Qui profitera des projets d’aménagement urbain « participatifs » à Montréal?
Les projets visent à répondre aux besoins des jeunes affecté·es par la violence armée, mais ne semblent pas cibler leurs quartiers.
PAR LÉA BEAULIEU-KRATCHANOV ● NOUVELLES ● 1 DÉCEMBRE 2023
Photo: Aaron Burden
La Ville de Montréal accordera 31,5 millions $ pour le financement de projets d’aménagement urbain sélectionnés grâce à la participation citoyenne. La Ville affirme que ces initiatives visent à répondre aux besoins des jeunes touché·es par la violence armée dans la métropole, mais ne priorisent pas leurs quartiers.
La Ville de Montréal a annoncé mercredi le financement de cinq nouvelles initiatives d’aménagement urbain proposées et votées par les citoyen·nes à travers la deuxième édition de son budget participatif.
Cette année, le thème de l’appel à proposition était la jeunesse, la sécurité et l’équité, et visait à répondre aux recommandations émises par des jeunes lors du dernier Forum montréalais pour la lutte contre la violence armée.
Plus de 600 idées ont été reçues, dont 31 propositions finalistes ont été soumises au vote citoyen. Les cinq initiatives choisies, soit la plantation de mini-forêts, l’installation de micro-parcs ou la construction de murs d’escalade extérieurs, de gyms à ciel ouvert et d’aires de jeux, recevront un total de 31,5 millions de $.
Chacune des cinq initiatives retenues sera répliquée dans cinq à dix arrondissements. Dans l’ensemble, seize arrondissements différents verront l’implantation d’au moins une initiative. Au total, 35 mises en chantier se concrétiseront, mais on ne connaît pas leur répartition exacte sur le territoire.
« C’est intéressant, parce qu’on est plus ici dans une logique de prévention [de la violence armée] plutôt que de répression », reconnaît Izara Gilbert, doctorante à l’École de travail social de l’UQAM. Elle se questionne toutefois à savoir si la répartition des projets permettra à tous les quartiers d’en bénéficier.
« Il y a toujours un souci d’équité territoriale dans cette démarche-là », a quant à elle assuré Béatrice Saulnier-Yelle, attachée de presse au cabinet de la mairesse Valérie Plante.
Répartition équitable?
La Ville n’a pour le moment pas fourni de détails sur la répartition des fonds du budget participatif en fonction de son territoire. Ainsi, si on sait quelles initiatives verront le jour dans tel ou tel arrondissement, on ne sait pas en combien d’exemplaires elles y seront mises en chantier.
Les informations disponibles pourraient toutefois laisser préfigurer une répartition inéquitable entre les quartiers.
Parmi les cinq idées sélectionnées, une seule sera mise en place dans l’arrondissement de Montréal-Nord, un des quartiers les plus touchés par la violence armée. Les arrondissements de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension et Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, qui sont aussi plus affectés, verront l’implantation de deux initiatives différentes. Aucun projet n’est prévu dans l’arrondissement Saint-Léonard.
« Habituellement, lorsqu’on parle de violence des jeunes, les quartiers qui sont visés par la répression sont Rivière-des-Prairies, Montréal-Nord et Saint-Michel de façon prédominante, alors qu’on ne les retrouve pratiquement pas dans les initiatives qui concernent l’accès à la ville, l’occupation de l’espace public et les activités de loisirs. »
— Izara Gilbert
En contrepartie, Le Plateau-Mont-Royal et Verdun, beaucoup moins concernés par cet enjeu, verront respectivement trois et quatre initiatives différentes se réaliser dans leur arrondissement.
Cela montre « une incohérence » dans le discours de la Ville sur l’équité territoriale, pense la mairesse de Montréal-Nord, Christine Black. « Que Montréal-Nord ne reçoive qu’un petit projet, alors que le tiers de notre population est composé de jeunes en bas de 25 ans, c’est curieux. »
Mais cela n’étonne pas Izara Gilbert. « Habituellement, lorsqu’on parle de violence des jeunes, les quartiers qui sont visés par la répression sont Rivière-des-Prairies, Montréal-Nord et Saint-Michel de façon prédominante, alors qu’on ne les retrouve pratiquement pas dans les initiatives qui concernent l’accès à la ville, l’occupation de l’espace public et les activités de loisirs. »
Elle se demande aussi comment les initiatives seront dispersées à l’intérieur d’un même arrondissement plus hétérogène, comme celui de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, qui compte des populations plus vulnérables d’un côté et plus aisées de l’autre.
Besoins des jeunes
Izara Gilbert remet également en question l’efficacité de tels projets pour répondre aux besoins des jeunes issu·es des minorités visibles, qui sont plus vulnérables au profilage racial, notamment par des policiers, lorsqu’ils et elles fréquentent des lieux publics à l’extérieur.
« En investissant dans les lieux publics, même s’ils sont à l’extérieur, on fait le pari que ça va les animer » et ainsi les rendre plus sécuritaires, réagit Béatrice Saulnier-Yelle, du cabinet de la mairesse.
Elle spécifie aussi que le budget participatif ne permet pas le financement de projets visant à investir dans des constructions fermées, mais affirme que de telles initiatives peuvent être financées dans le cadre d’autres fonds.
Qui participe?
« C’est une initiative qui est louable à la base », reconnaît Christine Black, « en même temps je questionne beaucoup le processus. » Elle s’inquiète que la démarche participative ait pu exclure les jeunes de Montréal-Nord, une population plus difficile à rejoindre dans le cadre de telles initiatives. Cela pourrait expliquer le manque de représentation de son arrondissement parmi les initiatives mises en place.
« Je me permets de me questionner sur le niveau de pénétration dans nos communautés, à savoir si les gens ont vraiment été au courant qu’il fallait voter pour ça », explique-t-elle. « On sait qu’on a une population fortement immigrante, que parfois les gens arrivent ici, cherchent un emploi et ont vraiment d’autres choses en priorité […] que d’aller voter dans un budget participatif. »
« Que Montréal-Nord ne reçoive qu’un petit projet, alors que le tiers de notre population est composé de jeunes en bas de 25 ans, c’est curieux. »
— Christine Black
Souvent les jeunes qui participent à ce genre d’initiatives ne sont pas les jeunes qui en ont le plus besoin, acquiesce Izara Gilbert. « Souvent ce sont des jeunes qui sont impliqués dans des comités, qui sont plus privilégiés de différentes manières. »
Béatrice Saulnier-Yelle affirme que « la Ville a déployé des efforts de mobilisation considérables afin de favoriser la participation de groupes historiquement moins participatifs ». Elle précise que la Ville est en train « d’analyser les données récoltées dans le cadre de la collecte d’idées et des votes afin de pouvoir dresser le profil des personnes ayant participé ».