J’ai trouvé ce problème suffisamment préoccupant pour ouvrir un fil spécifiquement sur le sujet, car il nous concerne tous, pas seulement sur le plan personnel, au présent, mais pour l’avenir des générations et de la planète toute entière.
Résumé
Nos corps imprégnés
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« Nous commençons tout juste à réaliser que les microplastiques sont partout, y compris dans notre corps », affirme Christy Tyler, professeure de sciences de l’environnement à l’Institut de technologie de Rochester.
Publié à 5 h 00
Que sont les microplastiques ?
Les microplastiques sont de minuscules morceaux de plastique, dont la taille peut varier entre 1 μm (1 micromètre, soit la taille d’une bactérie) et 5 mm. En deçà de 1 micromètre, on les appelle nanoplastiques.
« Ce n’est pas un polluant unique. Ça peut être des plastiques de toutes sortes, qui peuvent prendre différentes tailles et différentes formes », explique Christy Tyler, professeure de sciences de l’environnement à l’Institut de technologie de Rochester.
« Le problème avec le plastique, c’est qu’il ne devient jamais autre chose que du plastique », souligne Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique, à Albuquerque.
PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DU NOUVEAU-MEXIQUE
Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique
Le plastique se fragmente en particules de plus en plus petites, sous l’action de la chaleur, des UV et du temps.
Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique
Or, plus les microplastiques sont petits, plus ils peuvent pénétrer profondément dans notre corps. Et moins ils sont faciles à détecter. « On a souvent en tête l’image du doigt recouvert de petites particules de plastique. Mais ce qu’on retrouve dans notre corps, c’est beaucoup, beaucoup plus petit que ça », souligne Matthew Campen.
De nombreux organes touchés
Ces dernières années, les études se sont multipliées à ce sujet. Chez l’humain, des microplastiques ont été trouvés dans le sang, le lait maternel, les testicules, le foie, les reins, les poumons, le cerveau…
Et dans des quantités loin d’être négligeables : par exemple, en réalisant des prélèvements sur des cerveaux de personnes décédées, Matthew Campen et son équipe ont trouvé tellement de microplastiques que cela représentait 0,5 % du poids total des échantillons.
Plus préoccupant encore, l’exposition aux microplastiques débute avant la naissance : des scientifiques en ont trouvé dans le placenta, mais aussi dans les selles des nouveau-nés, à des concentrations 10 fois supérieures par rapport à des selles d’adultes.
Et plusieurs études ont montré que la quantité et la variété des microplastiques auxquels nous sommes exposés augmentent, année après année.
Pourquoi est-ce un problème ?
« On ne sait pas encore vraiment si c’est leur petite taille ou les produits chimiques qu’ils contiennent qui pourraient poser problème », explique Tracey Woodruff, directrice du programme sur la santé reproductive et l’environnement de l’Université de Californie à San Francisco.
De la même façon que les particules fines peuvent encrasser nos poumons, les microplastiques peuvent s’infiltrer dans nos organes, s’y loger et pourraient, éventuellement, y causer une inflammation.
Par ailleurs, il a déjà été prouvé que plusieurs produits chimiques relâchés par les plastiques sont néfastes pour la santé humaine, comme les phtalates, les PFAS ou le bisphénol A. Mais ces substances pourraient n’être que la pointe de l’iceberg de ce que peuvent relâcher les microplastiques qui s’accumulent dans notre corps.
Au printemps dernier, des chercheurs suisses et norvégiens ont publié une base de données, la plus complète à ce jour, répertoriant les 16 000 produits chimiques utilisés ou présents dans les matières plastiques. Pour plus de 10 000 d’entre eux, on ne sait pas s’ils sont dangereux ou non, en raison du peu d’information dont on dispose à leur sujet. Plus de 4200 sont jugés préoccupants pour la santé ou l’environnement ; et parmi ceux-ci, 3600 ne sont pas régulés actuellement.
Un risque pour la santé ?
Les microplastiques sont parfois qualifiés de « tueurs invisibles ». Mais ce n’est pas tout à fait ce que disent les scientifiques.
On n’est pas encore capables de relier notre exposition aux microplastiques avec des conséquences sur la santé.
Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique
Mais les études montrant des liens préoccupants s’accumulent.
Par exemple, des chercheurs ont montré qu’il y avait plus de microplastiques dans le placenta chez des femmes ayant accouché de bébés prématurés. Que l’accumulation de microplastiques dans le cerveau était liée à un plus haut risque de démence. Que leur présence dans les parois des artères était associée à un plus haut risque de maladie cardiovasculaire.
Mais cette accumulation est-elle un signe de défaillance de l’organe ? Ou à l’inverse, cette défaillance a-t-elle été causée par cette accumulation de microplastiques ?
« C’est un peu la question de l’œuf ou la poule », résume Matthew Campen.
