui ont eu lieu dans le fort de Ville-Marie. Puis on a des argiles marines, qui sont les sols naturels sous-jacents, décrit l’archéologue Hendrik Van Gijseghem à propos des strates qui se succèdent dans les carottes.

Aux côtés des archéologues, ce jour-là, la microbiologiste de l’Université du Québec à Montréal Cassandre Lazar expliquait ce qu’elle espérait tirer de ces échantillons.

Ils contiennent un mélange de micro-organismes vivants et de micro-organismes morts, certains depuis très longtemps, depuis l’âge auquel correspondent les différents sols, dit-elle.

L’idée, c’est de récupérer l’ADN de ces micro-organismes morts […] et d’essayer d’associer la communauté microbienne à ce qui se passait à cette époque-là.

Une citation de Cassandre Lazar, microbiologiste de l’Université du Québec à Montréal

Cassandre Lazar en entrevue.

Cassandre Lazar est microbiologiste à l’Université du Québec à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Bref, faire parler bactéries, champignons et autres levures pour révéler ce qui a pu se passer autour d’eux de leur vivant, quand Montréal en était à ses balbutiements.

Hendrik Van Gijseghem rappelle que le fort de Ville-Marie était une mission fondée en 1642 par un groupe de Français, les Montréalistes, qui avaient comme mission de fonder un lieu où ils allaient interagir avec les populations autochtones dans le but de les christianiser.

Le trio autour d'un tube d'acier d'où dépasse de la terre.

L’archéologue Hendrik Van Gijseghem (à gauche), la microbiologiste Cassandre Lazar (à droite, à l’avant-plan) et l’étudiante de cette dernière Marjorie Collette (au centre) observent une carotte qu’ils viennent de prélever.

Photo : Radio-Canada / Découverte

Des mousses à l’origine d’une collaboration déterminante

Mise au jour au début des années 2000, une partie des fondations du fort est accessible au public depuis 2017 au musée Pointe-à-Callière.

Mais une fois le sol déblayé par les archéologues et exposé à l’air, il s’est peu à peu modifié. Des taches vertes sont apparues à la surface, qui a pris par endroits l’aspect d’un minigolf, décrit M. Van Gijseghem. À un moment donné, on a fait appel à une microbiologiste pour se prononcer sur ce qu’étaient ces petites mousses vertes.

C’était en 2018, et Cassandre Lazar a répondu à l’appel du musée. Non seulement pour analyser cette curieuse contamination, qui a depuis été identifiée comme un lichen et éliminée, mais aussi pour ce que ces sols pourraient révéler du passé des lieux.

Mme Lazar tient la carotte.

La microbiologiste Cassandre Lazar avec l’une des carottes prélevées.

Photo : Radio-Canada / François Perré

C’est là que j’ai commencé à mettre en place mon idée de protocole pour distinguer l’ADN des micro-organismes fossiles de celui des micro-organismes qui sont encore en vie, relate la chercheuse.

Le principe est relativement simple, du moins en théorie.

Les sols organiques, récents ou plus anciens, sont des écosystèmes bien vivants. Ils contiennent à la fois des organismes vivants et morts. Pour distinguer les deux et identifier ceux qui ont proliféré dans le passé, la chercheuse a analysé le contenu en ADN des sols présentés au musée, mais aussi leur ARN.

Il faut savoir que l’ARN est produit par toutes les cellules vivantes, métaboliquement actives. […] Mon idée, c’était d’extraire l’ADN qui représente vraiment tout ce qu’il y a dans l’habitat, donc ce qui est mort ou encore vivant. On extrait l’ARN en parallèle, donc juste ce qui était vivant, et on soustrait les deux.

Que sont l’ADN et l’ARN?

