Espaces piétonniers

Une étude sur le premier et dernier km autour du transport collectif

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Trop d’arrêts d’autobus difficiles d’accès


PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE
L’objectif de l’étude était de déterminer si les points d’accès aux transports en commun étaient « marchables », autrement dit si les risques pour s’y rendre sont élevés, modérés ou faibles.

L’accès aux arrêts d’autobus, aux stations de métro et aux gares de trains de la région de Montréal est encore souvent difficile, surtout pour les usagers plus vulnérables, révèle une nouvelle étude de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Ses auteurs appellent les autorités à mieux choisir les emplacements pour faciliter le parcours du « dernier ou du premier kilomètre ».

Publié à 1h01 Mis à jour à 5h00
Henri Ouellette-Vézina
LA PRESSE

« Il y a énormément d’endroits qui ne sont ni sécuritaires ni conviviaux pour embarquer, débarquer de l’autobus ou même attendre un autobus. C’est pareil avec le métro ou le train. Même pour se rendre chez soi, ce n’est pas facile. Souvent, il n’y a pas de traverses sécuritaires pour aller vers un quartier résidentiel, par exemple », affirme la professeure et auteure de l’étude Marie-Soleil Cloutier.

Dans la dernière année, l’étudiant Philippe Brodeur-Ouimet et Mme Cloutier se sont attelés avec leur équipe à cartographier 20 000 arrêts d’autobus de la grande région de Montréal, mais aussi les 68 stations du métro et leurs 275 sorties, ainsi qu’une soixantaine d’accès et de sorties de gares de train.

Simultanément, des marches ont aussi été organisées pour observer la situation sur le terrain dans une quinzaine de stations plus névralgiques, en compagnie d’usagers vulnérables, dont des aînés, des parents avec enfants ou des personnes handicapées.

L’objectif était de déterminer si ces stations sont « marchables », autrement dit si les risques pour s’y rendre sont élevés, modérés ou faibles. Une série de facteurs étaient pris en compte pour y arriver, tels que la densité de la route, le caractère accidentogène du secteur, la canopée, les aménagements piétonniers et cyclistes qu’on y retrouve ou encore la taille de la population.

L’organisme Trajectoire Québec, dont le mandat est de défendre les intérêts des usagers du transport collectif, a aussi collaboré à l’étude. Selon sa directrice générale, Sarah V. Doyon, « le principe était surtout d’étudier la sécurité perçue avant et après le transport collectif, dans le dernier kilomètre, parce qu’on a très peu de données là-dessus ». « C’est un bout ignoré par la recherche jusqu’ici », déplore-t-elle.

Des installations peu adaptées

Ultimement, le constat que font Mme Cloutier et son équipe est dur. « Non seulement la majorité des stations ne sont pas adaptées, mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est que souvent, les quartiers où c’est le moins sécuritaire et convivial, ce sont les endroits où il y a énormément de gens qui prennent le transport collectif », note la spécialiste des questions de sécurité routière.

À l’inverse, les endroits considérés comme les plus sécuritaires « sont souvent des villes de banlieue, avec un bassin d’usagers moins grand », raisonne-t-elle.

C’est comme si la question du sentiment de sécurité des usagers n’avait jamais été véritablement prise en compte. Ça, il faut que ça change.

Marie-Soleil Cloutier, auteure de l’étude de l’Institut national de la recherche scientifique

« On ne parle pas de reconstruire la ville au complet, mais de mieux choisir les lieux des arrêts pour prendre en compte la sécurité des gens, et pas juste la fluidité et la rapidité des déplacements. Le réflexe piéton doit être là. »


CARTE TIRÉE DE L’ÉTUDE DE L’INRS
Carte traduisant le potentiel piétonnier de la région de Montréal

Sarah V. Doyon espère voir la donne changer bientôt, ce qui permettrait au passage de relancer la fréquentation du transport collectif. « Si tu veux prendre le métro ou l’autobus, te sentir en sécurité pour t’y rendre, c’est déterminant. Il y a des gens qui encore aujourd’hui nous disent qu’ils s’empêchent de sortir l’hiver, d’aller à certains arrêts. Et c’est tellement dommage », souffle-t-elle.

« Tout n’est pas noir, il y a de très bons aménagements en place. Mais il y a aussi beaucoup d’arrêts d’autobus où on a simplement installé un poteau et une pancarte. En territoire périurbain, on le remarque beaucoup », ajoute la DG.

Mieux s’arrimer pour changer

Au-delà des aménagements, Trajectoire Québec appelle surtout à une meilleure communication entre les sociétés de transport et les autorités municipales.

Une tournée de sensibilisation auprès des sociétés de transport et des décideurs politiques est prévue après la publication de l’étude, dès ce mercredi. « On veut faire connaître cette nécessité de se parler entre acteurs, de mieux s’arrimer pour trouver des solutions et inverser cette tendance », conclut Mme Doyon.

Jointe au téléphone, la directrice de Piétons Québec, Sandrine Cabana-Degani, espère aussi que cette étude contribuera à faire évoluer les mentalités de ce côté, surtout chez les décideurs politiques et organisationnels.

