Résumé
Le gouvernement Legault enterre définitivement ses Espaces bleus
Par Olivier Bossé, Le Soleil
4 mars 2024 à 04h00
La création du réseau des Espaces bleus, dont on voit ici une perspective promotionnelle de ce que le gouvernement souhaitait créer dans le Vieux-Québec, n’aura finalement pas lieu. (Ministère de la Culture et des Communications du Québec)
Les Espaces bleus sont morts et enterrés. À cause d’importants dépassements de coûts, le gouvernement Legault abandonne de façon officielle et définitive son projet d’ouvrir des musées sur la culture québécoise dans chaque région du Québec.
Comme Le Soleil en faisait état sur ses écrans dès janvier, le réseau des Espaces bleus ne verra jamais le jour. Cette fois, la confirmation vient du ministre de la Culture et des Communications lui-même, Mathieu Lacombe.
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Le premier ministre François Legault a lancé en grande pompe le projet d’un réseau de musées 100 % québécois, en juin 2021. Identité, culture, patrimoine, histoire, grandes personnalités, toute la fierté québécoise devait y être distillée et racontée à tous, dans les 17 régions administratives.
Moins de trois ans plus tard, le ministre Lacombe met la hache dans le projet initié par sa prédécesseure, Nathalie Roy.
«Considérant notamment l’explosion des coûts de construction au Québec, j’ai fait le constat difficile qu’il est temps de passer à autre chose», a confirmé le ministre Lacombe, en entrevue au Soleil.
Le ministre québécois de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, confirme que le projet des Espaces bleus ne verra jamais le jour. (Patrick Woodbury/Archives Le Droit)
Il s’agit du premier dossier auquel le ministre s’est attaqué à son entrée en poste, après la réélection de la Coalition avenir Québec (CAQ) en octobre 2022. Il a vite réalisé qu’un budget initial de construction de 262,2 millions était «devenu nettement insuffisant pour s’installer dans chacune des régions du Québec».
«C’est la meilleure décision dans les circonstances, poursuit-il. J’aurais pu m’entêter à vouloir continuer ce réseau-là, qui est un bon concept à la base. Mais dans un contexte d’explosion des coûts, ça nous aurait coûté une fortune, alors que d’autres institutions culturelles nous demandent de l’argent. Si j’avais fait ça, je pense qu’on m’aurait blâmé de l’avoir fait.»
Quatre survivants
Seuls les quatre lieux où des travaux sont déjà amorcés en conserveront quelque chose, mais pas le nom d’Espaces bleus.
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Déjà des dépassements de coûts pour les Espaces bleus
On parle du pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, dans le Vieux-Québec, de l’ancien couvent des Petites Franciscaines à Baie-Saint-Paul, de la villa Frederick-James de Percé et du Vieux-Palais d’Amos.
Photo prise en juillet 2022 du chantier de ce qui devait devenir la maison mère des Espaces bleus, dans le Vieux-Québec. (Yan Doublet/Archives le Soleil)
Juste à eux quatre, ces espaces muséaux menaçaient de faire sauter la banque avec plus de 200 millions en factures de construction attendues, fait valoir M. Lacombe.
Le budget du projet de Québec, de plus grande ampleur pour ce qui devait devenir la maison mère du réseau des Espaces bleus, a déjà presque doublé les 47,3 millions d’abord panifiés, en 2021, pour atteindre aujourd’hui 92 millions. Ce qui ne l’empêchera pas d’aller de l’avant sous une autre forme. Une annonce est prévue bientôt.
Déjà en janvier, M. Legault précisait vouloir «bien réussir le musée de Québec» en collaboration avec le Musée de la civilisation. Mais il n’excluait plus de réviser l’idée d’implanter un musée des Espaces bleus dans chaque région.
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Pour celui de Percé, qui est pour ainsi dire complété, les coûts ont bondi de 21 à 25,5 millions. À Amos, on parle maintenant de 32,9 millions au lieu de 26,1 millions. Et sans même avoir encore commencé, les travaux à Baie-Saint-Paul auraient plutôt coûté 56 millions, au lieu des 30 millions d’abord budgétés.
Pas «des éléphants blancs»
Les bâtiments patrimoniaux visés à Percé, à Amos et à Baie-Saint-Paul avaient de toute façon besoin d’être retapés, affirme le ministre Lacombe. Il assure que ces «bâtiments ne vont pas devenir des éléphants blancs».