L’acide désoxyribonucléique (ADN) est présent dans toutes les cellules des êtres vivants et contient l’information génétique qui permet leur développement. L’ADN est d’abord recopié en acide ribonucléique (ARN) avant d’être transcrit en toutes sortes de protéines qui font fonctionner l’organisme. La présence d’ARN est donc associée au fonctionnement des cellules actives. Il est plus fragile que l’ADN, qui peut persister longtemps dans les cellules après leur mort.

De petits amoncellements de terre alignés sur des feuilles de papier d'aluminium.

Les différentes strates des carottes ont été séparées pour être analysées.

Photo : Radio-Canada / Gaëlle Lussiaà-Berdou

Des analyses préliminaires d’échantillons prélevés en surface en 2019 avaient déjà révélé la présence de certaines bactéries anciennes – dites « fossiles » – intéressantes. Notamment, des espèces associées à des activités de boucherie ou encore à la culture du tabac.

On sait qu’il y avait consommation de plants de tabac au fort de Ville-Marie, une pratique que les Français avaient adoptée de leurs partenaires autochtones, explique Hendrik Van Gijseghem. On trouve des pipes, des choses comme ça. Mais où était le tabac? Est-ce qu’il était à l’intérieur du fort?

On a désormais une bactérie qui nous indique qu’à cet endroit, il y avait des plants de tabac. Cet apport de données bactériennes vient jeter un éclairage complètement nouveau sur les données archéologiques.

Une citation de Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière

Hendrik Van Gijseghem en entrevue.

Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière

Photo : Radio-Canada / Découverte

Il n’en fallait pas plus pour qu’ils décident de creuser plus loin.

Fin 2022, l’équipe a donc récolté de grandes carottes dans les sols du musée pour tenter d’associer plus finement les communautés bactériennes aux différentes strates équivalant aux époques successives d’occupation du site, en remontant jusqu’aux argiles de la mer de Champlain.

Des résultats qui dépassent les attentes

Les résultats se sont fait attendre pendant plus d’un an, mais les espoirs de l’équipe n’ont pas été déçus.

Je n’en reviens pas à quel point un sol peut révéler des choses. Ça dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer, s’est émerveillée l’archéologue Louise Pothier lors d’une rencontre où Cassandre Lazar et ses collègues ont présenté leurs premières analyses aux experts et à la direction du musée. Découverte a pu assister à la présentation.

Parmi leurs trouvailles, des bactéries habituellement présentes dans des grottes souterraines et des environnements volcaniques.

Est-ce que des activités de forge pourraient créer des environnements propices à l’établissement de micro-organismes similaires? s’interroge Hendrik Van Gijseghem.

Oui, parce qu’on voit des résidus du travail du minerai et de forge sur le site, renchérit sa collègue Louise Pothier, tout aussi intriguée.

Portrait de Louise Pothier.

Louise Pothier, conservatrice et archéologue en chef à Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada

La présence de microbes généralement associés à des sols agricoles a suscité la même curiosité enthousiaste. Elle laisse croire que les habitants du fort de Ville-Marie pourraient y avoir entretenu des potagers, ce qui n’était jusqu’ici qu’une hypothèse.

Ça a un certain sens puisqu’il y avait des tensions avec les voisins, a estimé M. Van Gijseghem. J’imagine qu’on veut une certaine sécurité alimentaire s’il y a des sièges, des choses comme ça.

Archéologiquement, on n’avait absolument aucune indication de ces choses-là. Il semble que les communautés bactériennes viennent les renforcer et même nous indiquer à quel endroit il a pu y avoir un de ces petits jardins. C’est absolument génial!

Une citation de Hendrik Van Gijseghem, archéologue et chargé de projet à Pointe-à-Callière

L’analyse de ces données microbiennes fossiles ne fait que commencer. Qui sait ce qu’elle pourra encore révéler, à Montréal ou ailleurs?

C’est le début de la paléomicrobiologie archéologique, plaisante Cassandre Lazar à propos de cette approche qui n’a pas encore vraiment de nom, mais dont elle espère refaire l’expérience.

