Budget fédéral Ce qu’il fallait faire
Francis Vailles La Presse
Mettez-vous dans les souliers neufs de François-Philippe Champagne. Que faites-vous avec les finances fédérales, rouge foncé depuis une décennie, dans le contexte de la guerre commerciale ?
Publié à 18 h 35
Est-ce le moment de charcuter les dépenses ? Ou faut-il les doper pour soutenir une économie chancelante ?
Ce budget Champagne-Carney, paradoxalement, parvient à faire les deux à la fois.
Le plan est rempli de défis et il associe les Canadiens à des déficits presque permanents au cours des prochaines années, comme en Europe. Malgré tout, le gouvernement fait probablement ce qu’il fallait faire, essentiellement, compte tenu du contexte.
Quoi, au juste ? D’abord, le duo Champagne-Carney met de côté l’atteinte de l’équilibre budgétaire. Ensuite, il fait la nette distinction entre le « bon déficit » et le « mauvais déficit », et s’attaque vigoureusement à ce dernier.
Enfin, il fait des gestes pour relancer la productivité canadienne – dont la croissance est dramatiquement faible – en instaurant la « superdéduction » fiscale, par exemple, et en accélérant les investissements dans les infrastructures stratégiques.
Voyons dans le détail.
Côté déficit, le fédéral abandonne carrément l’objectif de retour à l’équilibre budgétaire ou même le plafonnement relatif du déficit.
Il y a un an, le gouvernement Trudeau prévoyait un déficit de 42,2 milliards pour l’année en cours (2025-2026), celle qui se termine le 31 mars 2026. Et le déficit diminuait d’année en année par la suite, reculant sous les 1 % du PIB.
Or, le déficit sera plutôt de 78,3 milliards cette année, selon ce nouveau budget, un bond de 36 milliards ! Ouch.
Cette explosion provient de mesures déjà connues, comme l’annulation de l’augmentation de l’impôt sur le gain en capital (3,1 milliards) ou l’élimination de la taxe sur les services numériques (0,9 milliard), imposée par Donald Trump.
Elle s’explique aussi par la baisse d’impôt des particuliers qu’avait promise Mark Carney lors de l’élection (4 milliards) et par l’élimination de la taxe carbone (4,2 milliards), entre autres.
Le déficit passe de 78,3 milliards cette année à 65,4 milliards l’année prochaine (2026-2027), soit à 2 % du PIB. Il restera au-dessus des 56 milliards lors de chacune des trois années suivantes.
Oubliez donc l’objectif d’abaisser le déficit sous 1 % du PIB. Notre solde rouge ne reculera pas sous les 1,5 % dans un avenir prévisible.
Et c’est ce qu’il fallait faire, vraiment ? Idéalement, on se serait attendu à une réduction plus rapide du déficit. Sauf que le fédéral parvient à faire avaler la pilule en ventilant le déficit en deux catégories : la part attribuable aux dépenses de fonctionnement, qu’on pourrait qualifier de « mauvais déficit », et celle qui s’explique par les investissements, soit le « bon déficit ».
Ainsi, d’ici trois ans, le fédéral prévoit avoir complètement effacé le déficit de fonctionnement, si l’on se fie au budget, si bien que seul demeurera le déficit attribuable aux investissements.
Ce dernier déficit sera engraissé par une croissance massive, les investissements du fédéral passant de 32 milliards l’an dernier à un rythme annuel de plus de 56 milliards l’an prochain et au cours des années suivantes.
Or, ces investissements dans les hôpitaux, les transports et les infrastructures – parfois sous forme de transferts aux provinces – sont essentiels pour soutenir l’économie canadienne et l’aider à traverser la tempête commerciale des prochaines années.
Ils profiteront aux Canadiens sur une très longue période, en principe (j’y reviens plus loin), et sont donc bien perçus par les milieux financiers.
D’où viendra le déficit fédérale d’ici 5 ans
Résumé
La veille du budget, justement, l’agence Moody’s – l’une des deux plus crédibles au monde – a reconduit la cote de crédit du Canada, la plus élevée de son tableau, que seuls quelques pays partagent.
Selon Moody’s, le Canada dispose d’institutions « très solides », qui répondent aux défis de façon « rapide et efficace », grâce à des « cadres budgétaires sains ».
« La vigueur économique et institutionnelle du Canada demeure très forte […] la décision du gouvernement d’utiliser son bilan pour aider à augmenter les investissements n’affaiblira pas de manière significative la solidité budgétaire, étant donné que ces investissements sont susceptibles de stimuler la croissance », écrit l’agence.
Quand même…
Le Canada, en particulier, est relativement peu endetté par rapport aux autres pays comparables, notamment parce que le pays a su accumuler une certaine cagnotte pour assurer la retraite future de ses travailleurs.
Bref, le Canada est chanceux d’avoir une situation financière relativement saine dans le contexte actuel.
Cela dit, le budget compte son lot de défis. Pour effacer le déficit de fonctionnement, Ottawa doit sabrer le nombre de ses fonctionnaires. La fonction publique fédérale comptera 330 000 fonctionnaires dans trois ans, 40 000 de moins qu’aujourd’hui.
La Gendarmerie royale du Canada, les Affaires mondiales, le service aux Autochtones et celui pour l’immigration seront parmi les plus touchés.
Certes, Ottawa parle de départs à la retraite, mais une telle compression de 10 % de la main-d’œuvre n’a pas été vue depuis plusieurs années. Y parviendra-t-on ?
Autre questionnement : ses mesures pour stimuler la productivité auront-elles les effets attendus ?
Le gouvernement Carney a d’ailleurs comptabilisé, parmi ses investissements, une série de crédits d’impôt et de transferts aux entreprises, dont le résultat est loin d’être garanti.
Le crédit d’impôt pour vidéo (1,1 milliard), par exemple, peut-il vraiment être considéré comme un investissement ? La recherche expérimentale, bien qu’essentielle, est-elle vraiment un investissement ? N’aurait-il pas fallu les inscrire comme dépenses de fonctionnement ?
Enfin, le déficit fédéral repose sur une économie à croissance stable, mais faible, au cours des prochaines années, dont le rythme dépend beaucoup de l’humeur d’un voisin imprévisible. Qu’arrivera-t-il si les relations continuent de se détériorer ?
Bref, le duo Champagne-Carney donne aux finances publiques les bons paramètres stratégiques pour les prochaines années, mais il faudra voir comment se déroulera l’exécution. Et si, dans cinq ans, la productivité canadienne se trouve à avoir augmenté sensiblement, on pourra dire pari gagné. On s’en reparlera…
https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2025-11-04/budget-federal/ce-qu-il-fallait-faire.php
Un budget pour sauver Noël
La semaine dernière, le ministre des Finances assurait que son gouvernement avait un mandat « fort ». L’enthousiasme lui a fait oublier son statut minoritaire. Cela explique pourquoi les libéraux n’ont pas pris la peine de négocier avec les partis de l’opposition en amont, afin d’éviter que le budget finisse dans un bac de recyclage.
Ce document ne plaira pas aux conservateurs, aux bloquistes et aux néo-démocrates. Mais il ne devrait pas les indigner non plus. Pas assez, du moins, pour les pousser, malgré eux, à renverser le gouvernement et à déclencher une campagne électorale en plein mois de décembre. Réjouissez-vous, les tout-petits : à moins d’un revirement peu probable, Noël sera sauvé.
https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2025-11-04/un-budget-pour-sauver-noel.php