Les trois députés locaux, soit Kariane Bourassa (Charlevoix—Côte-de-Beaupré), Stéphane Ste-Croix (Gaspé) et Suzanne Blais (Abitibi-Ouest), ont maintenant comme mission de «déterminer, avec leur communauté, quel projet doit prendre place dans chacun des emplacements», dit le ministre.
Ce ne doit pas obligatoirement être des projets culturels ou muséaux, mais bel et bien «les meilleurs projets possibles, culturels ou non», a tranché M. Lacombe.
S’il continue de croire que «le concept des Espaces bleus était une bonne idée», le ministre québécois de la Culture constate que «l’explosion des coûts de construction n’était pas prévisible. Ça nous est tombé dessus».
Par souci d’équité entre les régions et envers les autres organismes culturels qui réclament aussi de l’argent public, M. Lacombe considère que «la décision la plus responsable dans le contexte actuel des finances publiques» s’avérait donc de mettre fin aux Espaces bleus.
VIE ET MORT DES ESPACES BLEUS
Depuis son grand lancement il y a moins de trois ans par François Legault lui-même, le projet du réseau de musées des Espaces bleus a vu sa facture gonfler sans cesse et la volonté du gouvernement de le mener à terme se dégonfler.
10 juin 2021
Le premier ministre François Legault annonce en grande pompe la création des Espaces bleus, un réseau de musées nouveau genre consacrés à l’identité, la culture et l’histoire du Québec.
Accompagné de la ministre de la Culture d’alors, Nathalie Roy, M. Legault déclare : «On veut redonner vie à nos grandes réussites historiques. On veut faire le lien entre nos héros du passé et ceux du présent. Et on veut que ça touche l’ensemble des Québécois.» Le budget annoncé est de 262 millions.
La tête du réseau se trouvera dans le Vieux-Québec, au Séminaire, grâce à un investissement de 47 millions et un budget de fonctionnement de 4,4 millions par année. L’Espace bleu de Québec sera le plus important des 17 à naître, un par région administrative du Québec.
La ministre de la Culture de l’époque, Nathalie Roy, en 2021, lors du lancement du projet des Espaces bleus. (La Presse Canadienne)
Juin 2022
Le prix total pour créer le réseau des Espaces bleus est dorénavant évalué autour de 300 millions, soit déjà en hausse de 15 %. Fixer le montant de la facture totale des Espaces bleus serait «de la pure fiction», admet alors celui qui supervise le projet, le directeur du Musée de la civilisation, Stéphan La Roche.
Décembre 2022
D’autres dépassements de coûts sont confirmés. Les montants prévus pour les quatre Espaces bleus mis jusqu’ici sur les rails ont tous déjà bondi de 5 % à 37 %. La facture de la maison mère du Vieux-Québec est dorénavant chiffrée à 60 millions, au lieu des 47 millions annoncés au début.
Il devient toutefois impossible d’obtenir un montant global budgété par le gouvernement pour l’ensemble du projet.
Mars 2023
Les trois Espaces bleus qui sont sur le point d’ouvrir leurs portes voient plutôt leur date d’inauguration retardée de six mois à plus de deux ans.
La villa Frederick-James, à Percé (Simon Carmichael/Archives Le Soleil)
L’ouverture de celui logé dans la villa Frederick-James de Percé, en Gaspésie, est officiellement repoussée de juin 2023 à janvier 2024. Mais on réalise maintenant que les visiteurs ne devraient y entrer qu’à l’été 2024.
Les échéanciers des Espaces bleus installés au pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec et dans le Vieux-Palais d’Amos sont pour leur part repoussés dans le temps de plus de deux ans, passant de 2023 à 2025.
Le projet d’Espace bleu qui devait ouvrir dans l’ancien couvent des Petites Franciscaines de Marie, à Baie‑Saint‑Paul, demeure quant à lui paralysé et n’a toujours pas franchi l’étape de la planification.
25 janvier 2024
François Legault semble lui-même mettre la table à un abandon partiel du projet de réseau panquébécois de musées de la fierté. «Est-ce qu’on doit en faire un dans chaque région? Il ne faut pas exclure ça. Mais je veux qu’on se concentre d’abord à bien réussir le musée à Québec», commente le premier ministre, en marge du caucus présessionnel de son parti, à Sherbrooke.
4 mars 2024
Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, annonce officiellement la fin du projet.