On va en parler autant qu’on peut, montrer ça à d’autres archéologues, pour voir si on peut avoir accès à d’autres sites et voir si ça marche dans d’autres endroits, projette-t-elle.


Bannière Découverte.

Un reportage de Gaëlle Lussiaà-Berdou et de François Perré à ce sujet sera présenté à l’émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Télé.

À lire et à écouter :

Pointe-à-Callière

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Pendant que Destination Québec cité cherche des moyens de diversifier l’offre touristique de la Vieille Capitale et faire sortir les visiteurs du quadrilatère Petit Champlain et place Royale, le tourisme généalogique s’impose partout dans le monde comme solution. Selon plusieurs experts, la ville considérée comme le berceau de l’Amérique française est en train de passer à côté d’une occasion en or.

Résumé

La Capitale

Québec passe à côté de la manne du tourisme généalogique

Par Pascale Lévesque, Le Soleil

12 août 2024 à 04h40|

Mis à jour le12 août 2024 à 07h24

Québec est le décor parfait pour le tourisme généalogique.|800x530.1609517144856

Québec est le décor parfait pour le tourisme généalogique. (Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

Pendant que Destination Québec cité cherche des moyens de diversifier l’offre touristique de la Vieille Capitale et faire sortir les visiteurs du quadrilatère Petit Champlain et place Royale, le tourisme généalogique s’impose partout dans le monde comme solution. Selon plusieurs experts, la ville considérée comme le berceau de l’Amérique française est en train de passer à côté d’une occasion en or.


Version audio de l’article générée par intelligence artificielle.

«Le tourisme de racines au Québec est encore trop peu exploité», souligne avec conviction Xavier Chambolle, guide touristique chez Tours Accolade. «Il y a plusieurs millions de Québécois, de Canadiens et d’Américains qui ont des origines canadiennes-françaises. Les Américains, en particulier, sont extrêmement intéressés par leurs ancêtres.» Juste pour les États-Unis, selon le recensement américain, on parle de 10 millions de citoyens qui disent avoir des origines françaises, et plus particulièrement franco-canadiennes.

«J’ai eu des clients d’aussi loin que la Nouvelle-Zélande. L’homme avait un père québécois qu’il n’avait pas connu et voulait en savoir plus sur l’histoire de sa lignée.»

— Xavier Chambolle, propriétaire de Tours Accolade

Xavier Chambolle (à gauche) est guide touristique et fondateur de Tours Accolade, qui propose des parcours généalogiques. Il a des clients qui viennent d’aussi loin que la Nouvelle-Zélande: Gary Whiteside, dont le père néo-zélandais est Québécois, souhaitait en savoir davantage sur ses racines canadiennes-françaises. (Xavier Chambolle, Tours Accolade)

Voyager dans les pas de ceux qui nous ont précédés, respirer le même air et se nourrir de leurs histoires pour mieux comprendre d’où l’on vient. Voilà ce qui pourrait bien définir ce que les spécialistes appellent tantôt le tourisme généalogique, tantôt le tourisme de racines ou encore le tourisme patrimonial.




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Des toilettes publiques pour disperser les touristes à Québec
Toilettes publique Maison Robert-Paré place royale

D’autres l’appellent le «tourisme tendance». Parce qu’à voir les chiffres, il semblerait que le monde entier soit dans une quête d’identité généralisée.

Attachez votre ceinture fléchée: le marché global du tourisme patrimonial représentait près de 800 milliards de dollars canadiens en 2023, selon le groupe IMARC.

L’expert-conseil estime qu’il pourrait atteindre mille milliards de dollars en 2032. On parle d’environ 80 millions de touristes dans le monde.