On a également retrouvé des microplastiques dans les testicules et les selles, et ce, alors que la fertilité masculine est en baisse, et que les cancers de l’intestin chez les jeunes adultes sont en hausse. Mais là encore, le lien de cause à effet reste difficile à établir. « On ne sait pas à quel point les microplastiques ont un rôle là-dedans », souligne Tracey Woodruff.
Toujours est-il que tous les chercheurs interrogés par La Presse, bien que prudents sur cette question, sont très inquiets de ce que cette accumulation pourrait provoquer sur le long terme.
« C’est un problème qui nous concerne, mais qui concerne aussi les générations à venir », souligne Steve Allen, chercheur au sein
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On en mange, on en respire
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Voici l’équivalent de 5 grammes de microplastiques, soit la quantité qu’on pourrait ingérer chaque semaine, selon de récentes études.
Des microplastiques s’accumulent de plus en plus dans notre corps. Mais comment parviennent-ils à y pénétrer ? Les scientifiques ont identifié deux voies d’exposition principales : l’ingestion et l’inhalation.
Publié à 5 h 00
Au menu, tous les jours
Les études sur l’alimentation se sont d’abord concentrées sur le poisson et les fruits de mer, en raison des préoccupations soulevées par la présence croissante de microplastiques dans les océans.
Plus récemment, des chercheurs ont montré qu’on pouvait en retrouver aussi dans toute une série d’aliments (fruits et légumes, viande, lait, riz, sucre, miel, sel…), et dans l’eau potable – dans l’eau en bouteille, mais également dans celle du robinet.
Donc une chose est sûre : nous mangeons quotidiennement des microplastiques. Mais comment se sont-ils retrouvés dans notre assiette ?
L’emballage, généralement en plastique, est souvent montré du doigt ; en particulier, le polystyrène en contact avec la viande, ou les bouchons des bouteilles de plastique qui relâchent des particules à force d’être vissés et dévissés.
La transformation des aliments est aussi remise en question : il est par exemple recommandé d’éviter de consommer trop d’aliments ultratransformés, qui ont été en contact de nombreuses fois avec du plastique au cours de leur préparation.
Qu’est-ce qu’un aliment ultratransformé ?
Il s’agit d’un aliment produit de façon industrielle en plusieurs étapes, à partir de plusieurs ingrédients, et qui, souvent, a nécessité l’ajout de produits chimiques ou d’additifs au cours de sa transformation.
Parmi les aliments ultratransformés, on retrouve notamment les céréales à déjeuner, les barres tendres, les gâteaux, pains et biscuits industriels, les boissons sucrées, les bonbons, les mets prêts-à-manger (pizzas, soupes en conserve, croquettes de poulet, repas congelés…) et les yogourts aromatisés.
Lisez « Savez-vous repérer les aliments ultratransformés ? »
Mais pour Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique, le problème est peut-être ailleurs. « On soupçonne que l’agriculture pourrait être une pièce clé de ce casse-tête », explique-t-il.
Selon lui, notre alimentation pourrait être contaminée beaucoup plus en amont, avant même que les aliments ne soient transformés ou emballés. Cela pourrait être dû par exemple à l’utilisation dans les champs d’eau ou de boues d’épuration employées comme fertilisant, et chargées en microplastiques.
Les microplastiques s’accumuleraient ainsi dans les champs au fil des années, et contamineraient les végétaux qu’on y fait pousser. Ces microplastiques remonteraient ensuite la chaîne alimentaire, en passant éventuellement par le bétail, pour finir dans notre assiette.
Du plastique dans l’air
L’air contient lui aussi une grande quantité de microplastiques, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur.
PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ DE GRONINGUE
Barbro Melgert, professeure d’immunologie respiratoire à l’Université de Groningue
À chaque respiration, on inhale des microplastiques. Certains chercheurs pensent que cela pourrait représenter jusqu’à 50 % de notre exposition.
Barbro Melgert, professeure d’immunologie respiratoire à l’Université de Groningue, aux Pays-Bas
Plusieurs études ont montré que l’air en intérieur contenait, en moyenne, 50 fois plus de microplastiques qu’à l’extérieur, voire plus.
Dans les maisons, la grande majorité de ces microplastiques sont des fibres issues de vêtements, de meubles, de tapis, de papiers peints…
À l’extérieur, la qualité de l’air varie grandement d’un endroit à l’autre ; mais les scientifiques ont montré que si on est proche d’une route et en heure de pointe, la quantité de microplastiques contenus dans l’air augmente considérablement.
En quelles quantités ?
S’il ne fait aucun doute qu’on respire et qu’on avale des microplastiques au quotidien, plusieurs incertitudes demeurent : quelle est la voie d’exposition prédominante, et à quelle quantité est-on exposé chaque jour. « Il n’y a pas encore de consensus sur la question », indique Steve Allen, chercheur au sein de l’ONG Healthy Earth.
