La lettre certifiée de Jeanne Mance révèle la force de frappe des Iroquois face aux colons
Acculée et barricadée, Jeanne Mance implore l’aide de la France contre les Iroquois.
Un extrait de la lettre de Jeanne Mance à Paul de Chomedey de Maisonneuve
Photo : Archives du Séminaire de Québec
Publié le 23 janvier à 4 h 00 HNE
De nouveaux documents d’époque exceptionnels reliés à Jeanne Mance (1606-1673) éclairant sur la création de Montréal confirment que les Iroquois étaient sur le point d’anéantir la colonie française par leurs tactiques guerrières.
L’heure est grave en Nouvelle-France. Nous sommes vers 1653 et les raids répétitifs des Iroquois forcent Jeanne Mance à appeler la métropole à l’aide. Dans une lettre qui lui est attribuée et aujourd’hui certifiée comme authentique, la cofondatrice de Montréal implore Paul de Chomedey de Maisonneuve d’envoyer une centaine de colons-soldats pour empêcher les Autochtones de remporter la guerre.
Cette lettre est une découverte majeure, lance en entrevue téléphonique Paul Labonne, le directeur général du Musée des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu de Montréal. C’est lui qui, après une enquête minutieuse dans les fonds du Séminaire de Québec, a pu identifier Jeanne Mance dans les documents en question.
La lettre de Jeanne Mance fait partie d’un corpus que l’on croyait disparu à jamais depuis l’incendie de l’Hôtel-Dieu en 1695, précise le directeur. On y découvre dans les propres mots de la cofondatrice de Montréal les raisons qui la poussent à demander le soutien armé de la France.
Les Iroquois après la défaite qu’ils firent des Hurons étant devenus beaucoup plus orgueilleux et insolents qu’ils n’avaient encore été, recommencèrent à nous incommoder et à nous attaquer si souvent et si fréquemment qu’ils ne donnaient point de relâche.
Une citation de Extrait de la lettre de Jeanne Mance, environs 1665
La colonie traverse en effet des jours très précaires. Les Iroquois, alors alliés des Anglais, viennent de remporter la rude bataille qu’ils menaient contre les Hurons. Ils lorgnent dorénavant Montréal, qu’ils seraient sur le point de faire tomber.
À l’époque, la colonie barricadée est véritablement en crise. Les attaques menées par les Autochtones demeuraient incessantes et, sans l’aide accordée par la Couronne, Montréal aurait tout simplement été rayée de la carte, raconte M. Labonne.
Afin de sauver la colonie des barbares et furies insolentes, qu’elle qualifie ainsi dans sa missive, Jeanne Mance est d’ailleurs prête à payer les frais de voyage à partir d’une somme octroyée par la mécène Angélique Faure Bouillon. Le montant de 22 000 livres est faramineux pour le 17e siècle : c’est l’équivalent d’un million de dollars aujourd’hui.
Jeanne Mance fait face à la force de frappe des Iroquois. Ces derniers vont concentrer leurs efforts de guerre sur Montréal, notamment pour des raisons commerciales qui seront à l’origine de nombreux conflits avec les Français, renchérit Paul Labonne.
Selon Taiaiake Alfred, chercheur et conseiller principal sur la gouvernance autochtone à l’Université McGill, la lettre est d’une grande importance historique puisqu’elle confirme ce que les Mohawks savaient déjà de leurs ancêtres iroquois, les Haudenosaunee, et des relations conflictuelles qu’ils entretenaient avec les premiers colons français.
On constate à la lecture de la lettre que les Français se sentent totalement abandonnés et que la plupart d’entre eux sont même prêts à retourner chez eux, de l’autre côté de l’Atlantique, explique au bout du fil Taiaiake Alfred, auteur de plusieurs ouvrages sur l’identité et l’histoire autochtones, notamment le remarqué It’s All about the Land.
À deux doigts de remporter la bataille
Le Mohawk, membre de la communauté de Kahnawake, souligne que sans l’arrivée de régiments comme celui de Carignan-Salières aussitôt dépêché en Nouvelle-France en 1665 pour mettre un terme aux raids iroquois dans la vallée du Saint-Laurent, le cours de l’histoire aurait probablement été tout autre.
Ce n’est pas la volonté qui a permis aux Français de rester sur le territoire et de développer leur colonie, mais la chance, l’argent et l’appui militaire, souligne le chercheur. D’un autre côté, grâce à une stratégie guerrière complexe, on constate que les Iroquois ont nourri un véritable désir de déloger les colons, et ce, au péril de leur vie.
Le principal objectif des Haudenosaunee était de déloger les colons français de la région. On réalise qu’ils ont été à deux doigts d’y parvenir, ce qui aurait probablement mis en péril l’existence même d’une présence française en Amérique du Nord.
Une citation de Taiaiake Alfred, historien et auteur
L’époque est cruciale en ce qui concerne l’histoire du Canada, rappelle-t-il. Les colonies françaises et anglaises se multiplient, les alliances entre les Blancs et les Autochtones sont menées parallèlement à l’accaparement des territoires. C’est là que tout se décide et les empires européens ont bien compris que, sans la force et les armes, ils n’y parviendraient jamais.
Malgré l’issue du conflit – les guerres iroquoises prennent fin avec la Grande Paix de Montréal, en 1701 –, le Mohawk se dit fier du combat de ses ancêtres et de l’attachement qu’ils avaient pour la défense de leur terre.
D’une perspective autochtone, les Premières Nations ont subi l’arrivée des Européens comme une invasion. Le récit national enseigne que c’était inévitable, que les Européens étaient là pour gagner. Les batailles acharnées menées par les Haudenosaunee prouvent le contraire, que rien n’est écrit à l’avance.
Le chercheur regrette toutefois que sa communauté n’ait pas été consultée durant les recherches qui ont été menées pour identifier les documents d’archives, dont le testament de Jeanne Mance. Cette histoire ne concerne pas seulement la fondation de Montréal, elle concerne également le passé de notre peuple et les politiques militaires adoptées par le pouvoir colonial pour tenter de nous éradiquer.