Édifices patrimoniaux - Ailleurs au Québec

Discussions et actualités sur les édifices patrimoniaux en dehors de Montréal et Québec.

Résumé

Meunier à bout de bras

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jean-Guy Tremblay, meunier du Moulin seigneurial des Éboulements

Jean-Guy Tremblay est né et a grandi dans le moulin des Éboulements où sa famille s’est installée en 1948. Il en garde de tendres souvenirs. « C’était notre terrain de jeu. Mais le soir, il fallait moudre les poches de grains pour les cultivateurs. » À l’époque, le moulin servait à produire une moulée pour le bétail. Il a depuis repris ses fonctions originales et moud une farine de blé et de sarrasin destinée aux touristes, aux habitants locaux et aux commerces du coin.

Publié le 14 septembre

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Isabelle Morin
Isabelle Morin La Presse

« Nos amis venaient jouer à la cachette. Là, il y avait un jeu de fléchettes, puis à côté, on avait mis une table de ping-pong », pointe le vieux meunier. Entre les deux, une immense roue poussée par le mouvement d’une rivière, s’agitant en dessous, activait de grandes meules en pierre entre lesquelles le grain était broyé.

« Ici, c’était chez nous ! Les parents n’avaient pas peur pour notre sécurité, non, se souvient M. Tremblay. On a appris à faire marcher le moulin à 9 ans, puis à 12, on se mettait debout pour arrêter les tracteurs ! »

Le moulin seigneurial des Éboulements est toujours son « chez-soi » et le seul de la province encore habité. Dans la partie domestique, étroite, la télé côtoie les murs blancs recouverts de chaux. À l’étage supérieur, on trouve cinq chambres qui accueillaient autrefois ses parents et leurs huit enfants. Les meuniers ont progressivement privilégié des habitations à l’extérieur des lieux en raison du bruit, de la poussière et de la machinerie. Pas Jean-Guy, qui y habite maintenant seul et souligne avec fierté l’immuabilité des choses : « Rien n’a pas bougé ici depuis 1792 ! »

Maintenir le patrimoine

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jean-Guy Tremblay a grandi dans ce moulin. Le bâtiment est encore aujourd’hui son terrain de jeu.

Jean-François Tremblay a construit ce moulin à farine en 1792. Ne cherchez pas de lien de parenté avec Jean-Guy, car lui-même l’ignore : « Des Tremblay, il n’y a rien que ça ici ! » Transmise de génération en génération et par alliance, cette pièce patrimoniale a été reprise en 1962 par Héritage canadien du Québec, un organisme à but non lucratif et non gouvernemental qui assure la conservation de plusieurs bâtiments ancestraux.

Le territoire de la seigneurie a été subdivisé au début du XXe siècle. Toutefois, le site du Moulin, ouvert au public en 1993, accueille encore une chapelle ainsi qu’un manoir devenu tour à tour un juvénat, puis un camp de vacances. Jean-Guy Tremblay a été un témoin de première main de cette évolution.

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En 1985, après être allé faire « rouler la pitoune » à Sherbrooke, où il a été également soudeur, il a été réquisitionné pour restaurer son vieux moulin et il y est resté.

Le meunier connaît chaque engrenage de sa machinerie d’époque et le moindre recoin de sa seigneurie : un savoir inestimable qui repose essentiellement sur ses épaules.

Meunier à tout faire

La farine est produite au Moulin des Éboulements comme jadis, à la meule de pierre. Elle est pulvérisée au sous-sol dans différents casiers, selon sa finesse, pour être ensuite mélangée à la main en respectant les dosages de chaque produit.

Jean-Guy assure toutes les étapes de la production, avec l’aide ponctuelle de quelques employés.

À 72 ans, le meunier a un corps musclé et buriné par le soleil. Sa charpente solide lui permet encore de soulever de lourdes charges, de monter et de descendre des escaliers, de s’accroupir pour nettoyer la machinerie, de répondre à la clientèle, d’assurer la livraison et d’entretenir son bâtiment et le site toute l’année. Le meunier se considère avant tout comme un homme à tout faire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Le métier de meunier est très physique.