Une niche propulsée par les tests d’ADN

«Ce n’est pas nouveau», explique Marcel Fournier. L’historien, généalogiste et auteur prolifique d’articles sur ces deux domaines rappelle la vitalité des clubs de généalogie et que de nombreux clubs de famille — les Gagnon, Tremblay ou Pelletier d’Amérique, par exemple — multiplient les voyages sur les traces de leurs aïeuls en France depuis les années 90.

«Mais aujourd’hui, les outils sont devenus tellement accessibles pour n’importe qui curieux de retrouver ses ancêtres que forcément, cela nourrit un certain engouement», explique M. Fournier. Qui est aussi d’avis que Québec est trop hésitant à embarquer dans le train.

Ce fameux train raté au Québec, on en parlait déjà en 2017 dans Le Soleil. Et cela, avant que le tourisme généalogique profite d’un second souffle avec l’essor des tests ADN à domicile comme AncestryDNA ou 23andMe, qui retracent vos origines en échange d’un peu de salive et beaucoup de bidous.

À l’instar de services comme Ancestry.ca, 23andMe permet en échange d’un échantillon d’ADN de connecter avec ses lointains cousins et leur passé. Voici le portrait d’une recherche qui démontre que la personne partage de l’ADN avec 31 personnes en Californie et 364 en Nouvelle-Angleterre. (Capture d’écran, 23&Me)

Malgré tout, et même si la demande est là, Destination Québec cité n’a pas le tourisme de racines dans sa mire. Interpellée par Le Soleil à ce sujet, l’organisation dit n’avoir aucune donnée ou information concernant le tourisme généalogique. «C’est intéressant à savoir [qu’il y a une demande], mais pour l’instant, ce n’est pas dans nos cartons de faire du marketing aussi ciblé», répond Jessie Deschamps, porte-parole de l’organisme. «Peut-être qu’éventuellement, ça évoluera et nous irons dans de telles niches, mais ça reste à voir.»

Des touristes très prisés

Une niche de moins en moins niche, qui permet à l’entreprise de Marie-Claire Prestavoine d’avoir le vent en poupe en Normandie depuis son lancement en 2019. Voyant la tendance se déployer fortement ailleurs en Europe, elle a tenté le coup avec Racines Voyages. L’agence est réputée être la première en France à exploiter pleinement le créneau de la généalogie. Ses clients sont majoritairement québécois, mais elle en compte aussi en provenance de la Floride, du Michigan et de la Californie.

«En 2022, la ville natale de Mortagne-au-Perche dans l’Orne a inauguré la statue de Pierre Boucher, le fondateur de Boucherville», raconte-t-elle. «L’afflux de visiteurs du Québec sur les traces de leur ancêtre a justifié qu’on lui érige un monument devant l’hôtel de ville.» Il était devenu nécessaire de donner aux touristes un point de repère physique là où leur aïeul est né il y a plus de 400 ans. Maintenant, c’est devenu un attrait.

Le filon est d’autant plus intéressant que les touristes ancestraux ont tendance à rester plus longtemps, à visiter en dehors de la haute saison touristique et au-delà des centres urbains. Ils sont aussi plus susceptibles de développer un lien qui se traduit par des visites répétées, car la démarche repose sur un lien émotionnel avec les lieux d’origine.

«Ce ne sont pas des gens qui passent», confirme Xavier Chambolle de Tours Accolade. «Ils veulent vivre l’expérience et restent longtemps. Non seulement ils visitent Québec, mais leur quête les mène aussi jusqu’à Rivière-Ouelle. Ça profite à toute la région. Souvent, le seul regret de cette clientèle, c’est de ne pas être restée suffisamment longtemps.»

L’Écosse, un exemple à suivre

«Des pays comme l’Irlande, l’Écosse et l’Italie ont très bien compris le potentiel du tourisme patrimonial», souligne Marie-Claire Prestavoine. «Certaines universités italiennes proposent même des cours de licence et de maîtrise qui incluent également le tourisme généalogique comme matière d’études.»



