Depuis juin, un conseiller municipal du centre-ville, Serge Sasseville, invite les citoyens à lui envoyer des photos de situations inacceptables observées dans les quartiers centraux de Montréal.
Il a été inondé d’images affligeantes.
Résumé
Centre-ville de Montréal « On a perdu le contrôle »
PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE
Serge Sasseville, conseiller municipal indépendant du centre-ville

Maxime Bergeron La Presse
Des tas de détritus balancés n’importe où. Des rats morts. Des seringues souillées. Le cadavre d’une femme sans-abri. Des cônes orange abandonnés à leur sort.
Publié à 0h46 Mis à jour à 5h00

Depuis juin, un conseiller municipal du centre-ville, Serge Sasseville, invite les citoyens à lui envoyer des photos de situations inacceptables observées dans les quartiers centraux de Montréal.
Il a été inondé d’images affligeantes.
Il les relaie méthodiquement sur ses comptes Instagram et Facebook. Son triste récit numérique pourrait s’intituler « le côté sombre de la métropole ».
« Ça me permet de mesurer encore plus à quel point le problème est grave, m’a-t-il lancé en entrevue. On a perdu le contrôle. »
Serge Sasseville, ancien haut dirigeant de Québecor, est dans une position privilégiée pour tirer la sonnette d’alarme au sujet de l’état du centre-ville.
Il s’est fait élire en 2021 dans le district Peter-McGill, au cœur de l’arrondissement de Ville-Marie, sous la bannière de l’équipe Coderre. Il a claqué la porte du parti l’année suivante pour siéger comme indépendant.
Des observations citoyennes
5/5
À ce titre, il n’a aucune obligation de respecter les lignes de la formation au pouvoir – Projet Montréal – ni celles de l’opposition. Un vrai électron libre.
Ce qui ajoute du poids à sa démarche : il habite le centre-ville, contrairement à d’autres élus de cet arrondissement. C’est un urbain pur jus, qui vit, travaille et sort tous les jours dans le quartier depuis des décennies.
Ce qu’il y voit l’inquiète de plus en plus.
« Avant-hier, je me promenais sur la rue Sherbrooke, m’a-t-il raconté jeudi. C’était complètement congestionné au coin de la rue Guy, où il y a un gros chantier. Il y avait des vidanges éventrées, ça sentait mauvais. »
Un autobus de touristes à deux étages est passé. J’ai vu un touriste, assis au deuxième étage, qui se pinçait le nez. J’ai eu tellement honte. Je me suis dit : “On est rendus là.”
Serge Sasseville, conseiller municipal
La gestion aléatoire des déchets est l’un des irritants le plus souvent mentionnés. Serge Sasseville remarque un manque de civisme de certains citoyens et commerçants, qui déposent leurs détritus n’importe où. Un fléau à Montréal, c’est vrai.
Mais il s’interroge surtout sur les poubelles de rue, toujours débordantes.
« Je sais qu’on a donné beaucoup de budget à la brigade propreté du centre-ville, mais ce n’est pas suffisant, avance-t-il. Je ne sais pas s’ils font du 9 à 5 ou quoi. »
En pleine saison touristique, il faudrait qu’il y ait du monde pour ramasser.
Serge Sasseville, conseiller municipal
La détresse humaine revient aussi fréquemment sur les dizaines de clichés qu’il reçoit. Une photo l’a troublé plus que toutes les autres : celle d’une femme sans-abri morte dans un parc du Quartier chinois.
La scène – corps inerte, tentative de réanimation par des ambulanciers – a été croquée sur le vif par une voisine, qui a tout vu de la terrasse de son condo. « On est rendus là. Tu vois des gens mourir dans la rue. »
Ses publications fréquentes dérangent à l’hôtel de ville. Serge Sasseville le sait. Il s’en fout. Il ne se représentera pas aux prochaines élections.
« Je sais que les gens n’aiment pas ça, a-t-il reconnu. Hier, à Tourisme Montréal, ils m’ont reproché d’être négatif, ils m’ont dit que je devrais être plus positif dans mes publications. »
J’ai commencé par être très positif et j’ai vu que ça ne donnait absolument rien.
Serge Sasseville, conseiller municipal
« Il faut arrêter de mettre des lunettes roses et de dire “c’est merveilleux, c’est beau Montréal”, quand le monde meurt dans la rue, que c’est sale, qu’il y a des infestations de rats, des sacs de vidanges éventrés… Tout ça est relié. »
Mais il ne se leurre pas : il doute que ses publications sur les réseaux sociaux changeront quoi que ce soit à la situation. Il entend quand même continuer à les diffuser pour montrer à quel point « l’administration au sens large a perdu le contrôle ».
« Ça ne peut pas durer. Il faut régler ça. »
Cette campagne menée par le conseiller indépendant est importante, même à sa toute petite échelle. Elle offre une forme de contrepoids à l’omniprésence numérique de l’administration Plante, qui souligne plusieurs fois par semaine ses bons coups à renfort de publications sur les réseaux sociaux.
Et oui, il faut le dire : tout ne va pas mal à Montréal, bien au contraire. Malgré la crise du logement, malgré l’itinérance galopante, malgré la hausse de la criminalité, malgré tous ces maux que vivent aussi d’autres grandes villes, la métropole reste un lieu vibrant. Le nombre de touristes a bondi de 4,3 % cet été, les étudiants étrangers sont nombreux, nos festivals rayonnent.
Mais il ne faut pas non plus se mettre la tête dans le sable.
Nommer – et montrer – ce qui cloche, comme le fait Serge Sasseville, est essentiel au redressement de la ville.