Des congés ? « Les fins de semaine, répond-il. On ne peut pas quitter les lieux pendant trois semaines. Quand il pleut, le niveau de l’eau doit toujours être contrôlé pour éviter les débordements. » Et il en sera ainsi tant que le passé sera maintenu intact.

Jean-Guy veille inépuisablement au grain, mais pour combien de temps ? Bien sûr, il songe parfois à prendre sa retraite, mais il devra encore repousser son projet. Le meunier le plus expérimenté du Québec nous sert la pince en s’excusant de devoir interrompre l’échange. On l’attend, dit-il en enfourchant sa moto. Livraisons obligent !

Résumé

Un peu d’histoire Naissance et disparition des géants d’autrefois

PHOTO TIRÉE DU SITE DU MOULIN DE LA RÉMY

À Baie-Saint-Paul, le moulin de La Rémy produit en grande quantité sa farine biologique haut de gamme grâce à un système modernisé combiné à des meules de pierre.

Publié le 14 septembre

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Isabelle Morin
Isabelle Morin La Presse

Un moulin comme aimant

À partir de 1627, la Compagnie des Cent-Associés administre la colonie. Dans la vallée du Saint-Laurent et de la rivière Richelieu, le territoire de la Nouvelle-France se découpe en seigneuries, comme c’est le cas en France à la même époque. Chacune a l’obligation de construire une chapelle et un moulin. « C’est une promesse sur papier pour attirer une population qui devait défricher le territoire, le cultiver et donner une redevance au seigneur en échange d’une terre. Dans les faits, l’entente n’était pas toujours respectée », précise le vice-président de l’Association des moulins du Québec, Guy Bessette.

Le moteur de la seigneurie

Le moulin est une machine activée par une force motrice, autrefois le vent ou l’eau. Il permet d’actionner différents dispositifs pour scier, meuler, fouler ou carder, selon les besoins, ce qui garantit un certain confort aux censitaires.

« L’assurance de pouvoir moudre ses grains était un argument incontournable pour un seigneur afin d’attirer des censitaires dans sa seigneurie, relève Guy Bessette. À l’époque, un homme adulte mangeait environ un kilo de pain par jour, ce qui équivaut aujourd’hui à six pains en tranches du commerce. » Il faut savoir qu’une grande partie de l’alimentation repose sur les légumes racines, apprêtés en bouilli, avec ou sans viande. Le pain trempé fait office d’ustensile, mais est surtout un moyen de rendre la préparation plus consistante et bourrative.

Une technologie qui évolue

PHOTO TIRÉE DU SITE DU PARC HISTORIQUE DE LA POINTE-DES-MOULINS

Les ailes du moulin de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot (sur la photo) tournent encore certains dimanches quand les vents sont favorables, et ne fonctionnent qu’à l’occasion. Il est toutefois l’un des deux seuls moulins à vent encore en opération parmi les quatre en état de fonctionner au Québec.

Les premiers moulins du territoire ont des roues à aubes – aussi dites à pales – entraînées par le courant. Le système a toutefois ses limites. Après une grosse pluie, il tourne rapidement, mais ralentit radicalement par temps sec. « Comme les hivers d’ici n’ont rien à voir avec ceux d’Europe, on va aussi se retrouver très rapidement avec de gros problèmes en hiver, quand l’eau gèle. On se tournera donc vers les moulins à vent, fonctionnels à l’année, mais peu performants, avant d’adopter un système de roue à augets qui constituent une avancée technologique importante », explique Guy Bessette. Au lieu de pales, cette dernière est équipée de compartiments qui se remplissent d’eau. À débit égal, le poids de l’eau active la roue dans un mouvement régulier, contrairement au système hydraulique précédent. Il ne reste plus que quatre moulins à vent en état de fonctionner au Québec et que des moulins à augets du côté des mécanismes activés par des roues.

La disparition des moulins

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le moulin de Saint-Roch-des-Aulnaies est de ces moulins hybrides qui produisent encore de la farine grâce à un système combinant l’eau et l’électricité.