L’année 2024 en Italie est même consacrée au Turismo delle Radici («Tourisme des racines»)! Le ministère de la Culture italien multiplie les coups de projecteur sur Italea, sa plateforme de promotion du tourisme des racines qui s’adresse à ses citoyens mais aussi à tous les descendants d’Italie désireux de renouer avec leurs origines. Le programme a été lancé par le ministère italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale dans le cadre des projets et plans de relance post-COVID italien et européen. Vingt groupes — un dans chaque région italienne — sont chargés d’informer, d’accueillir et d’accompagner les voyageurs issus de leurs racines.

D’autres nations, comme l’Irlande ou l’Écosse, incluent la quête des origines dans leur stratégie touristique et fournissent des outils aux acteurs du milieu pour fédérer leurs efforts. D’ailleurs, tant les guides Marie-Claire Prestavoine que Xavier Chambolle citent l’Écosse comme un exemple dont le Québec pourrait s’inspirer.

C’est ce qu’on fait déjà depuis quelques années à l’île d’Orléans avec La Maison de nos Aïeux ou encore de manière plus ambitieuse dans le Kamouraska avec plusieurs municipalités impliquées. La MRC a commandé en 2022 une étude à une équipe de l’Université Laval afin de mesurer le potentiel de la généalogie pour attirer les touristes.

Un pari à considérer puisque la région est le berceau de plus d’une vingtaine de familles souches comme les Bérubé, les Ouellet ou les Miville-Deschênes.

La direction de la MRC a indiqué au Soleil ne pas avoir encore eu la chance de mettre en pratique toutes les pistes d’actions suggérées dans le cadre de l’étude. N’empêche, plusieurs initiatives portées par les municipalités et organisations dynamiques font déjà partie de l’offre touristique comme les Archives de la Côte-du-Sud, le Musée régional de Kamouraska ou le Fil rouge. Les touristes peuvent aussi suivre un des 24 circuits généalogiques proposés sur le site Web Les Passeurs de Mémoire qui retracent l’histoire des premiers arrivants, les lieux où ils ont vécu, les métiers qu’ils exerçaient et les commerces qu’ils tenaient.

Tous les ingrédients sont là

À Québec, à défaut d’avoir des parcours généalogiques clés en main, on peut compter sur des guides comme Xavier Chambolle. L’Alsacien d’origine a trouvé sa niche dès 2017 dans la Capitale-Nationale et en Chaudière-Appalaches avec ses parcours touristiques personnalisés. La multiplication des clients qui se présentaient avec en main leur arbre généalogique l’a conduit au tourisme de racines.

Xavier Chambolle, guide touristique propriétaire Tours Accolade (Pascale Lévesque)

«C’est simplement le lieu parfait pour parler de l’histoire de la Nouvelle-France», insiste M. Chambolle. «Il y a bien sûr le décor exceptionnel, mais aussi la facilité d’accès aux documents anciens.» L’historien Marcel Fournier précise d’ailleurs que le Québec fait l’envie du monde entier avec qualité exceptionnelle de conservation de ses archives.

Appuyé par un développeur informatique et une généalogiste certifiée, le guide touristique peut maintenant mettre en lien plus de 2000 ancêtres de sa base de données avec celles de ses clients pour en faire ressortir les personnages les plus intéressants et planifier un parcours sur mesure. Et ce qui lui plaît le plus, c’est de faire ressortir les détails de batailles, procès ou exploits plus discrets, mais tout aussi importants qui sont au menu de ses trajets. Ce qu’on lit moins dans les livres d’histoire.

«C’est un peu bizarre, mais des fois, j’ai l’impression de modestement connaître ces pionniers. J’ai le sentiment d’avoir une fenêtre entrouverte sur ce qu’ils ont vécu et c’est ce que j’adore le plus transmettre dans les tours. L’histoire des gens originaires, influencés par leur époque, c’est aussi ça qui nous permet de comprendre qui nous sommes», assure Xavier Chambolle.

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