Résumé
Royalmount Comme un coup de baguette magique
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La cour intérieure du Royalmount

Marie-Eve Fournier La Presse
Dans les compétitions de cuisine à la télé, quand il ne reste qu’une minute avant la cloche, il y a toujours des aliments qui ne sont pas encore cuits. Et alors que le niveau de stress atteint son paroxysme, les concurrents réussissent dans les 12 dernières secondes à monter des assiettes magnifiques et impeccables.
Publié à 1h15 Mis à jour à 5h00

C’était le sentiment qui se dégageait mardi matin lors de la visite guidée du Royalmount à l’intention des médias.
Environ 1000 travailleurs s’affairaient à étendre de l’asphalte, à planter des végétaux, à nettoyer les vitres, à terminer les planchers, à accrocher les enseignes. Dans les boutiques, on plaçait les vêtements, les meubles et les produits de beauté. Ça fourmillait, comme c’est le cas jour et nuit depuis des semaines.
Mais jeudi matin, je parie que tout sera impeccable pour accueillir les clients.
Le trio qui pilote le projet de Carbonleo depuis 10 ans (Andrew Lutfy, Claude Marcotte et Nicolas Désourdy) est trop fier de son coup et trop fier tout court pour présenter au grand public un centre commercial imparfait. Et surtout, il y a mis trop d’efforts depuis le début, malgré des vents contraires assez violents, pour risquer de décevoir.
Ça se voit partout, jusque dans les spectaculaires toilettes, que le souci du détail et de l’esthétisme et l’écoresponsabilité étaient au cœur de toutes les décisions. Bien avant les coûts.
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Les toilettes non genrées du nouveau centre commercial
Cela est particulièrement évident dans l’espace consacré à l’alimentation. Appelé Fou Fou, l’endroit est rempli de petits restaurants et de bars chics qui fermeront après minuit. Les matériaux sont raffinés, on a installé le nec plus ultra en matière d’éclairage et de système de son et aménagé une vaste terrasse qui donne sur un parc. À lui seul, l’aménagement paysager des espaces verts aurait coûté 50 millions.
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Appelé Fou Fou, l’espace consacré à l’alimentation est rempli de petits restaurants de bars chics.
Contrairement au DIX30, tous les commerces ne sont accessibles qu’à pied, soit en entrant par le parc, par la passerelle au-dessus de l’autoroute Décarie ou par le stationnement intérieur payant. L’espace est fermé, mais la lumière omniprésente, grâce à un toit en verre. Le chic des lieux rappelle The Oculus, ce centre commercial en forme d’oiseau majestueux à deux pas du World Trade Center à New York, mais en moins froid grâce à de nombreux érables dans toutes les allées. S’ils sont faux, c’est parce que les arbres perdent leurs feuilles l’automne.
Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, des œuvres d’art achetées aux quatre coins du monde contribuent à l’ambiance. L’hiver, le parc sera transformé en patinoire.
C’est à cet endroit qu’Andrew Lutfy, président et chef de la direction de Carbonleo, a présenté son mégaprojet à 55 journalistes, une foule qui ne s’était pas vue depuis des lunes.
« Quelle journée, quelle semaine, quel mois, quelle décennie même ! », a-t-il lancé, le sourire aux lèvres. On sentait que la pression des dernières années se dissipait peu à peu pendant qu’il évoquait l’avenir de Royalmount. Car après la première phase, qui a déjà coûté plus de 1 milliard, il devrait y en avoir 19 autres.
Carbonleo a déjà commencé à construire un hôtel, il y aura aussi des tours de bureaux, un spa, un immense aquarium et un concept de divertissement pour adultes imaginé par Cineplex appelé The Rec Room. On souhaite aussi y accueillir des milliers de résidants qui pourraient travailler sur place, ou se rendre au centre-ville en métro, et qui auraient accès à tous les services à pied.
La Ville de Mont-Royal est contre l’idée. Mais Claude Marcotte est convaincu qu’elle finira par entendre raison. Espérons-le. Nous avons besoin de favoriser la densité et de créer des milieux de vie modernes qui ne tournent pas autour de l’automobile.
À l’évidence, la dernière décennie a donné le temps à Carbonleo de réfléchir, de bien faire les choses et de trouver des solutions pour faire taire les critiques, très nombreuses depuis le début. La certification LEED Or, le lien vers le métro, l’ajout de voies sur Côte-de-Liesse et la géothermie ne sont que quelques exemples. Quel sera l’impact des lieux sur la congestion autoroutière ? Seul l’avenir le dira.
Le Royalmount prévoit accueillir 25 millions de visiteurs par année, dont 30 % viendront en transports en commun. Les ventes devraient atteindre 1 milliard de dollars. Carbonleo collectera des loyers de 100 millions par année auprès de ses locataires qui se sont engagés pour 10 ans, en moyenne.
J’ai demandé à Claude Marcotte, vice-président exécutif et associé de Carbonleo, comment il avait pu convaincre des banques d’investir dans le projet, alors que les commerces du centre-ville de Montréal ont déjà connu de meilleures années et que le commerce en ligne ne cesse de croître.
« Ce qui nous a donné de la crédibilité, ce sont les marques qui se sont commises, qui ont signé des baux fermes. On avait Vuitton, Gucci, Yves Saint Laurent, Alo, Sports Experts, Zara. Et aussi le fait qu’il y a un manque flagrant de commerces de luxe à Montréal. On comble un besoin qui existe. Les études de marché sont claires, les datas ne mentent pas. La Banque de Montréal gère le syndicat bancaire, ils ont amené Desjardins, la Nationale et d’autres. Les six ou sept banques ont fait leur due diligence, ce qui montre la qualité et la profondeur du projet. »
La BMO, a-t-il ajouté, n’a « jamais eu de doute », même pendant la pandémie.
Quand il est question de Montréal, c’est souvent pour évoquer sa malpropreté, les itinérants qui ont élu domicile dans les parcs, les cônes orange, les ruptures de canalisation, son manque d’ambition et de projets fédérateurs. Ma collègue Marie-France Bazzo a d’ailleurs signé un texte à la fin août qui s’intitulait « Baguette magique », dans lequel elle se demandait ce qu’il faudrait pour que Montréal change d’image et retrouve sa fierté d’antan.
« Nous sommes habitués au botché, au bricolé, au broche-à-foin, à l’inachevé, et ce, à tous les niveaux d’intervention », écrivait-elle.
Relire la chronique de Marie-France Bazzo
Au Royalmount, rien n’est botché. C’est agréable de voir du neuf, de la qualité, de l’élégance digne de grandes capitales. Même si on peut douter de la nécessité d’un tel endroit à Montréal, même si l’on peut critiquer le choix du terrain, même si on n’a pas d’intérêt particulier pour les centres commerciaux, il faut reconnaître que ce projet donne un petit coup de baguette magique à une ville qui en a bien besoin.