Avant 1700, la construction de moulins demeure marginale au Québec. Cent cinquante ans plus tard, ces machines à broyer sont à leur apogée. L’arrivée des grandes minotières industrielles de Montréal, alimentées par le développement du réseau ferroviaire au Québec et dans l’ensemble du Canada, annoncera toutefois leur déclin. On peut désormais faire venir du blé de l’Ouest en grande quantité et le moudre dans la métropole. Le produit, une farine fine et extra-fine, se conserve plus longtemps et démocratise des recettes modernes et raffinées : un gâteau des anges, par exemple, ce que la farine intégrale des petits moulins ne permet pas en raison de sa densité. Les moulins qui se tournent vers la production de moulées destinée aux animaux d’élevage ou qui se convertissent au sciage sont les seuls survivants de cette avancée.

Les rescapés

PHOTO TIRÉE DU SITE DE TOURISME CHAUDIÈRE-APPALACHES

Le moulin La Lorraine, à Lac-Etchemin, est une reconstruction érigée sur les fondations du moulin Beaudoin, fondé en 1860.

Il faut attendre les années 1970 pour que soit revalorisé ce patrimoine et que suivent les subventions pour préserver les bâtiments qui, dans bien des cas, ont été laissés en état de décrépitude. Plusieurs seront restaurés et ramenés à leur fonction d’origine, pour faire une farine destinée à la consommation humaine.

Certains sont maintenant actionnés par des moteurs électriques, parfois soutenus par un système informatique. D’autres ont adopté un mode hybride qui leur permet d’alterner entre une machinerie ancestrale et moderne, indique Guy Bessette. « Mais des moulins à farine qui produisent majoritairement de façon traditionnelle et qui sont encore en fonction, il n’en reste que six au Québec. » Du nombre, deux fonctionnent uniquement à l’ancienne à l’année : celui des Éboulements, dans Charlevoix, et le moulin Légaré de Saint-Eustache (présenté dans le texte suivant).

Consultez le site de l’Association des moulins du Québec

Résumé

Moulin cherche meunier

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Au premier plan, le meunier Martin Trudel et son apprenti, Kevin Lajoie

Ceux qui maîtrisent la meunerie artisanale se comptent sur les doigts des deux mains au Québec. Martin Trudel et son apprenti, Kevin Lajoie, sont parmi les rares meuniers à travailler encore comme on le faisait au temps du régime français. Ils mettent l’épaule à la roue – ou apportent de l’eau au moulin – afin de garder vivant un savoir-faire inscrit dans le patrimoine immatériel provincial.

Publié le 14 septembre

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Isabelle Morin
Isabelle Morin La Presse

Au moulin Légaré, à Saint-Eustache, la relève est pour l’instant assurée. L’ancien meunier, Daniel Saint-Pierre, vient de prendre sa retraite. Son apprenti des 12 dernières d’années, Martin Trudel, a heureusement accepté de reprendre le flambeau. Formé en histoire, le nouveau meunier a fait ses premiers pas au moulin en 2005 en tant que guide-interprète. À la fin de sa maîtrise, quand le maître lui a demandé s’il avait envie de l’aider, il a accepté cette mission de vie plutôt inusitée.

« C’est un métier particulier qui ne s’apprend pas du jour au lendemain, dit-il. Ça prend des années avant de connaître les rouages d’une machinerie qui n’a rien de standard – chaque moulin a ses particularités. » Dans la meunerie artisanale, le meunier fait tout, de l’approvisionnement en grains à la production, en passant par l’entretien des mécanismes et le service à la clientèle. Ce savoir-faire s’absorbe « sur le tas » par compagnonnage.

Le métier est extrêmement physique et sensoriel, ajoute le meunier.

Pour s’assurer du bon fonctionnement du moulin, l’artisan doit en écouter le rythme, en sentir les odeurs : celles du brûlé ou de la pierre, par exemple, qui peuvent signifier qu’il manque de grains ou que la roue tourne trop vite. Au toucher, il détectera plutôt la taille de la mouture et ajustera les meules en les rapprochant ou en les distanciant, selon le rendu souhaité.