Un rapport du Fonds mondial pour la nature (WWF) publié en 2019 suggère qu’on pourrait ingérer environ 5 grammes de microplastiques par semaine, soit l’équivalent d’une carte de crédit.
Cette étude a depuis été fortement critiquée par des chercheurs remettant en question sa méthodologie, et le chiffre avancé est souvent considéré comme une surestimation.
Mais la question n’est pas complètement tranchée pour autant.
Une revue de la littérature publiée en juin dernier est arrivée à la même conclusion : on estime aujourd’hui qu’un adulte ingère entre 46 000 particules et 1,3 million de particules par an, soit environ 287 grammes par an… ce qui revient à un peu plus de 5 grammes par semaine. Et à cela s’ajoutent les 48 000 à 22 millions de particules de microplastiques qu’on inhale chaque année – voire plus si on vit dans une ville polluée.
Certains chercheurs, comme Matthew Campen, pensent même que ces 5 grammes par semaine pourraient être sous-estimés, puisque les techniques actuelles ne permettent pas de détecter les plus petits fragments de plastique, à l’échelle nanométrique. Or, plus on descend en échelle de taille, plus on trouve de microplastiques.
« On avale peut-être même une carte de crédit par jour. Mais rien n’est certain. On est encore en train de rassembler des données à ce sujet », souligne-t-il.
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Comment les éviter ?
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Les microplastiques sont omniprésents. On peut essayer de limiter notre exposition à ces particules de plusieurs façons. Mais le plus important reste la réduction à la source, martèlent les experts.
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Dans les aliments
Les chercheurs interrogés par La Presse ont émis quelques conseils « de base », comme éviter de chauffer un contenant de type Tupperware ou un biberon en plastique, ou de verser une boisson chaude dans un gobelet de plastique, ne serait-ce que pour éviter que des produits chimiques ne migrent du plastique vers la nourriture ou la boisson.
Manger des aliments moins transformés peut également permettre de diminuer la quantité de microplastiques qu’on ingère.
« Aller vers des aliments qui sont plus bas dans la chaîne alimentaire peut aussi aider, puisque cela permet d’avoir moins de microplastiques qui se sont accumulés », avance Tracey Woodruff, directrice du programme sur la santé reproductive et l’environnement de l’Université de Californie à San Francisco.
Pour simplifier : plus un animal s’est nourri au cours de sa vie de végétaux ou de proies contaminés par des microplastiques, plus il est susceptible d’en avoir lui-même stocké en grandes quantités – et donc, de nous y exposer à notre tour si nous consommons sa viande.
« Donc mieux vaut éviter de consommer trop de viande, en particulier de la viande grasse », résume Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique.
Dans l’air qu’on respire
Il est recommandé d’aérer son logement, de passer fréquemment l’aspirateur, d’utiliser éventuellement un purificateur d’air et d’éviter si possible les tapis en matières synthétiques.
« Pour ce qui est des vêtements synthétiques, les porter libère trois fois plus de microplastiques que les laver. Donc il est fort possible qu’on en respire directement lorsqu’on les porte, mais il n’y a pas encore eu d’étude à ce sujet », avance Barbro Melgert, professeure d’immunologie respiratoire à l’Université de Groningue, aux Pays-Bas.
Réduire à la source ?
De façon générale, les scientifiques recommandent d’éviter autant que possible les objets en plastique (planche à découper, couverts, contenants Tupperware, bouteilles d’eau…) lorsqu’il existe des solutions de rechange, pour limiter sa propre exposition, mais aussi – et surtout – celle des générations futures.
Certains chercheurs ont cependant souligné que, ne sachant exactement à quelle dose de microplastiques nous sommes exposés quotidiennement, il reste difficile d’estimer à quel point ces conseils permettent réellement de diminuer son exposition de façon importante.
Les microplastiques sont déjà dans les plats qu’on achète à l’épicerie, dans les aliments eux-mêmes, dans les sols des terres qu’on cultive… En fait, on ne peut pas vraiment les éviter. Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais on n’a pas vraiment de contrôle là-dessus.
Matthew Campen, professeur de sciences pharmaceutiques à l’Université du Nouveau-Mexique
L’individu peut difficilement lutter à son échelle contre ce problème grandissant, résume Steve Allen, chercheur au sein de l’ONG Healthy Earth. « Il faut surtout qu’on diminue la production de plastique. Donc le geste le plus important qu’on peut faire comme citoyen, c’est de voter pour des personnes qui légiféreront pour mieux encadrer cette industrie », affirme-t-il.
« Ça fait des années qu’on le répète, mais personne n’écoute les scientifiques. Et ce qui m’inquiète, c’est qu’on ait déjà atteint le point de bascule », ajoute-t-il.