« Si ça peut faire en sorte qu’on pense à cet aspect-là quand on planifie les projets de transport collectif et à collaborer avec les arrondissements, ça serait déjà beaucoup. Je pense qu’on veut vraiment arriver à des projets qui sont planifiés de façon intégrée pour répondre aux besoins des citoyens sur l’ensemble des déplacements. Il faut le viser », conclut Mme Cabana-Degani.

Communiqué de presse

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Transports collectifs : une équipe de l’INRS se penche sur la qualité du réseau piétonnier autour des stations de la grande région de Montréal

NOUVELLES FOURNIES PAR
Institut National de la recherche scientifique (INRS)
Janv 17, 2024, 05:00 ET

Les populations vulnérables sont exposées à davantage de risques dans leur accès aux transports en commun

MONTRÉAL, le 17 janv. 2024 /CNW/ - Si, pour beaucoup de personnes usagères, la marche jusqu’à la prochaine station de métro ou le prochain arrêt d’autobus semble anodine, il n’en va pas de même pour toutes les populations. Le manque d’accessibilité universelle du territoire et l’insécurité routière lors de traversées de rues peuvent avoir de sérieuses incidences sur les personnes piétonnes vulnérables comme les personnes âgées et les familles avec de jeunes enfants. Il s’agit d’un véritable enjeu en matière de justice environnementale : les groupes sociaux les moins favorisés sont aussi ceux ayant le moins accès à des options saines pour eux-mêmes et pour l’environnement.

De G à D: La professeure Marie-Soleil Cloutier, directrice du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, avec le candidat à la maîtrise en études urbaines Philippe Brodeur-Ouimet, dans leur laboratoire Laboratoire Piétons et Espace urbain (LAPS), à Montréal. (Groupe CNW/Institut National de la recherche scientifique (INRS))

De G à D: La professeure Marie-Soleil Cloutier, directrice du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, avec le candidat à la maîtrise en études urbaines Philippe Brodeur-Ouimet, dans leur laboratoire Laboratoire Piétons et Espace urbain (LAPS), à Montréal. (Groupe CNW/Institut National de la recherche scientifique (INRS))

C’est ce que démontrent les récents articles publiés par la professeure Marie-Soleil Cloutier, directrice du Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS, et par le candidat à la maîtrise en études urbaines Philippe Brodeur-Ouimet. Ces travaux leur ont d’ailleurs valu le prix du meilleur article scientifique du comité piéton à l’occasion du congrès annuel du Transportation Research Board, qui se tenait à Washington du 7 au 11 janvier 2024.

« C’est une très belle consécration de notre recherche menée sur les réalités du terrain. Nos travaux mettent en évidence les vulnérabilités de certaines populations lors de l’accès au transport collectif. Si l’on souhaite que les usagers délaissent la voiture pour des moyens de transport durables, il est indispensable de sécuriser et de démocratiser les axes piétonniers qui mènent aux stations de bus, de train et de métro », souligne la professeure Marie-Soleil Cloutier, experte en sécurité routière.

Ces travaux viennent combler une lacune dans la littérature scientifique sur ce que l’on appelle « le premier et le dernier kilomètre » (first-mile / last mile), soit la perspective d’équité dans les déplacements pour accéder et quitter le réseau de transport collectif.

La marchabilité, un élément essentiel de la justice environnementale

La chercheuse et son équipe, dans le cadre d’un projet en collaboration avec Trajectoire Québec, mettent les projecteurs sur le concept de marchabilité, c’est-à-dire la capacité d’un environnement urbain à permettre des déplacements faciles et sécuritaires pour les piétons. Cette notion fait partie intégrante de la réflexion en matière d’accès aux transports en commun. Or, plus les trajets sont complexes, plus les enjeux de justice environnementale sont grands.

Le manque d’infrastructures piétonnes adéquates crée aussi de l’insécurité routière pour ces personnes piétonnes vulnérables. En outre, les conditions météorologiques dressent parfois des obstacles insurmontables en raison de l’impossibilité de rouler pour ceux qui ont des aides à la mobilité et des poussettes, ou de la crainte de chuter pour ceux ayant des limites physiologiques comme un problème d’équilibre ou des limitations fonctionnelles.

Ces situations affectent directement l’expérience de l’usagère ou de l’usager avec du stress, de la frustration et un danger pour sa santé et sa sécurité.

Résultat : plusieurs personnes vont préférer rester avec la voiture solo au lieu de changer pour le transport en commun. Et surtout, ces limites d’inaccessibilité condamnent ces groupes vulnérables, parfois dépendants du transport collectif, à limiter leurs déplacements - et par conséquent, les contraignent à l’isolement.

« Si l’on veut diminuer la place de l’automobile en ville, mais aussi améliorer la qualité de vie de certains groupes, la réflexion débute dès l’instant où les piétonnes et piétons quittent leur domicile ou leur lieu de travail », indique Philippe Brodeur-Ouimet. « C’est une question d’équité », conclut-il.

On peut lire l’étude à la page 65 de cette revue (ou 33 sur 45)

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