Travailler à l’aire préindustrielle

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le moulin Légaré de Saint-Eustache a été classé monument historique en 1976. Il est le plus ancien moulin à farine actionné par la force de l’eau à n’avoir jamais cessé ses activités en Amérique du Nord.

Le moulin Légaré est le plus vieux moulin à eau d’Amérique du Nord à n’avoir jamais cessé d’être opérationnel et le plus authentique de la couronne montréalaise, déclame Martin Trudel, visiblement réchauffé par des années à répéter les mêmes informations auprès des touristes. Le moulin a été construit en 1762 par la famille Lambert-Dumont. Au XIXe siècle, le seigneur Globenski en est devenu propriétaire et fera en sorte que le moulin soit à la fine pointe de la technologie en y ajoutant des turbines. Aucun changement notable n’a été apporté au moulin depuis. Ce dernier produit sa farine comme on le faisait en 1880.

Le métier évolue tout de même avec son époque.

« J’ai une machinerie du XIXe siècle, mais je dois faire avec des lois et des consignes actuelles en matière d’hygiène, de salubrité, de santé et de sécurité au travail. Le seul appareil qui soit automatisé est le tamiseur électrique, qui prévient les tendinites et assure la qualité du produit. Sinon, j’ai une balance électronique, une caisse électronique, de l’éclairage électrique, un aspirateur anti-déflagration et d’autres petits outils modernes. »

Les exigences du métier

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Martin Trudel connaît les rouages de son moulin, ses moindres bruits et odeurs.

Le moulin Légaré fait le choix de produire moins et de conserver une production artisanale et authentique. Cette préservation du patrimoine vient avec ses inconvénients. En hiver, le défi est d’entretenir la porte d’entrée d’eau en brisant la glace chaque jour avec une perche. Le moulin est aussi un bâtiment difficile à chauffer en raison de son âge et de sa constitution : sa structure ancestrale est en pierre et l’eau froide de la rivière passe au deuxième sous-sol. Puisque la poussière de grains est explosive, elle nécessite par ailleurs l’utilisation d’un équipement adapté – un chauffage anti-déflagration qui rayonne à faible intensité, et qu’on ne ressent pas à plus de 5 pieds. L’intérieur du moulin est donc maintenu à des températures qui oscillent entre 15 et 18 degrés par temps froid.

Et puis, il y a le poids de la marchandise – des poches de 20 kg de grains et de 35 à 45 kg de farine –, les contorsions pour réparer les mécanismes, la poussière, énumère le meunier. « Est-ce que je souhaiterais ce métier à mon fils ? Peut-être pas. Mais moi, je l’adore et je vis bien avec la colonne des contre ! »

Porteur d’histoire

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le site du moulin Légaré, aux abords de la rivière du Chêne, à Saint-Eustache

La responsabilité qui accompagne le métier est à la fois la principale angoisse et la plus grande fierté de Martin Trudel. « Après 260 ans d’existence, tu ne veux pas être le meunier qui aura occasionné la perte du moulin parce qu’il est arrivé tel bris ou qu’il a explosé, nous dit-il. Notre rôle est de protéger le passé pour le transmettre aux générations futures. Si on se met à tout moderniser, on perd malheureusement des savoir-faire et des connaissances inscrites dans le patrimoine national. »

Le gouvernement commence à reconnaître de plus en plus d’éléments de cette richesse culturelle immatérielle.

« Heureusement, souligne-t-il. Ça crée une fierté. Cette culture, c’est l’âme d’une ville. »

Grâce à la formation en ligne créée par le Conseil québécois du patrimoine vivant, quatre étudiants sont devenus apprentis meuniers dans différentes meuneries artisanales de la province l’an dernier. « Pour sauver nos vieux moulins et un métier tout droit sorti de nos racines, il faut de la matière première, des bâtiments en santé et de la relève motivée », estime Martin Trudel. En attendant, le moulin Michel de Gentilly a mis sa production régulière en pause, faute d’avoir trouvé une relève, et le meunier des Éboulements espère toujours sa retraite…